Le prix de l'échec - 2664 #1

Benjamin Didiot

Nous sommes en 2664 après Jésus Christ. Le monde est différent. Les humains sont sous la domination des machines. Et certains refusent de se soumettre.

Depuis que je suis sorti de la ville, je n'ai pas cessé d'appuyer sur la pétale d'accélération de ma Ford Torina Hardtop Reborn. Heureusement qu'il s'agit bien de la version Reborn, n'ayant de la version de 1971 que sa magnifique carrosserie. La musique, à fond, me claque les tympans, c'est pleins de basses agressives et de synthés hurlants à la mort, j'adore, mais je ne profite pas vraiment. Je n'arrête pas de regarder le rétroviseur intérieur. Ces saloperies de machines me poursuivent toujours, la plupart sur leurs espèces de motos en un seul morceau, toute lisses qui semblent presque voler, et les autres volant réellement. De chaque coté du peloton, deux robots canidés courent et sautent. J'entends d'ici, et malgré le bruit des moteurs, leurs dents mécaniques se refermer violemment sur une proie invisible. Ou plutôt visible, mais distante. Moi.

Les voyant s'approcher, je ressens une sorte de sentiment de regret. Mais mon regret est à nuancer. Je ne regrette pas vraiment, mais je regrette d'être à présent confronté aux conséquences de mes actes. En fait je ne regrette pas vraiment, je n'assume seulement pas les conséquences. Ce n'est pas pour autant que je serais un lâche, comme ceux avant moi, me livrant aux machines. Jamais de la vie, je préfère crever, et de loin. Je préfère mourir de leurs mains plutôt que vivre sous le joug de leur domination.

Qu'ils me rattrapent, je les attends. Si ils pensent avoir vu tout mon arsenal, ils se foutent les doigts dans leurs circuits de dégénérés. Les gardes me poursuivant doivent avoir une puce détermination maladive greffée dans leurs systèmes, ou quelque chose comme ça, pour tenir aussi longtemps que ça sur mes traces.

Tiens justement, ils se rapprochent. Ils sont à environ une cinquantaine de mètres de moi, je peux enfin précisément les compter. Il y a donc les deux clébards, trois machines volantes, et cinq chevauchant des motos. Ce ne sont que de simples soldats après tout, pas de quoi avoir peur. Dix contre un, j'avais imaginer pire. Et je suis potentiellement préparé à pire.

Merde, j'ai faillit m'envoyer dans le décor en esquivant une roquette qu'un de ses connards volants vient de me lancer. Bon, ça me fait une petite raison d'avoir peur. À mon tour de leur donner des raisons d'avoir peur. Je baisse le son de la musique, les synthés crient trop fort. Je murmure à deux drones explosifs d'aller s'écraser sur les robots volants. Il en restera toujours un, mais ce sera déjà ça de moins.

Un coup de volant rapide me permet d'éviter une nouvelle roquette, là ça devient énervant. Je lance mes drones. Ayant tout juste quittés ma paume, ils filent droit vers les robots volants, et chacun touche sa cible. Je quitte quelque seconde le rétroviseur des yeux pour m'assurer que le désert est toujours bien ouvert devant moi. Heureusement, il s'étend sur des centaines de kilomètres. Je le scrute tout de même, afin de m'assurer que je ne risque pas d'être stopper par un rocher ou un truc de ce type. Quand mon regard se fixe à nouveau sur le rétroviseur, je constate que tout les robots volants ont disparus du ciel. Merde, comment c'est possible ? Je regarde mon stock à mes pieds. Il ne devrait me rester que des drones perforants, et pourtant il y a dans le tas un drone explosif. Quel génie involontaire je suis. Dans la précipitation, je les avaient oubliés, mes magnifiques drones perforants.

Fier de ma réussite, je lance un majeur bien levé par la fenêtre, en signe de satisfaction. J'augmente le son, et j'ai l'impression que j'avance toujours plus vite.

Le toit de ma voiture se plie en un bruit sourd. Mes drones perforants ne sont pas magiques, évidemment, la dernière de ses saloperies volantes m'as rattrapée et doit s'être écrasée sur mon toit.

J'ai à peine le temps de me saisir de mon fusil à pompe que ses doigts pointus écorchent ma carrosserie. Un fin nuage de sable en tombe, pendant que je met en chambre une cartouche d'un coup sec de l'avant bras. Il donne un coup de tête dans son entaille fraichement ouverte dans la ferraille, et atterri en plein sur mon canon. Le coup part tout seul, l'expulsant aussi tôt de l'ouverture qu'il venait de créer. Je vois les restes de sa carcasse tomber du toit, par les cotés et par l'arrière de la voiture.

Le peloton derrière moi s'écarte des restes de leur camarades lorsqu'ils arrivent à sa hauteur. Plus que sept machines, et je serais sain et sauf.

Maintenant que j'ai un fusil à pompe dans les mains, autant en profiter. Je prend le risque de lâcher la pédale d'accélération, me ralentissant considérablement. Je n'ai pas le droit à l'erreur, je dois attendre qu'ils soient presque à ma hauteur. Ils commencent à se scinder en deux, pour m'encercler. Je n'aurais pas assez d'un fusil.

Excellent. J'ai mon second fusil sur ma plage arrière. Je pose mon fusil au canon encore fumant au dessus de mon tableau de bord. J'en profite pour jeter un œil sur mon compteur, qui affiche environ 260 kilomètres à l'heure, vitesse qui descend sensiblement.

À présent un fusil dans chaque mains, je suis prêt à les recevoir. J'ai du mal à résister à mon instinct de survie, qui me dicte inlassablement d'appuyer sur la pédale d'accélération.

200 kilomètres à l'heure, dans une trentaine de secondes ils seront à mes cotés.

Mes mains sont moites. Mon volant, libre de l'emprise de mes mains, commence à vibrer.

170. Ils s'approchent dangereusement.

160, l'un d'eux reste en retrait, les autres sont au niveau des feux arrières de ma voiture.

155, j'écarte mes bras, prêt à tirer.

150, je tire, des deux côtés en même temps.

Deux machines explosent, et les suivantes accélèrent, profitant de mon incapacité à recharger pour me dépasser. Les chiens collent ma voiture, je jette un fusil sur la plage arrière pour reprendre le volant. Aucun mouvement n'est possible. Je n'arrive même plus à accélérer tant ils me collent. Leur force est surprenante. J'entend plus que jamais leurs mâchoires claquer. Ils sont capable de me tuer, mais ne le font pas. Ils doivent avoir pour ordre de me capturer vivant.

Il est hors de question que je serve d'exemple, exécuté de façon humiliante par leur chef. J'aurais aimé réussir à te tuer.

Toujours un derrière moi, deux devant et surtout deux molosses sur les cotés. Leurs griffes se plantent dans mes portières, s'enfonçant de plus en plus vers moi. Je fouille à mes pieds, j'y trouve une grenade collante. Mon cœur bat au rythme des percussions crachantes. Un rythme particulièrement rapide.

Plus le choix, j'improvise.

Par le toit déchiré, je jette ma grenade en avant, de toute mes forces. L'adrénaline que m'offre ma peur semble décupler ma force et ma précision. Aussitôt l'avoir vu se coller sur l'un des motards, je lève brusquement le frein à main, et ma voiture part en violents tonneaux.

Malgré ma désorientation, je ne perds pas mes esprits. Du moins j'essaye. Toutes les vitres se brisent, les chiens ne lâchent pas prise. J'entend ma grenade exploser, et je prie pour que toutes celles à mes pieds n'en fasse pas autant. Je suis secoué intensément, j'en ai la nausée. Je sers contre moi mon fusil, qui sera mon dernier compagnon.

Ma ceinture se déchire, et je suis expulsé du véhicule.

J'ai l'impression de mettre évanoui une demi-seconde à cause du choc. Ce ne serait pas étonnant. Peut-être même plus longtemps. Allongé et gigotant sur le sable brulant, mes yeux se figent sur ma voiture, en feu, a quelques dizaines de mètres de moi, enfin immobile. Où est mon fusil ? Où est ce putain de fusil ?

À coté de moi. Je le saisi, et essaye de me lever. J'en suis incapable, je ne reste que quelques secondes debout avant de chuter et de me retrouver de nouveau le nez dans le sable. Je fixe la seule chose que je vois, ma voiture. Ces clébards sont solidement accrochés dessus, et semblent êtres déformés par les tonneaux. Ils n'en sont pas inactifs pour autant, et tentent de se défaire de leur propre emprise. Ils sont encore plus effrayants maintenant qu'ils fondent petit à petit. Leurs gueules s'allongent, les membres se tordent et se replacent grâce à des mouvements inquiétants. Leurs mouvements se répètent, comme s'ils étaient dans une boucle malsaine d'autodestruction. J'entends encore d'ici ma musique, elle est méconnaissable et difforme à cause de tout les chocs. Comme les machines autour d'elle.

Ma voiture explose enfin. Je ne pensais pas un jour être heureux de la voir détruite. Je suis débarrassé des deux chiens. Les deux devant sont morts par ma grenade. Je suis sauvé.

Je ne sens plus le contact du sol. Je lâche mon fusil, les forces nécessaires pour l'agripper me manquent. J'ignore si c'est l'impression de libération qui m'offre cette illusion de planage, ou si c'est bien réel. Merde, il en manquait un.

Bien plus grand que moi, il me soulève brusquement par le col, et me tourne vers lui. Son visage est lisse, ovale, et ne comportant qu'une lumière rouge à droite de son crâne, comme un œil unique. Je lui crache dessus, il ne réagit pas.

Sa voix robotique annonce mon arrestation. Ma déception est vite remplacée par la peur qui me submerge inévitablement. Je n'essaye même pas de me débattre. J'aurais au moins essayé, je me serais battu contre la domination des machines. L'humanité, comme je l'ai très peu connue, me manque. Je n'écoute même pas sa voix robotique, je suis incapable de me concentrer et sens que ma peur s'efface, laissant place à un sentiment de perte imminente de connaissance. Mes yeux sont dirigés vers le sable, qui se rapproche étrangement de moi.

Je sens mes fesses heurter le sol. Je lève les yeux, et je vois le robot s'effondrer en face de moi, sur son flanc gauche. Je scrute son visage, sa lumière passant du rouge au bleu, avant de s'éteindre. Je rampe ardemment vers son corps, et découvre une perforation précise sur le coté de ce qui lui sert de visage. Au vu de l'impact, la balle vient de ma gauche, je tourne doucement mon visage vers la source de celle-ci. Mon vision se brouille.

J'ai le temps de distinguer une personne marchant vers moi. À sa démarche, je suis convaincu qu'il s'agit bien d'un humain. Une humaine même, habillée d'un beige délavé, artificiellement à l'abri d'une cape partant en lambeau, et portant un énorme fusil sur son épaule.

Mon corps s'enfonce dans le sable. Tout devient flou. Je sens des grains de sables s'immiscer dans ma barbe.

J'ai survécu.

Je perds connaissance.  

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