Le quiproquo
yunahreb
Rudolf avait trouvé cette auberge près de Wismar, car il voulait se rapprocher d'un grand port et s'embarquer pour la Suède, mais il devait encore convaincre un cargo de le prendre moyennant manutention. Fort et agile, Rudolf ne comptait pas ses heures, et plus le temps était froid, plus il prenait de l'envergure à la tâche.
L'auberge ne payait pas de mine. Il s'en contenterait, à la vue du peu de Kreuzers qui lui restaient. De plafond bas, la chambre portait tristement le style des villes qui bordent la Baltique comme le lichen sur un bois mort.
Rudolf alla donc trouver de l'ouvrage sur le port, afin de gagner sa traversée. Le capitaine Wander le prit dans son équipage et lui promit de l'embarquer le lundi qui suivrait. Rudolf n'était pas fâché d'avoir rencontré ce brave capitaine, qui portait plus d'élégance que certains notables croisés tantôt dans la cité.
Et voilà notre héros ordinaire s'affairer, du lever au coucher du soleil, entre voiles et cordages, vite coutumier du sol qui tanguait comme la chanson d'une sirène.
Croisant les amoureux à vélo, les soirées lui paraissaient douces et chaleureuses. Il aurait pu s'établir dans cette petite ville. Mais Wismar ne devait être qu'une étape.
L'auberge ne comptait que deux visiteurs: Rudolf et un jeune étudiant venu prospecter la toute nouvelle Hochschule. Les repas, frugaux, remplissaient la panse pour au moins deux bonnes heures, le temps d'aller se coucher.
Le lundi, aux aurores, Rudolf embarqua avec l'équipage du capitaine Wander. Le navire fonçait toute voile dehors. A cette allure-là, ils devraient atteindre la Suède en moins de quatre jours. Mais les journées passant, Rudolf s'enquit auprès du capitaine:
– Ne devrions-nous pas déjà être en Suède?
– Mais nous n'allons pas en Suède mon petit! Nous naviguons pour Saint Petersbourg, rétorqua le capitaine d'un air amusé, dans un Allemand vacillant.
– Mais je croyais que nous allions en Suède, geignit Rudolf.
– Nous arrivions effectivement de Suède, mais Wismar était une halte pour la Russie.
Le quiproquo avait entraîné notre héros vers de nouvelles aventures, de nouvelles contrées dont il ne connaissait ni la langue, ni les manières. Résigné à ce coup du sort, il en tira une leçon assidue: le monde devint son pays, et c'est ainsi que bien des années plus tard, il se proclama explorateur et découvrit la Brestenphalie, une contrée au-delà des mers…