Le rêve d'Alba (L'Occitane)

cyrz

Nouvelle explorant quelques termes poétiques de la langue occitane, certains oubliés, d'autres évocateurs de sensations liées à la belle nature de Provence...

Il avait soigneusement préparé l'alignole, le dernier outil qui lui restait, le filet de tendresse de son cœur, pour s'habiller au bal de l'ultime raison d'aimer. Elle l'autichait par une danse sobre simplement formée d'allers-retours de son torse bien garni, d'avant en arrière, lancinant ballet d'oscillations au rythme du branle. Son corps remuait dans un asag délicieusement animé des promesses d'une attention charmante, sans le quitter des yeux. La jeune femme avançait et reculait les jambes avec la grâce de l'aigrette. Il admirait ce ballet, spectateur de l'épreuve de séduction qu'elle lui offrait sans retenue. Il n'y eût guère long jusqu'à ce que leurs mains se joignirent, un doigt après l'autre. Les paumes de la belle étaient d'un alude à la fois ferme et rosé. Ses petits doigts délicats disparaissaient dans le creux de la poigne déterminée du robuste pêcheur.


Dans un abarrejadis de bricoles rouillées et de bouts de ficelles, leurs corps se sont soudés. Nullement dérangés par l'abadis bruyant qui suivait son propre rythme tout autour d'eux, les amants découvraient l'émotion d'un contact neuf. Cette exaltation répétée depuis des millénaires, en accords truculents particuliers si propre à chaque être, suit un parcours tracé du bout des doigts. Elle avait la peau de l'acinier, d'un parfum velouté de menthe et de mimosa, aussi soyeuse que le duvet de l'amande livrée au vent sur sa tige. Il sentait l'écume de varech et le pétrichor échappé des vertes prairies après les premières pluies. Les cals de ses mains agissaient comme de petits noyaux d'aglandaux roulant le long du dos de sa partenaire de danse. Elle exultait sous cette pression bienfaitrice. Lui se délectait de la souplesse de ce corps servile, doux comme la surface d'une pêche mûre ondoyant avec confiance dans ses bras puissants.


Ils s'entraînaient mutuellement hors de la piste de danse, pris dans le tourbillon du désir d'échapper aux regards. Leurs mains se joignirent enfin pour les guider vers les rochers tous proches où ils pourraient s'isoler des agitations de la fête. On dit que le chemin est bien meilleur et plus profitable que la destination. Leur destination commune leur était inconnue. Aussi profitaient-ils pleinement de cette route tracée pour eux, vers le littoral adret, sur laquelle ils ne rencontraient aucun obstacle. Arrivés près des rochers, ils se choisirent le plus plat pour s'y installer confortablement, livrés à une légère brise qui semblait souffler des vagues elles-mêmes. Collés l'un à l'autre de l'épaule à la hanche, ils regardaient fixement le large d'où ne provenait que la lumière intermittente d'un phare et la pâle lueur d'étoiles lointaines incapables de rejoindre l'horizon. Un bouquet d'algues fraîches émanant de la plage toute proche se mêlait aux relents iodés que le pêcheur transportait avec lui sur sa peau tannée. Elle, elle aurait pu avoir le parfum de la lune ou d'une étoile que cela ne l'eût pas étonné.


Elle se lova plus au creux de ses bras en ne prononçant qu'un mot : « gâté »... Il resserra son étreinte par un geste lent du coude et plongea sans hésitation le nez dans l'épaisse chevelure de sa prise. Un subtile mélange de karité et de beurre de coco se confondait avec l'essence naturelle des cheveux aux relents d'amélante qu'elle portait en oeuvre de séduction. Elle avait tressé ses longs cheveux tout autour de sa tête et le pêcheur n'était pas resté indifférent à ce boute posé là comme sur le fond de sa barque, prêt à servir. Il inspirait la légère caresse rosée de sa joue, posait ses lèvres salées et crevassée sur cette peau que la subtilité d'un ciel azuréen n'aurait su rivaliser. Une clarté ponctuée de rares tâches de rousseur en émanait dans la nuit. Les joues mousseline de la jeune femme s'ouvraient aux baisers comme deux oreillers appellent au sommeil.


Le vire-vire de leurs caresses les soûla sans répit jusqu'au petit matin clair. Elle s'appelait Alba, lui Sinbad. Leur rire vibrait d'une même fréquence, née de l'oubli d'avoir consenti aux présentations conventionnelles, durant toute la nuit passée à se découvrir mutuellement dans la fraîcheur des embruns, face à la mer.


Leurs yeux se plissèrent aux premières lueurs pâles de la fin d'un printemps sec, et ils n'étaient déjà plus tout à fait les mêmes ; plus tout à fait deux et probablement un. Les amants aquioulés dans les bras l'un de l'autre formaient l'empreinte d'un cercle parfait, deux coquilles dessinées pour l'éternité dans les sédiments d'un lointain passé, l'une yin, l'autre yang, ou peut-être l'inverse.


Lorsqu'il s'éveilla, la gorge serrée, le soleil jouait d'ornements pastels avec l'horizon engourdi. C'était l'aube. Sa barque avait dérivé sur plusieurs milles pour atteindre les rivages paisibles des Eaux Salées. Il tenait dans sa main son vieux filet de pêche, l'alignole qui n'attrapait plus que d'anciens fossiles arrachés à ses rêves.  

Signaler ce texte