Le Roi Noël

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Sur l'île en noir et blanc, deux ethnies se détestent, mais un beau jour de Noël, ils élisent un roi qui va régler ces disputes incessantes... La naissance un peu maladroite de la démocratie.

Nous sommes sur une île surnommée "l'île en noir et blanc". Une île à peu près carrée, de quelques kilomètres de côté, avec une tour de guet mobile à chaque angle.

Deux groupes cohabitent malgré eux dans cet espace.

Des noirs si noirs qu'on les croirait vernis, et des blancs si blancs qu'ils semblent malades.

Et comme chaque tribu a son roi, les altercations étaient fréquentes.

Si fréquentes qu'ils décidèrent de se séparer physiquement.

Les négros au sud et les face de craie au nord. Comme ça, Ils se faisaient la gueule mais plus la guerre.

Leur blague préférée a toujours été de prétendre qu'ils aiment ceux d'en face, surtout en brochette.

Le truc ennuyeux, c'est que les blancs savent construire des pirogues, mais sont incapables de grimper aux arbres pour cueillir les noix de coco.

Les noirs savent cultiver les céréales mais ne sont pas foutus de pécher le moindre poisson.

Bien que tous soient racistes, ils devaient se rendre à l'évidence : chaque tribu avait besoin des cons d'en face.

Une tradition ancestrale et sacrée oblige tout le monde a se regrouper autour d'un grand banquet le jour de Noël.

En général, à peine l'apéro servi, tout le monde s'engueule à coups de lance, et le repas se termine par quelques joyeux enterrements de vie de garçon, mais au sens propre.

Mais ce Noël là, ils étaient tous d'accord : Il fallait élire un roi, un seul, qui soit blanc ou noir, mais qui permettrait le troc de services inter-tribus et règlerait les litiges dans une paix relative.

Le banquet de cette année-là provoqua si peu de décès que le jour de Noël fut retenu pour élire le roi qui grimpera sur le trône dès l'année prochaine. Il s'appellera "Le Roi Noël", et sera élu pour un an. Puis il sera tué et mangé, afin de le remplacer par le Roi Noël suivant.

L'année se passe, rythmée par les saisons, et tout le monde attend avec impatience l'avènement du nouveau souverain.

Nous voici à nouveau à Noël et les modalités du scrutin sont mises au point. Comme ils n'ont qu'une vague idée de ce qu'est "un vote", ils décident naturellement se battre à mort le 25 décembre pour élire Noël Premier. C'est la naissance un peu maladroite de la démocratie.

Les premières années, cette "Election de Noël" était très festive, mais provoquait la mort de beaucoup d'habitants des deux tribus. L'esprit du projet n'était pas au rendez-vous: il s'agissait  quand-même d'éviter l'extinction de la vie humaine sur l'île.

Ils édictèrent quelques règles; le nombre de combattants est désormais limité à huit pour chaque camp.

Ainsi, il y avait une quinzaine de morts au maximum – ce qui était socialement acceptable – et l'un des survivants choisissait le roi de sa couleur.

Les candidats à l'affrontement n'étaient pas réputés pour leur intelligence. C'était même une sacrée bande de C … pions ! Il y avait des petits pions, des grands pions, des gros pions, des sales pions, des pauvres pions. En tout cas, tous des vrais pions.

Avec le temps, les stratégies se sont affinées. Par exemple, un de ces guerriers – peut-être un peu moins pion que les autres – a eu l'idée de pousser l'une des tours de guet jusqu'à ce qu'elle écrasât un des ennemis, rappelant le bruit d'un œuf qui se casse.

Quelques années plus tard – peut être par un effet de mode – ils décidèrent de lâcher des chevaux sauvages sur le champ de bataille : ils sautaient et se cabraient en tout sens pour écrabouiller joyeusement les soldats. Ca ne rendait pas l'élection plus efficace, mais ça permettait aux chevaux de voter aussi.

Un beau jour, les blacks entraînèrent en secret l'un de leurs meilleurs guerriers, puis ils le motivèrent au matin du combat, notamment en décapitant ses enfants devant lui, mais aussi en lui mettant des chardons dans le slip juste avant la guerre des élections.

Quel spectacle ! Le bougre était surprenant ! Ce fou furieux courait en zig-zag et attaquait par surprise en criant comme un fou. Il pouvait terrasser aussi bien un guerrier qu'un cheval, voire même renverser une tour de guet tant il était fou de colère !

Cette année-là, son roi emporta l'élection en moins de temps qu'il ne faut pour dire "dopage".

Amers, les pâles adversaires vaincus ont cherché une parade.

L'île était peuplée de passionnés de violence, mais ils vouaient tous un si grand respect à leurs femmes, qu'elles pouvaient tout se permettre.

Traverser le champ de bataille en tout sens devrait être un jeu d'enfants pour elles, avec un risque minime de se faire tuer.

L'année suivante, ils ont discrètement incorporé quelques dames dans leur troupe.

Elles étaient lourdement armées d'un tube de rouge à lèvres et d'une brosse à cheveux. Leur treillis militaire se composait d'un soutien-gorge en dentelle noire, avec string assorti et d'escarpins vernis.

Ainsi parée, elles trottaient à grandes enjambées en tout sens à travers l'île, et lorsqu'elles fondait sur leur proie dans un nuage de parfum, un baiser et une œillade suffisaient à terrasser les pires guerriers adverses.

La stratégie a fonctionné et tout naturellement, l'adversaire fou furieux entraîné comme un fou tomba fou amoureux.

Ces carnassières charnelles font tant de dégâts qu'il fût souvent chuchoté de les exclure de la bataille. Mais personne n'a osé prendre le risque de prendre un coup de talon dans l'œil, voire de les faire bouder. Les deux tribus s'accordèrent à accepter une seule femme par équipe.

Malgré ces restrictions, l'élection de Noël provoquait des pertes humaines considérables.

Alors, ils ont décidé de remplacer ce carnage officiel par une maquette.

Aujourd'hui, les deux candidats au poste de Roi-Noël se retrouvent face à face chaque 25 décembre, assis devant une planchette carrelée sur laquelle ils déplacent les effigies des tours de guet, des guerriers un peu pions, des fous furieux, des chevaux cabrés et des deux dames.

Les rois noirs et blancs eux-mêmes sont représentés par des petites pièces de bois sculpté de leur couleur respectives.

Le jeu d'échecs était né.

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