Le rôle de ma vie

Aurelie Blondel

Partie 13

En forme? Je suis totalement claquée mais la perspective que Gérald me tringle me donne un sacré coup de fouet et je veux savoir à quel point monsieur est juste un gros vantard ou si c'est le coup du siècle.

Il me passe devant et me demande d'attendre un instant. Je suis toute excitée, j'espère qu'il ne va pas me faire languir trop longtemps. J'entends du bruit dans sa chambre. Peut-être est-il en train de ranger un peu de bordel dans sa garçonnière. J'ai presque l'oreille collée à sa porte quand il l'ouvre soudainement. Je manque de me casser la gueule. Ça m'apprendra. Par contre, je m'interroge. Je ne lui trouve pas le regard très lubrique pour quelqu'un qui s'apprête à me faire jouir aussi fort qu'il le prétend.

J'entre enfin dans sa tanière. Elle est impeccable et sent hyper bon. Elle est décorée dans un style vintage que j'adore, très chaleureuse. Clairement une chambre où s'envoyer en l'air.

«Le double des clefs est sur mon lit.»

Gérald me donne cette info et je me hâte de m'allonger sur son lit. Sauf qu'il ne me rejoint pas. Si c'est un jeu, ça fait pas grimper la température… Ça ne m'amuse pas du tout. Je lui lance un regard furieux. Je n'ai pas le temps de dire un mot qu'il a refermé la porte et s'en est allé.


Son jeu, c'était juste de me tester? Savoir combien de temps je pourrais lui résister ou un truc du genre? Peut-être n'a t'il simplement pas envie de passer après son abruti de frère… Ce que je comprends parfaitement et qui fait redescendre ma colère aussitôt. Comment pourrais-je lui en vouloir. Si les femmes ne devraient jamais être les jouets des hommes, les hommes ne devraient jamais être le jouet des femmes et c'est de cette façon dont je me suis conduite avec lui. Je lui dois des excuses. Mais pas maintenant. Il est parti sans un mot, il a sûrement besoin de temps pour lui. Il a aussi sûrement besoin de retrouver un peu son espace vital que je lui mange en logeant chez lui.

J'ai le double des clefs. Je ne vais pas me morfondre. Je dois avancer. J'ai quelques projets que je n'oublie pas: avoir un travail. Je ne retournerai plus à la Criée. M'acheter une voiture, me trouver un pied à terre rien qu'à moi et retourner là bas pour raviver ma mémoire à moitié morte. J'aimerais me souvenir de Gérald quand on était môme, j'aimerais savoir ce que j'ai fait ou pas fait. J'aimerais avoir des nouvelles de ma sœur. J'aimerais aussi en avoir de ma mère et mon beau-père pour être certaine de ne jamais les croiser.

Cette idée me glace le sang. Ça ne m'avait même pas traversé l'esprit jusqu'à présent. C'est peut-être bon signe? Le signe que je suis cohérente et que je progresse dans ma quête.


Je sors de la chambre de Gérald, reboostée et les idées claires. Toujours une pointe de frustration sexuelle mais ce n'est pas la priorité après tout. Je descends les escaliers et pars me changer dans ma chambre. J'enfile une robe au hasard vite fait. Je réalise qu'il me faut un CV. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir mettre dedans.

-Ex actrice X en quête de reconversion.

-Formation: Buccale et vaginale

-Expérience: 18 ans. Fin de contrat en raison de mes 33 ans.

-Maigre expérience poissonnière à la Criée, résistante à la glace.

Pffff j'ai pas le cul sorti des ronces. Je fais une rapide recherche internet pour tenter de reformuler mon parcours. Relation client, ouverte, polyvalente, motivée… Mouais, c'est toujours mieux que rien. Ça veut tout et rien dire. On verra bien…

Je m'apprête à partir quand Gérald vient me poser un baiser sur la joue.

«Tu es ravissante Iris.»

Le ton de sa voix paraît tellement triste. Je suis autant surprise par son bisou que par sa voix.

«Gérald? Ça ne va pas?»

Il s'assied lourdement dans la canapé et se prend la tête.

«Je suis désolé Iris. J'ai pas pu. Je ne veux pas que ça se passe comme ça entre nous. Je ne veux pas profiter de toi. Tu as suffisamment subi. Je te jure que je meurs d'envie de toi. Si je m'écoutais là maintenant, tu serais nue et toute à moi. Et je suis jaloux. Tu vas sortir et trouver de quoi te rassasier et je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.»

«Hey, t'inquiète, tout va bien tu sais. Je ne t'en veux pas. On s'est enflammé en se taquinant mais je comprends. Regarde, j'ai imprimé quelques CV, j'ai épluché les petites annonces. Je pars simplement postuler.»

«C'est vrai? Je veux dire… Tu me comprends?»

«Bien sûr que je te comprends. Qui voudrait passer après tellement d'autres et surtout son frère?»

Je vois son regard s'assombrir d'un seul coup.

«Mais tu dis n'importe quoi! Ça n'a rien à voir avec lui ou les autres. Une femme est libre de son corps et de sa sexualité sans avoir à subir le moindre jugement. Ça ne la rend pas sale. Tu ne l'es pas à mes yeux. Et puis merde, pourquoi tu veux changer de taf?»

«Si c'est pas ça, c'est quoi alors? Pour le reste, t'es à l'ouest mon pote. Je n'ai plus de travail et je ne vais pas rester à vivoter ici. Je veux travailler, avoir mon appart et ma voiture.»

«T'as toujours ton travail à la Criée. C'est quand-même moi le patron. Et merde à la fin Iris. Arrête de penser à ma place ou celle des autres. C'est toi qui est complètement à côté de la plaque. Tu mets la charrue avant les bœufs. Tu as des projets et c'est formidable. Mais tu fonces droit dans le mur en t'y prenant comme ça. Tu ne te souviens de rien. Regarde ton CV. Rien n'est vrai dessus!»

«Évidemment que rien n'est vrai. Je ne vais pas mettre que je suis une ancienne star du porno.»

«IRIS!!! Tu n'as JAMAIS été dans le porno! Il est temps que tu te sortes ça de la tête. C'est sûrement plus supportable pour toi de t'inventer une vie mais c'est pas la vérité!»


J'en ai assez entendu et lui demande de fermer sa gueule. Il croit que je délire. C'est plutôt lui qui veut me donner une virginité que je n'ai pas. Il croit que je suis quelqu'un de bien. Je ne suis ni mauvaise ni bonne. Il est temps pour lui d'arrêter de croire aux contes de fées. La vie c'est pas ça.

«Suis moi!»

Je ne lui demande pas, je le lui ordonne.

«Où ça?»

«Putain mais ferme la et suis moi!»

Il se lève et je lui prend fermement la main. Aucun geste de tendresse. Je le conduis jusque dans ma chambre où je le renverse sur mon lit. Il ne s'attendait visiblement pas à ce que je possède une telle poigne vu son expression presque choquée. Mais je vois aussi de l'excitation dans ses yeux. Je me mets à califourchon sur lui, je sens son érection. Il n'y a pas que dans ses yeux que c'est excité. Je lui dis d'un ton cinglant: «Quand on fait un promesse, on la tient!»

«Tu fais chier Iris! J'ai tellement envie de toi…»

Il se redresse en m'empoignant les hanches, me gardant assise sur lui et m'embrasse avec hargne. Il en avait envie depuis bien plus longtemps que moi, c'est une évidence. Il y met tout ce qu'il a refoulé et ça me procure des sensations que je ne connaissais pas. Sa langue mêlée à la mienne me fait gémir et je me sens déjà trempée. Je suis plutôt du genre diesel habituellement. C'est très sûrement lié à l'abstinence mais j'aime ça.

«Si tu t'arrêtes, je te tue!»

«Je compte pas m'arrêter. Oublie tes projets, on en aura pour la journée.»

«Vantard un jour…»

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il m'allonge sur le lit et se cale entre mes cuisses en faisant pression avec son bassin pour que je sente encore mieux ce qu'il va me mettre. Cette fois, c'est moi qui n'en peux plus et je me presse de lui déboutonner son jeans.

«Pas si vite princesse, si je te prends maintenant, je vais jouir en trois coups de reins.»

«Dis pas des trucs comme ça, je vais exiger que tu me le prouves… Vantard.»

«Tu l'auras voulu Iris.»

Il pousse mon string sur le côté tout en baissant son caleçon, juste ce qu'il faut pour libérer son sexe et me l'enfonce profondément. Putain, c'est trop bon!

Mais il se fige et ne bouge plus.

«Gérald?»

«Chut. Je vais pas tenir, je suis déjà sur le point d'exploser. Bordel!»

En entendant ça, je me mets à onduler des hanches bien langoureusement pour le faire craquer. Je le vois se mordre les lèvres et fermer les yeux pour essayer de retenir sa jouissance mais contre toute attente, le voir dans cet état, sentir sa peau, son odeur et entendre ses râles me font monter d'un seul coup. J'ai un putain d'orgasme. Orgasme amplifié par son éjaculation et les contractions de son sexe en moi. Trois coups de reins mais l'extase. Il n'avait pas menti. Et encore moins sur le fait de baiser toute la journée. On a fait que ça. Sauvagement, lentement, encore et encore.


Il n'avait pas menti non plus sur le fait de me faire gémir plus fort que n'importe quel homme jusqu'à lui. J'espère que les voisins n'étaient pas là.
J'ai le corps rompu, les reins en compote de ses levrettes intenses et pourtant j'ai encore envie de lui.
Aussi longtemps qu'il voudra du sexe avec moi, il en aura, c'est certain.

En attendant, je suis comme une lionne en cage à me demander où il a disparu. Il est parti nous acheter de quoi reprendre des forces mais ça commence à faire un moment. J'espère qu'il ne regrette pas.

Le temps passe et toujours pas de Gérald en vue. Merde. Mon envie disparaît d'un coup. C'est sûr, il regrette. Il l'a dit, il voulait pas que ça se passe comme ça. Pourtant il a eu l'air de prendre son pied autant que moi. Peut-être qu'il n'avait pas baisé depuis longtemps tout simplement… Fais chier. J'aime pas cette idée et j'aime pas me sentir dépendante de quelqu'un. Je vais pas poireauter jusqu'à son retour en tout cas.

Je vais bouger, prendre l'air. Ça peut pas me faire de mal. Mais je ne sais même pas où aller. Enfin si, je sais exactement où je voudrais me rendre mais à pied, c'est mort.
Puis ça fait tilt dans ma tête. Il a pas pris la bagnole et j'ai les clefs. Je sors et la voiture est bien là. Je me speede de prendre la route.


Je suis seule, je conduis pour me rendre où je veux. Je peux même fumer dans la caisse si j'en ai envie, Gérald n'est pas là pour balancer ma clope par la fenêtre. Ce sentiment de liberté, c'est juste incroyable. Je me sens tellement légère. Ma vie m'appartient. Je vais y aller. Je veux absolument aller voir cette baraque de gros bourges de merde. Je veux les voir dans leur vie pathétique et hypocrite. Je veux qu'ils voient que j'ai pas eu besoin de leur pognon pour avancer dans ma vie. Ma façon de gagner mon argent était ce qu'elle était mais c'était toujours moins dégueulasse que la leur.

Comme si j'avais un GPS intégré, je trouve le chemin sans aucun problème et j'arrive assez rapidement devant l'immense portail de la maison où j'ai passé mon adolescence.

C'est bizarre, c'est grand ouvert.

J'aperçois des phares de voiture qui s'approchent et freinent brusquement devant moi, me faisant barrage.

«Qu'est-ce que tu fous ici? Dégage de là et tout de suite Iris!»

Je sursaute de frayeur mais j'ai reconnu cette voix. Je ne dégagerai pas. Je prends même le temps de descendre de la voiture pour essayer d'observer la maison de loin.
Dehors, je sens une odeur persistante. Je reconnais cette odeur. Je la déteste. Ce sont les lys. Comme dans les cimetières. Ça pue…

Je sens une main m'attraper par le bras. C'est une manie de faire ça merde, c'est pas possible. Insupportable!

«Iris!»

Le ton est monté.
On me crie dessus. L'odeur des lys. Les cimetières. Je reste figée. Des souvenirs reviennent. Des vrais. Il n'y a plus âmes qui vivent ici depuis 18 ans.


Aurélie Blondel

Signaler ce texte