Le rôle de ma vie

Aurelie Blondel

Partie 14/ Gérald

Gérald


Je suis sorti.

J'ai prétexté partir chercher de quoi grignoter mais j'avais surtout besoin de reprendre mes esprits, de prendre l'air. J'avais espéré qu'elle se souviendrait enfin de moi en lui offrant ce qu'elle voulait. Je voulais faire l'amour avec elle, pas la baiser.

Comment a t'elle pu tout oublier au point de s'inventer une carrière dans le porno?

Je n'aurais peut-être pas du m'immiscer à retrouver sa liberté. Je ne pouvais pas non plus la laisser moisir dans cet endroit glauque jusqu'à la fin de sa vie. Elle y a passé 18 ans. Personne n'est censé y passer autant de temps. Elle a perdu les plus belles années de sa vie. On lui a tout pris et tout le monde fermait les yeux. Je me demande ce qu'elle a enduré là bas pour être autant convaincue d'avoir choisi le chemin parcouru depuis son adolescence.

J'étais fou d'elle à l'époque, on était amis, même un peu plus que ça. Nous n'avons jamais été jusqu'au bout. Mes parents fermaient les yeux, ils ne voulaient pas se mêler de leurs histoires. Je reconnais que même s'ils avaient voulu agir d'une manière ou d'une autre, le fric du beau père d'Iris aurait détruit ma famille. C'est pour ça que je me suis fait cette promesse: devenir riche.

Devenir riche et suffisamment influent dans le seul but de la retrouver. J'ai crée ses emplois d'insertions, les seuls dans toute la ville.

J'y suis parvenu, j'ai trimé comme un fou, j'ai appuyé pour qu'on ne lui pose aucune question et qu'on lui dise de partir. Je n'aurais sûrement pas du. J'ai été naïf de croire qu'elle était prête. Elle ne le sera sans doute jamais, je m'en rends compte maintenant. J'ai pensé à moi, à la vouloir près de moi. Je ne vaux certainement pas mieux que tous ces autres connards qui n'ont eu de cesse de la manipuler. Est-ce que je la manipule? Est-ce que je dois lui dire la vérité? L'entendra-t-elle? Non… Elle ne me croira jamais.

Elle est avec moi maintenant mais ce n'est pas elle. Ce n'est plus la Iris que j'ai connu. Elle a sans cesse ce regard perdu, je l'entends hurler dans ses cauchemars toutes les nuits. Je suis désemparé. Je ne sais plus quoi faire pour l'aider à retrouver la surface. Devenir riche n'a rien changé pour elle. Elle déteste l'argent même. Elle se croit sans le sou alors qu'elle a un compte en banque rempli pour le reste de ses jours. Elle ne semble pas le savoir.


J'ai bien failli tout lui déballer avant qu'elle ne m'emmène dans sa chambre. Mais mon désir pour elle l'a emporté et j'ai failli. Je ne voulais pas que notre première fois se passe comme ça mais une part de moi n'a pas pu s'empêcher de me murmurer qu'elle se souviendrait de moi, que ça lui provoquerait un déclic. Il ne s'est rien passé et je suis déçu. Paradoxalement, j'ai peur du moment où elle se souviendra de tout. Je n'ai pas envie de la perdre à nouveau. Elle aura mille raisons de m'en vouloir, elle me jettera, c'est certain.

Il ne s'est rien passé… Oh que si il s'en est passé des choses aujourd'hui. Dans toutes les positions. Elle m'a tellement fait jouir que j'en ai le sexe douloureux. Je ne parviens plus à penser à autre chose qu'à nos étreintes. Iris nue sur moi, sous moi, ses gémissements, sa peau, son odeur, ses seins , ses hanches que j'ai saisi fermement pour me sentir encore plus profondément en elle, ses fesses, sa bouche. Oh mon dieu, sa bouche… Jamais une pipe n'avait été aussi bonne. J'ai frôlé l'éjaculation précoce à chaque fois, comme un ado qui découvre le plaisir sexuel. Mon esprit continue de s'égarer sur cette journée torride.

Je suis presque certain qu'elle a ressenti du plaisir, pour de vrai. Elle avait le teint rose, les pupilles dilatées… Je dois absolument me ressaisir sans quoi je vais piquer le sprint de ma vie et oublier mon gland douloureux d'extase et la prendre encore et encore. La bosse sous mon pantalon trahi mon degrés d'excitation et je n'ai pas envie de commander des sandwichs poutre apparente.

Mes pensées reviennent inexorablement vers Iris. J'ai enfin fait l'amour avec elle. J'avais tellement rêvé de ce moment.

Faire l'amour… Est-ce vraiment ce qu'il s'est passé? C'est un sentiment inexistant pour Iris.

L'amour… C'est ce que je ressens depuis mes 12 ans pour elle et rien que pour elle. Mais c'est quelque chose qu'elle ne veut pas ressentir et encore moins entendre. Je me suis réprimé à chaque coup de rein, à chaque baiser, à chaque caresse pour ne pas lui dire que je l'aime. J'espère juste qu'elle l'a compris et qu'elle ne va me rejeter maintenant. Je ne lui demande pas de m'aimer. Je veux juste qu'elle me laisse l'aimer mais à quel prix?

Je me résigne et je prends mon téléphone. Je les appelle pour leur faire part de mes inquiétudes quant à son déni et la vie qu'elle s'invente. Je leur avoue aussi que j'ai merdé, j'ai franchi la limite interdite aujourd'hui. Je ne devais pas la toucher. C'était ma garantie pour sa liberté.

Ils me répondent, ils sont furieux. Pourvu qu'ils ne viennent pas la chercher…

«Tu ne cherches que ton propre confort Gérald, c'est totalement irresponsable. Tu n'as pas le droit de diriger sa vie et la surprotéger. Tu lui fabriques un syndrome de Stockholm en faisant ça. Pas étonnant qu'elle insiste pour avoir des rapports sexuels avec toi maintenant. On t'avait prévenu, elle était pas prête. Il lui faut du temps.»

J'enrage!

«Vous êtes parvenus à quoi vous au juste avec elle? 18 ans et rien. Juste une vie qu'elle s'invente. Au final, vous avez empiré les choses. Je vous soupçonne même d'avoir crée ses délires.»

«Je te conseille de ne pas partir sur ce terrain là Gérald. Tu ne voudrais pas que ta petite sœur ait des problèmes?»

«Vous menacez ma sœur? J'ai touché juste apparemment… Vous savez de quoi je suis capable pourtant…»

«Hum. En effet. Je vous demande pardon Monsieur. Je me retire du dossier. Faites d'elle ce que bon vous semble. Ne faites rien contre nous en retour. Pitié.»

Je dois tirer la lumière sur ces 18 années. J'avais des soupçons. Maintenant, je suis pétri de certitudes.

L'avantage de cette discussion, c'est que j'ai débandé. Je regarde l'heure. Iris doit croire que je l'ai prise pour un consommable. Je dois me dépêcher de rentrer.

J'achète deux gros bagels sur la route et prends le chemin du retour. Je suis de mauvaise humeur et je ne sais pas comment je vais pouvoir lui justifier ça sans qu'elle le prenne contre elle. Je marche tête baissée quand je reconnais soudain le bruit familier du moteur de ma voiture.

Je me redresse et j'aperçois Iris au volant, le regard déterminé.

Et merde, là ça craint vraiment.


Aurélie Blondel.

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