Le rôle de ma vie

Aurelie Blondel

Partie 6

Je rentre à la maison. Maison c'est un bien grand mot. Je hais cet endroit et les personnes qui y vivent.
Ma mère me saute dessus à peine le pas de la porte franchie et me réclame son dû. Son dû… autrement dit l'argent que je récolte en tapinant pour payer sa cam. Espèce de grosse pute toxico! Si tu pouvais crever toi et ton mec. Elle me colle une énorme gifle en pleine face. C'est pas aujourd'hui que les choses vont changer.
Combien de temps encore vais-je devoir subir tout ça ?


On était une vraie famille avant que tu le ramènes chez nous. On formait une vraie famille avant de déménager chez lui. On était une vraie famille juste toi, petite sœur et moi, avant qu'il ne te fasse plonger dans la drogue. Comment as-tu pu laisser faire ça?

Je me souviens du jour où tu nous l'as présenté. Tu paraissais si heureuse. J'étais heureuse pour toi, pour nous. Il était gentil et souriant, grand et brun, classe et distingué, riche mais pas hautain, rassurant, ne souhaitant que le meilleur pour nous, nous considérant comme ses princesses. Il m'avait aussitôt scolarisée dans le meilleur collège privé du secteur. J'avais 12 ans, j'étais insouciante, tête en l'air et peu prompte à briller en classe. Dévergondée et remuante. C'est comme ça qu'il me qualifiait. Mais ça ne semblait pas le déranger. Au contraire, je le faisais beaucoup rire. Oui, il riait beaucoup. Ma mère et ma sœur aussi. Ma sœur était à l'opposé de moi. Du haut de ses 10 ans, elle était intelligente, intuitive, créative, elle dégageait une aura chaude et douce. Il avait eu la bienveillance de la laisser finir sa primaire avec ses camarades avant de l'inscrire dans le même collège que moi. Ouais, un mec bien et ma mère méritait ce bonheur.

Puis tout a basculé d'un seul coup. Ma puberté est passée par là, ma crise d'adolescence avec. Mais je n'étais pas la seule à avoir changé. Lui… Celui que j'aimais comme un père était devenu un véritable tyran. Je crois qu'il l'avait toujours été mais avait caché son jeu. Ma mère aussi d'ailleurs. Je n'ai pas su voir le moment où elle a sombré dans l'alcoolisme, je pensais que ses humeurs changeantes et son agressivité étaient liés à mon comportement difficile, trop rebelle. Je ne sais pas dans quel monde je vivais pour ne m'apercevoir de rien. Il y eu ce fameux soir. Un soir de fête. Mon anniversaire. Mes 14 ans. Tout était redevenu comme avant. Les rires, les sourires, la gentillesse. J'avais été tellement gâté! Je me souviens du vœu que j'ai fait en soufflant mes bougies: «C'est ta chance de devenir meilleure, j'ai été une peste jusque là alors qu'ils ne veulent que mon bien. En changeant, maman n'aura plus besoin de boire et de se droguer pour me supporter».

Ma fête d'anniversaire s‘était terminée tard, maman et Lou étaient parties se coucher. J'aidais mon beau-père à faire le ménage mais il avait refusé, en me souriant avec beaucoup de tendresse et me disant d'aller me coucher moi aussi, de prendre des forces car j'en aurais besoin, il y avait école le lendemain. Je ne m'étais pas fait prier et je suis partie me coucher aussitôt.

J'étais en train de fermer les yeux quand il a frappé à la porte de ma chambre et demandé s'il pouvait entrer. Il voulait me parler rapidement de mon avenir, ce que j'envisageais si mes notes ne remontaient pas. Je lui ai alors promis que c'en était fini de mes bêtises et mon laisser-aller. Il m'a pris dans ses bras pour me remercier en me chuchotant que j'irai loin dans la vie… À condition de lui obéir. Lui obéir dès maintenant. À partir de ce soir là et tous les autres, chaque nuit, il venait dans ma chambre et je lui obéissais. J'étais terrorisée. J'étais surtout prévenue que si je faisais le moindre bruit, que si je refusais ne serait-ce qu'une fois, ce serait ma petite sœur qu'il aurait.

À 15 ans, j'étais déscolarisée et je faisais le tapin. Ma mère n'ignorait rien. Juste une putain de camée. Ça faisait deux putains dans cette baraque…


La gifle de ma mère a été si forte que mes oreilles bourdonnent et je suis prise d'un vertige. Malgré tout, je m'aperçois que la maison est décorée et je lis très distinctement Joyeux anniversaire Lou, 14 ans. Je suis prise de terreur et je deviens hystérique. Je hurle sur ma mère! «Où est Lou? Où est l'autre connard? Répond sale chienne!»

Ma mère se met à ricaner et lève les yeux en direction de l'étage puis s'affale de nouveau sur le canapé, indifférente.


«Réveillez-vous madame, ouvrez les yeux». J'entends cette voix étrangère, j'essaye de la suivre mais je suis fatiguée, je veux dormir encore. «Ne vous endormez pas, accrochez-vous… DOCTEUR, on la perd!» Pourquoi cette voix crie maintenant? Je me rendors.


Je suis coupable. Je ne me suis pas souvenue de l'anniversaire de Lou alors que j'aurais dû me douter du cadeau d'anniversaire auquel elle aurait le droit. Il n'attendait que ça. Je ne l'attirais plus depuis qu'il m'avait ordonné de me prostituer. J'avais le choix. J'acceptais et Lou ne risquait rien. Si je refusais, je quittais la maison et Lou prenait ma place. Autrement dit, je n'avais pas le choix. J'ai monté les escaliers trois par trois mais la porte de chambre de Lou était fermée à clef.

Je suis redescendue, j'ai cherché partout. Je savais que ce psychopathe avait un fusil. C'était un chasseur. Un chasseur qui n'aurait jamais dû m'apprendre à me servir d'une arme à feu. Ma mère ricanait de plus belle. «Qu'est-ce que t'espère sale pute? Que je t'aide? Tu m'as piqué mon mec et tu crois que je vais te dire qu'il range tout son attirail dans le grenier?»

Aurélie B. 

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