Le rôle de ma vie

Aurelie Blondel

Partie 7

J'ouvre les yeux. Je sens et reconnais cette odeur si particulière qui se trimballe dans les hostos. J'ai horreur des hostos. J'ai l'estomac qui brûle et la bouche sèche. J'ai tellement soif que je pourrais boire la mer et ses poissons. Je me sens shootée en revanche, faiblarde.
J'aperçois la nuit par la fenêtre. Je n'ai aucun souvenir des heures qui sont passées. J'ai fait un putain de cauchemar. Le genre que je fais à chaque fois que je me mets une mine sévère. Elle devait l'être encore plus celle là pour finir en coma éthylique à l'hosto. Mais pas de le temps de niaiser. Je débranche ma perfusion moi même et dégage tout l'attirail qui me maintient comme prisonnière. Je ne sais pas l'heure qu'il est mais j'ai pas intérêt à être en retard au boulot. Va expliquer à ton connard de patron ce que tu n'es pas sûre de savoir toi-même. Il y a son frère qui me «protège» certes, mais ma méfiance ne s'est pas dissipée. Loin de là.

Je cherche mes vêtements partout sans succès. Bordel, mais qu'est-ce que j'ai bien pu foutre du reste de ma journée? Et mon sac à dos? Je passe la tête par la porte furtivement et ne vois personne. Je prends mon air le plus décontractée, comme si je me promenais dans le couloir de l'hosto et me dirige vers le poste infirmier. Si mes affaires sont quelque part, c'est là.

Je me fais un rapide résumé mentalement. Il fait nuit donc peu de monde en principe. Tout est calme, je suppose que le personnel est à la cool en train de profiter de ces rares moments de répits pour bavasser et boire des litres de café.
Je décide de prendre le risque d'y aller frontalement et advienne que pourra. De toute façon, libre à moi de signer une décharge pour sortir. Mais fuguer, c'est bien plus fun. Pas à se justifier et recevoir des sermons.
Je ressens une poussée d'adrénaline et je fonce. J'arrive au poste infirmier, pas un chat. Bonne déduction pétasse. Je cherche ce qui pourrait ressembler à un sac contenant mes affaires, j'ouvre des armoires et des tiroirs mais ne trouve rien. J'enrage. Je fais marche arrière pour regagner ma chambre d'hôpital, j'ai du mal chercher en me levant. Je fouille partout de nouveau. Rien. Mais putain de bordel de merde!!! Je veux mes fringues et me barrer. D'un coup, je percute que je n'ai pas regardé sous le lit et je me sens vraiment conne. Je me penche…


«Réveillez-vous madame! C'est pas possible». J'entends cette voix désespérée. Je ne comprends pas. Vous savez où sont mes affaires? Je dois partir très vite au boulot. S'il vous plaît, dites le moi… «Docteur! J'ai besoin d'aide. Elle gît par terre et n'est plus perfusée! Oh y'a quelqu'un?»
Y'a quelqu'un… Comme dans ces films à la con, à cons... Décidément!


J'ouvre les yeux. Je sens et reconnais cette odeur si particulière qui se trimballe dans les hostos. J'ai horreur des hostos. J'ai l'estomac qui brûle et la bouche sèche. J'ai tellement soif que je pourrais boire la mer et ses poissons.
Il y a comme un air de déjà vu. Ma tête me fait mal, mon corps tout entier me fait mal. Il y a un air de déjà vu et j'essaie de rassembler mes esprits pour me souvenir d'où il peut venir. J'aperçois la nuit à travers la fenêtre de ma chambre. J'ai une perfusion. Je ne comprends rien à ce qu'il se passe, je sais juste que je vais perdre mon taf si je reste ici. Merde, encore ce sentiment de déjà vu.
Est-ce que je suis vraiment à l'hôpital ou simplement en bad trip? Je touche ma perfusion. Ça semble réel. Les douleurs aussi. Je me redresse avec difficulté pour m'asseoir sur le lit mais j'ai la tête qui tourne et l'estomac en vrac.

«Ne touchez pas à ça!» Une infirmière vient d'entrer dans ma chambre. Parle moins fort, j'ai mal à la tête et tu m'as fais sursauter couillonne. À quoi ne devrais-je pas toucher en plus?

«N'enlevez pas votre perfusion, on s'en occupera le moment venu. Le docteur va venir vous examiner. Est-ce que vous comprenez ce que je dis?» Sa voix est plus douce, presque à la façon d'une berceuse et j'ai aussitôt envie de m'endormir. «Je dois prendre votre tension. J'imagine que vous avez soif mais il va falloir attendre un peu. Pouvez-vous parler? Me dire quel est votre nom? Votre prénom peut-être?»

Bien sûr que je sais parler. Je m'appelle Iris. Tous mes papiers sont dans mon sac et je n'ai plus du tout envie de dormir là. 

«Est-ce que vous m'entendez? Clignez une fois des yeux pour oui, deux fois pour non. Vous me comprenez?»

Machinalement, je cligne une fois des yeux. Puis je percute enfin! Je ne parviens pas à parler. J'ai la gorge en feu, l'estomac aussi. Je sens à peine mes jambes. Est-ce que j'ai eu un accident? Je vois l'infirmière soupirer de soulagement. «Votre tension est encore très basse. Vous devez absolument rester tranquille pour récupérer au mieux. Vous nous avez fait une sacrée frayeur. Vous souvenez-vous de ce que vous avez fait?»

Comment ne pas m'en souvenir… J'ai pris l'arme et j'ai tiré. Hein quoi? Je cligne une fois des yeux. «Parfait. Votre voix va revenir, ne vous inquiétez pas. Il faut juste un peu de temps, d'accord? Ne forcez surtout pas. Le médecin ne va plus tarder. Nous pouvons vous aider vous savez. Pitié, tenez à la vie, elle en vaut la peine». Je lis sur sa blouse qu'elle s'appelle Rose. Pourquoi me demande t'elle de tenir à la vie? J'y tiens, pour de vrai. Elle m'a dit tout ça en me caressant les cheveux et je me suis sentie bien à ce moment là. Une sensation familière. Comme un air de déjà vu, encore une fois. J'ai cligné une fois des yeux.


J'ai du gel gluant plein les cheveux avec un genre de bonnet en filet où sont reliés des câbles. Il fait froid et j'ai l'impression d'être assise sur la chaise électrique. Je ne suis pas de nature douillette ni à craindre de passer des examens médicaux mais là, je ne me sens pas à l'aise. Je n'ai pas encore récupéré ma voix et je suis désespérée vis à vis de mon travail. C'est sûr, je suis virée et déjà remplacée. Romane doit se faire un sang d'encre en plus. À moins qu'elle m'ait déjà remplacée elle aussi après tout. Je me sens tellement seule. Je me sens toujours confuse et incapable de me souvenir de ce qui m'a amené ici, dans cet état et à part mon prénom, je ne me rappelle plus de mon nom. Je fais des cauchemars dès que je m'endors un peu. Des cauchemars qui mettent en scène un passé terrifiant et qui paraît bien trop réel à mon goût. Heureusement qu'il ne s'agit que de cauchemars. J'en frissonne.

«Vous êtes prête madame? Vous devez rester totalement immobile et suivre toutes les consignes que je vais vous donner. Vous n'aurez qu'à ouvrir les yeux, regardez la lumière, fermez les yeux, tout ça quand je vous le direz et en ne bougeant pas. Clignez des yeux une fois si vous avez tout saisi.» Je cligne des yeux une fois. Je suis sur le point de passer un encéphalogramme, j'ai lu les consignes, c'est bête comme chou, je devrais m'en sortir. Ça devient insupportable cette façon qu'ils ont tous à m'infantiliser et surveiller le moindre de mes déplacements. Qu'ils se magnent de me passer tous les examens que je puisse me casser de cette taule où je ne peux même pas me griller une clope. Rhaaaa, j'ai envie de fumer!

L'examen est terminé et j'attends, bien trop sagement dans mon lit, qu'on daigne me donner les résultats. C'est long. Je suis de mauvais poil. Je veux de la nicotine. Plein de nicotine! Et je veux qu'on me vire cette putain de perfusion aussi. Les résultats sont bons. Bah qu'est-ce que je disais? Je prends le bloc note et le stylo qu'on m'a donné et j'écris que je peux maintenant sortir. Ce à quoi le doc me répond qu'il n'en est pas question pour le moment. Je m'apprête à lui écrire d'aller se faire foutre mais la politesse et la gratitude, mine de rien, m'en empêche. À la place j'écris: C'est quoi la suite?

Le doc me dit qu'il me faut repasser une fibroscopie, un scanner, une nouvelle prise de sang et commencer un suivi psychologique. Que quoi? Un suivi psy? En quel honneur? Je le lui écris aussitôt. Il me tapote la main et m'explique que c'est obligatoire après une telle tentative de suicide.

Je suis ici parce que j'ai tenté de me suicider alors? Ça n'a pas de sens, j'ai un but précis dans ma vie. Une mission à accomplir. Le rôle de ma vie!

J'ai tenté de me suicider… Et ma voix s'est fait entendre à nouveau «NON!!!»


Aurélie B 

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