Le rôle de ma vie

Aurelie Blondel

Partie 8

Comme si quelque chose venait de se débloquer, ma mémoire refait surface aussi fort que ma voix. «Non! Je n'ai jamais fait ça et je n'ai aucune raison de le faire d'ailleurs.»

«Vous êtes choquée et probablement dans le déni Iris, d'où l'importance du suivi psychologique»

«Vous ne m'écoutez pas bordel! Je vous dis que je n'ai fait aucune tentative de suicide!» Je frôle l'hystérie et j'ai envie de leur péter les dents!

Le docteur et l'infirmière se regardent, comme blasés et soupirent. Ils ne me croient pas. Puis je me souviens d'un élément plus qu'important. J'ai déjà un suivi psychologique. Celui qui m'a valu le coup de tampon de l'autre connasse à mon audition à coup sûr.

«Très bien, ne me croyez pas. Mais prenez la peine de contacter ma psy, le docteur Samaël. Vous verrez…»

«Le docteur Samaël vous dites? Ça signifie que vous venez de… Que vous êtes…» La phrase de l'infirmière reste en suspens. Elle a fait le lien et à son regard, je peux même mettre ma main à couper qu'elle vient de me reconnaître et se souvient aussi de mon de famille. Le mépris, le dégoût. Des expressions que je connais par cœur. Je jette un œil au doc. Il n'a pas le même regard. Il semble même compatissant. Étonnant, je suis perplexe d'un coup. Je demande à m'entretenir avec lui seul et Rose, ne tenant visiblement plus d'être en ma présence, ne se fait pas prier pour partir d'un pas ferme et bruyant.

«Docteur, écoutez-moi s'il vous plaît. Je vous en supplie, croyez moi, je n'ai pas attenté à ma vie. Je ne vous mens pas. Mais si vous ne contactez pas ma psy pour en être sûr, tant pis pour les éventuelles séquelles mais je demanderais à signer une décharge pour partir.»

«Je vous crois Iris. Je vous crois et je vous plains. Quelle vie gâchée, mon dieu! Je ne prendrais pas contact avec votre psy. Vous avez besoin de vivre et je ne compte pas entraver votre retour parmi nous.»

Mais qu'est-ce que c'est que ce délire? Il me plains de quoi au juste? Comme s'il lisait dans mes pensées, il ajoute: «Tout le monde a fermé les yeux, personne n'ignorait ce que tu endurais gamine. Les rares personnes qui ont essayé de te sortir de là ne sont plus dans cette ville. Tu n'as pas à avoir honte, à te sentir coupable et nul ne devrait te mépriser. Je suis heureux de te revoir tu sais. Mais il y a une chose qui m'inquiète beaucoup maintenant. Puisqu'il est clair que tu n'as fait aucune tentative de suicide, alors quelqu'un a...»

Je n'entends plus ce qu'il me dit. Mon esprit tourne à toute vitesse: Il me connaît depuis gamine d'après ses dires, il laisse sous entendre un complot ou quelque chose comme ça de surcroît. Si c'est une blague, elle est de très mauvais goût. Un flashback me revient. Romane… Le cachet effervescent et sa soudaine gentillesse, mon endormissement soudain… C'est le dernier souvenir que j'ai avant de me réveiller ici et d'arracher ma perfusion pour me fracasser la tronche sur le carrelage de ma chambre d'hosto. Est-ce qu'elle serait impliquée dans ma pseudo tentative de suicide? J'ai peine à le croire. Elle est, était, la personne de confiance de Magda. Magda qui s'est suicidée… Putain de merde! Je dois en parler au doc. Il semble me prendre au sérieux. J'espère me tromper mais je dois lui soumettre. Avec le recul, Magda ne paraissait pas désespérée dans les lettres qu'elles m'écrivait pour garder le contact.

Je suis prise d'une nausée soudaine et répand le contenu de mon estomac sur les pompes du doc. Et merde!

«… comme dans un Truman Show. Ça va? Iris?»

Comme dans un Truman Show… Mais qu'est-ce qu'il raconte? Il ne part pas se changer?

«Iris, vous m'écoutez?»

«Pardon docteur, je me suis perdue dans mes pensées. Je crois que je recolle les pièces du puzzle. Je suis désolée, je ne voulais pas vous vomir dessus.»

«Ce n'est rien, ça peut attendre un peu. Les risques du métier ma belle. Ecoute, je ne veux pas de problème mais suis ton instinct. Tu ne sais même pas comment tu es arrivée ici et tu n'as même pas demandé. Un certain Gérald, je crois, a appelé les pompiers en te retrouvant inerte dans ta chambre chez Romane...»
Je lui coupe aussitôt la parole et lui fais part de mes soupçons quant à Romane et le suicide de Magda.

«Tu vises peut être juste, mais n'en parle à personne et surtout, ne reste pas chez elle, au cas où. Trouve toi un hôtel, c'est préférable. Je t'aurais bien accueilli chez moi, mais si on me voyait en ta compagnie… Tu comprends… »

C'est étrange, Gérald a prévenu les secours. Pourquoi était-il dans ma chambre? Qu'est-ce qu'il venait y faire? Me sauter? Il m'a aussi mis en garde contre Romane. Je m'en souviens, c'était le même jour… Il ne t'arrivera rien de bon. Mais, et si c'était lui le problème? Il a connu Magda après tout.

«Je dois prévenir la police!»

«Surtout pas! Je t'ai dit qu'ils fermaient tous les yeux sur ce que tu endurais. Les premiers à l'avoir fait, c'est bien eux, tu t'en rends compte j'espère?»

Alors mes cauchemars seraient une partie de ma vie que j'aurais refoulé? Non, c'est impossible. Ce genre de chose ne s'oublie pas. Encore moins être l'assassin de sa petite sœur…

C'était le même jour… Mais quel jour sommes-nous au fait? J'interroge le docteur et lui demande où sont mes affaires au passage. «En sécurité.» C'est la seule réponse que j'obtiens et deux semaines se sont écoulées depuis mon admission aux urgences. Deux semaines, putain. C'est officiel, je n'ai plus de toit et plus de boulot. Je me résigne à rester hospitalisée pour finir mes examens et partir sans faire de bruit dès que j'en aurais le droit. Ça me permettra de finir de recoller les morceaux, en tout cas essayer. Je vais être attentive aux bruits de couloirs en tout cas. Une fois sortie, j'improviserais. 


Mission numéro 1: Savoir avec certitude qui a essayé de me tuer. Appelons un chat, un chat, c'est ce qu'il s'est passé. Vu mon passé, je peux comprendre que certaines personnes me préfèrent loin d'ici. De là à vouloir me tuer, c'est gros… Sauf que c'est possible, si c'est ce qui est arrivé à Magda. Cette pensée ne me quitte plus désormais.

Gérald m'avait aussi dit qu'il ne la trouvait pas pourrie comme moi. Gérald a dit bien des choses pour un muet. Un soit disant voisin d'enfance… qui semble en savoir plus que ce qu'il dit. Je dois lui parler de nouveau. Et il me faut mon portable pour ça. N'étant pas si naïve, je sais que demander au doc de le récupérer, c'est couru d'avance, il me dira non. Il craindra trop que je contacte les autorités ou je ne sais qui. Autant le laisser dans sa parano. C'est pas net non plus son explication à la Truman Show de toute façon. Une ville entière impliquée dans de la pornographie… C'est que du porno hein, faut pas non plus me prendre pour une bécasse. J'ai pas le bec aussi long. Il a juste honte d'avoir maté mes films et prouesses, je l'ai peut-être fait bander aussi. La raison est aussi bête que ça. Il veut garder une image propre. Faux-cul va!

Je vais simplement réclamer mon paquet de clopes. Là il ne pourra pas refuser et je saurais où sont mes affaires pour reprendre mon portable.

Mission numéro 2: Recoller les parties manquantes de ma jeunesse. J'ai oublié pas mal de choses, c'est vrai. Mais je me rappelle très bien avoir embrassé la carrière d'actrice X de ma propre volonté et avoir défrayé la chronique. Un choix de vie, dans une petite ville faussement puritaine, qui me vaut tout ce mépris et ce dégoût.
De l'argent sale dont personne ou presque ne veut ici. 


Aurélie B

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