LE ROUGE-GORGE

saurimonde

Cela fait longtemps que le fait d'être en vie me hante

                                              PRÉFACE

Je vous avertis que l'histoire que vous êtes sur le point de découvrir dépasse tout entendement, elle ne relève que de la fiction, l'univers est inventé, les personnages qui s'y trouvent n'existent pas et s'ils existaient devraient être mis de suite hors d'état de nuire ou être abattus dans l'immédiat car ils sont d'une dégénérescence telle que si l'on permettait sa propagation  le monde sombrerait dans des abysses innommables, ses ruines ne laisseraient plus place qu'à un indicible chaos. 

La création de cette histoire est une erreur et n'aurait jamais dû même voir le jour ou avoir été imaginée mais par inadvertance elle naquit sous le joug d'une folie morbide et n'est le fruit infâme que de la maladie, de la vomissure d'une démence sans nom. Vous n'apprendrez rien, perdrez votre temps et sa totalité est détestable, déplaisante. Ceci dit l'histoire ne devrait pas vous attrister car les personnages sont laids, fous, inhumains et leur malheur n'est donc que tout naturel. Aussitôt que cette romance immonde déjà évanide se soit refermée, son microcosme n'existe plus et retourne au néant là où elle aurait dû sommeiller sans normalement ne jamais se réveiller.

Chaque page est désagréable, ridicule, miroite seulement une bribe d'une pensée perverse, amorphe, incomplète. Sa lecture est ennuyante : une imbécillité criante fait place de façon vivace au sein de l'oeuvre décadente et j'espère que quand son papier maculé d'horribles et ignobles écrits sera jeté au feu, que l'idée de ne serait-ce que le linéament d'une veinule des méandres d'un monde pareil ne soit seulement jamais plus rêvé. 




                                   LE ROUGE-GORGE





Quand je chiais parfois je pouvais entendre dans la pièce d'à coté, dans la salle de bain, ma mère qui par impatience pissait dans la baignoire. Elle n'avait même pas la décence d'au moins faire couler l'eau, ce qui pourrait me retirer l'indisposition de l'entendre faire. Il paraît que lorsqu'on ne ferme pas la cuvette quand on tire la chasse d'eau des minuscules morceaux d'excréments voltigent de part en part. Dans les chiottes déjà il y avait des traces sur les murs on pouvait pas bien dire si c'était des traces de merde ou de pisse, parce que les couleurs s'étaient étiolées, c'est sûrement ce qui avait dû donner cette couleur blafarde aux murs parce qu'on ne la fermait jamais. Le papier-peint était en charpie par endroits mais c'était juste une pièce pour chier après-tout. 

Le papier peint était déchiré dans d'autres endroits de l'appartement, il y avait des bosselures aussi. C'était un HLM ni trop exiguë ni bien évidemment trop grand. Il ne s'y trouvait jamais d'odeurs plaisantes, seulement parfois les senteurs de quelques simplets repas.  

 — T'as déjà bouffé tout le pain ? me lançait ma mère en entrant dans la cuisine de son pas balourd, elle était grosse.

 — Il restait que 4 tartines, j'ai répondu. Nos échanges étaient rares, rapides, et n'étaient que mondanités de notre milieu social. C'était certain que c'était des discussions peu profondes, mais ça c'est comme avec tout le monde. Puis on ne peut pas dire à sa mère, à 18 ans :  «Maman, je me languis du temps où je n'étais pas né.»  J'étais la plupart du temps dans ma chambre, elle était clairsemée de chaussettes sales et de fringues éparses en boules dans ses recoins. Bien sûr aussi la pièce était envahie de moutons agnelés par la poussière peu souvent époussetée. Mais c'était dans cet espace fermé, coupé du monde, que je me sentais le plus à l'aise. Je ne pourrais pas dire le plus chez moi parce que je ne m'y sentais pas chez moi ; l'on dit que chez soi c'est là où le cœur va. Moi il n'allait nulle part, j'habitais ici depuis toujours mais mon cœur n'allait certainement pas là. Emprisonné ici j'oubliais que j'y étais en faisant mourir le temps de multiples façons,  mes seules relations étaient les mouches mortes qui s'étaient accumulées, j'écoutais de la musique, je jouais aux jeux vidéos ou alors bien au contraire je savourais l'amertume du temps qui passait où, en restant allongé dans mon lit je fixais le plafond. C'était les moments où le temps se défilait le plus longuement, on pouvait presque le voir en se concentrant bien. J'étais un homme qui dort. J'étais plutôt laid, l'air idiot, mal coiffé, le teint terne, les dents jaunies, l'expression cadavéreuse ainsi qu'un aspect malingre avec une physionomie n'inspirant peu de sympathie voir même une physionomie hagarde. On se fait peu d'amis quand notre tête ne revient à personne et qu'on est pauvre. A l'école déjà les bougnoules n'arrêtaient pas : je me battais souvent avec eux.

«Sale blanc !» ,  «Gros porc !» etc. 

J'eus déjà fait ami avec un clochard qui était pas loin de mon âge, très maigre, étique, le visage famélique, qui avait rarement les cheveux lavés mais qui était d'une nervosité fulgurante : il était en possession à chaque nouvelle rencontre d'une nouvelle lame, couteaux ou cutters. J'avais était pris dans l'émotion lorsque j'eus appris qu'il était sans abris, sans familles, la première fois que je l'avais trouvé. Mais je pus constater qu'il était bien plus heureux que quiconque j'avais bien pu rencontrer jusque là. Il connaissait même beaucoup de gens. Il vendait de la drogue et se faisait même plus d'argent que moi. Moi je ne faisais aucun argent. A chaque fois nous nous retrouvions à faire des combats de couteaux en plein centre-ville les passants toujours s'éberluaient en contournant la rixe pantomimée. 

 «Moi au collège j'ai déjà tapé la prof, je l'ai défoncé parce qu'elle m'avait mal parlé, PWAH je lui en avais mis une en pleine gueule.» ; «Aussi une fois un des mecs de la classe je lui avais éclaté la tronche sur son bureau.» ;  «J'ai déjà défoncé un de mes amis aussi, mais il l'avait mérité.» ;  «Viens on balance des cailloux dans le trou là. »

Je laissais toutes mes affaires par terre pour aller sur le chantier, prendre les pierres pour les balancer dans le trou qui menait aux égouts, c'était une activité qui permettait de se sentir à nouveau insouciant. J'appréciais, je me fichais des gens qui passaient et regardaient. Un jour il a cessé d'apparaître.

Je finis par faire peur aux gens de mon lycée, j'ai arrêté d'aller en cours, je me suis retrouvé plongé dans l'inanité la plus totale. J'étais en pleine dépersonnalisation et  déréalisation [La dépersonnalisation et la déréalisation sont des troubles qui font que les personnes qui les expérimentent se sentent éloignées et déconnectées de la réalité. Les troubles de dépersonnalisations impliquent une distorsion des perceptions corporelle et sentimentale, ainsi que de la pensée. Les personnes sujettes à ces troubles se sentiront comme éloignées d'elles-mêmes, comme en dehors de leur propre corps. Elles peuvent même parfois se percevoir de l'extérieur de leurs corps comme si celui-ci était un automate ou un robot, comme si elles étaient dans un rêve. Réaction naturelle et immunitaire qui peut parvenir après une prise conséquente de stupéfiants ou cas grave de dépression.] Dans ma chambre des sentiments vinrent s'exacerber. Le désespoir,  la léthargie,  laissèrent petit à petit place à une haine frénétique. J'avais toujours eu de la jalousie et de l'aversion pour ceux à qui tout avait été donné : une famille, de l'amour, des biens matériels, ceux qui étaient considérés, à qui on apportait de l'importance. Puis surtout une haine pour les femmes et leur naïveté insouciante, leur surprotection : déjà au collège j'ai la remembrance de leurs airs hautains à qui jamais ils n'avaient été causé de torts. Pourtant les professeurs les privilégiaient tandis que j'étais toujours proie à différentes attaques et remarques déplacées, parfois même à des humiliations.

Malencontreusement les suicides n'avaient alors pas fonctionné jusque là : la première en me jetant la nuit au devant d'une voiture qui allait à toute vitesse. La voiture s'arrêta, celle qui suivit derrière la percuta et je m'enfuis. Une autre en tentant un saut d'un pont : inopportunément j'étais souffreteux du vertige qui laissait place à des comportements irraisonnés tels que la paralysie.  Je songe souvent à me trancher la gorge, ce serait une belle mort, jusqu'à ce que ma gorge soit entièrement rouge comme celle du rouge-gorge. 

Dans l'immeuble, l'appartement rapproché faisait bruits à travers nos fins murs : Un père fort souvent alcoolisé, une mère silencieuse et un gosse trisomique y habitaient. «Putain de gosse de merde, l'autre fois quand je suis entré dans sa chambre il essayait de se sucer la bite !» L'alcoolisme était jumelé fréquemment par une agitation. «Calme toi ! S'il te plaît, calme toi !» c'était ordinaire d'entendre la bonne femme quémander au paternel de rester flegmatique.  «Cette merde de gamin j'aurais du te le terminer dans le cul, salope !» c'était couramment à ce moment qu'on entendait et ressentait les trépidations à travers les résonances dans les murs. Le gosse avait peu d'allure, quand on le croisait dans l'ascenseur il était toujours la tête baissé à regarder son téléphone, il était bouffi avec les cheveux courts et foncés, des lunettes grosses, rectangles, noires. Sa doudoune marine ainsi que son jean large devaient bien cacher quelques boursouflures. La concierge tenait toujours ce regard mauvais quand les yeux se croisaient avant de continuer à repasser la serpillière. Au dehors les gens étaient atrocement peu regardables, joggings, couleurs fluorescentes, vêtements de sports, cheveux courts pour les hommes avec souvent le dessous du nez duveteux, généralement cheveux teints couleur pisse pour les femmes. Dans un renfoncement non loin souvent une pute se piquait, habillée d'une veste en cuir noire, des bottes noires avec une jupe courte. La ville comportait aussi même sa folle patentée, elle dégosillait souvent des sons stridents inintelligibles, elle était fortement déguenillée par de vieilles hardes grisées et ses cheveux blancs étaient charbonneux, souillés par l'écume de la rue. Je pus une fois l'entrapercevoir quand je revenais des cours bouffer ce qui devait être sa propre merde. Les journées dans cette petite ville dégénérée étaient crassineuses et les nuits fuligineuses.

Pour revenir sur les vêtements, ainsi que toute apparence : il est dommage pour celui qui diffère du style, qui diffère de manière générale au milieu auquel il appartient : en effet il s'agit d'une différenciation d'un personnage pour que l'instinct grégaire de chaque imbécile dont la masse en est pousse à le réprouver voir qu'il soit sujet à des agressions physiques ou verbales qui visent à l'ostraciser ou à le détruire. Soit on ressemble aux autres soit pour celui qui ne peut s'identifier aux autres s'affecte une sérieuse déréliction ; heureusement internet rassemble les semblables entre eux : généralement un quartier général pour les déchets ceux-ci y voient un chez eux qui leur est propre. L'anonymat désinhibe. Souvent ici l'Homme montre sa vraie nature. Myriades de pornographies en tout genre : homosexualité, orgies, grosses bites, femmes obèses ou vieilles ou les deux, nains/naines, transexuels, animation 3D, réalité virtuelle, viols, pédophilie. Il y en a pour tous les goûts allant jusqu'à toutes les turpitudes imaginables. Elle est d'accès aussi bien chez les vieillards libidineux que chez la vierge, allant jusqu'à  la sexualiser de façon précoce, celles-ci s'en éprennent de plus en plus jeunes et peuvent parfois prendre plaisir à envoyer des photos ou vidéos d'elles nues sur différents sites. Personne n'assume cette réalité puisque au dehors les gens n'agissent comme s'il n'était rien pendant que l'avilissant progresse aux alentours. On peut trouver des sites où des gens répondront aux demandes des internautes : se scarifier, se dénuder, avoir des pratiques sexuelles. Parfois gratuitement parfois contre de l'argent. J'en étais friand, j'ai beaucoup plus vécu sur internet qu'en dehors. N'oubliez pas que je ne peux pas voir qui je suis, et que mon rôle se limite à être celui qui regarde dans l'écran.

Les coloris blafards de la ville ainsi que ses grisailles sur  mon esprit faisaient resurgir ses déboires pour les étouffer sous un blizzard d'aigreurs moroses. Mais le soleil me déprimait davantage. Il pouvait par ses éclats donner parfois l'encouragement d'un pas vers la beauté mais toujours cette imagination était vaine ; ses percées à travers les nuages noirâtres finirent par m'aiguillonner le cœur à chacune de ses apparitions, l'envenimant d'une âpre et inapaisable mélancolie. Il fallut à chacune d'elles fermer les volets. Par l'ébène la plus insondable les rêves finirent par s'évanouir dans le néant — ils s'ensablèrent dans l'oubli. 

J'ai essayé de me révolter. Je me poussais aux activités sportives régulières, l'alimentation la plus adéquat qui soit mais aussi à me dépasser en toutes formes. La forme de la beauté par de multiples soins du visage, des cheveux , du corps. En passant même par l'élévation intellectuelle par la lecture assidue de bouquins en tout genre. Pour me procurer ces différents colifichets je fus devenu expert en matière du vol. Il suffisait de s'habiller d'un vêtement un minimum large, de mettre les objets dans le devant du pantalon puis en sortant du magasin les objets étaient à moi.  Pour les gens qui y travaillent rien qui n'est intrinsèque au magasin ne leur appartient : ils font leurs heures, n'en branlent le moins possible et touchent leur paie. La sécurité n'est pas tant sécurisante, les caméras regardent sans regarder. Les rares fois où je pus être attrapé je fus juste prévenu de ne plus recommencer sinon la police serait appelée : dans la réalité ceux-ci étaient pantouflards dans les démarches à entreprendre et puisque les vigiles changent assez souvent la problématique est moindre : tout est gratuit à celui qui sait prendre.

Cependant je ne veux toujours pas travailler, je n'aime personne, ma misanthropie m'empêche d'être ceins par des hommes et des femmes. Je ne sais pas sourire pour être aimé et je me fiche de chacun. Certains sont doués avec les rapports humains, pas moi, je ne le serais jamais. Gardez  ça à l'esprit  : je veux voir ce monde brûler. Ils diront que je suis un psychopathe! Vous êtes ceux qui ont cherchés à me détruire en premier. 

 — Encore dans ton lit à rien faire ? Ma mère était entrée dans ma chambre. Tu dois faire quelque chose.

 — Laisse-moi tranquille, occupe toi de ta vie ! Je lui répondis par les foudroiements d'un ton dédaigneux. Trouve quelque chose à faire, ne te préoccupe pas de moi, fais comme si je n'existais pas et trouve quelque chose à faire ! Tu ne fais rien d'autre qu'être dans ton lit toute la journée à regarder la télévision, tu as au moins autant d'avolition que moi ![L'aboulie, parfois également appelée avolition, est un trouble neurologique qui se traduit par un affaiblissement brutal ou progressif de la volition pouvant aller jusqu'à sa disparition totale, entraînant une inhibition de l'activité tant physique qu'intellectuelle.]

La télévision conçoit une grande malfaisance pour le cerveau humain. Pour palier l'ennui, un nombre surnuméraire de personnes s'adonnent à son divertissement avilissant. L'abêtissement sus-cité est en France pratiqué en moyenne 3h47 par jours. Ces léthargies répétées ne sont pas sans conséquences, tous les champs sont touchés, de l'intelligence à l'imagination, en passant par le langage, l'attention et la motricité dudit cerveau. Le cerveau ne s'organise pas en en observant le réel mais en agissant sur lui. Dans l'insane lobotomie qu'est de prêter attention à cette géhenne en boite il y a l'augmentation du sentiment d'insécurité. En effet, soumis à des tensions émotionnelles l'individu enregistre mieux les messages publicitaires, se voit plus aisément manipulable. A la fin, le quidam est conditionné, son imagination éteinte, son agressivité augmentée, il est prêt à consommer. Cette déchéance abyssale par le sinistre intellectuel condamne à n'être qu'un ménechmes des élucubrations télévisées, elle suffit à l'infâme qui n'est plus qu'un pantin chamaeleonidae. Assujettis par un monarque sordide, visible et invisible, nulle part et partout, ces cervelles flétrissantes ne sont plus que l'allongement du reflet d'un dieu inepte.

Ces derniers ors du soirs sont rouge écarlate. Je les ai vus dernièrement par des moments d'hébétudes mais ils ont fini par m'obséder. Ce soir dans le ciel se mélangeait un camaïeu de bleu et de vert,  au loin un drap pourpre coulait dans l'horizon. J'eus la sensation que ce vin vint couler directement en mon cœur, une angoisse terrible me prit, jusqu'à me rendre totalement saoul.  Je sortis dehors et je me mis à courir. Je compris qu'on n'échappe pas au temps ni aux souvenirs. Je courus jusqu'à m'exténuer et dehors même après avoir couru à m'époumoner je vis encore ces sales bâtisses qui me répugnaient ainsi que ces gens dégueulasses qui sont les mêmes.  Je vis ma tête dans une glace, je me demandai : « Suis-je la même personne qu'eux ? Je ne m'aime pas. »

 — Hé p'tit fils de pute !

Ahuri, je me retournai. Devant-moi se présentai deux individus qui sont ceux qui s'habillent du genre sportif mais qui ne sont pas sportifs avec des têtes et des accents d'arabes. Cela devait certainement être deux des dîtes chances pour la France qu'on parle à la télévision. C'est celui le plus en avant qui m'eut hélé visiblement. Sa bouche était encore entrouverte, il s'avança vers moi à la manière d'un cowboy prêt à en découdre.

 — Tu fais quoi dans mon quartier p'tit fils de pute ? 

Je ne répondis rien, il continua de s'avancer jusqu'à arriver devant moi : il me décocha instantanément une droite en plein dans le visage « bâtard ! » gueulais-je en vacillant vers la droite, me retenant de tomber. 

 — T'as dis quoi là ? T'es mort fils de pute.

Ils me chargèrent, je manquai de lui en foutre une de toutes mes forces sur le visage. Leurs coups de pieds me firent tomber au sol. Bombardé de coups j'étais dans l'incapacité de me lever, je pus seulement protéger mon visage avec mes avant-bras.

La rue n'était pas vide, des passants émasculés ça et là marchaient de façon débonnaire. D'autres badauds curieux venaient flâner en visionnant la rixe déloyale mais de pas trop près.

Impuissant je tentais de me relever comme je pouvais,  avec frénésie, les dents serrées et le visage renfrogné mais rien à faire les bordées de savates qui m'étaient portées ne me laissèrent pas même la chance de pouvoir en agripper un par la jambe pour le faire tomber au sol ; les myriades de coups me firent bientôt perdre connaissance, c'était ceux données à l'arrière de la tête qui commencèrent à me faire  voir un hideux paysage tourbillonnant. C'était sûrement la fatigue qui les firent arrêter et la peur d'être pris la main dans le pot de confiture par la police qui les firent partir. Je sentais être comme de la bouillis tartinée à même le sol, chaque mouvement lancinait mon corps endolori,  j'étais aussi fiévreux que si l'on m'avait fait tremper mon cerveau dans de l'huile de friture bouillante. Souvent on pense qu'on ne peut pas tomber plus bas mais les immatérielles abysses n'ont aucun fonds.  J'aurais aimé aller plus bas encore en ayant été assez liquéfié pour couler dans le caniveau jusqu'aux égouts pour nager avec les excréments, c'était une promiscuité qui me semblait plus appréciable.

Cependant à la place je restai à cet endroit précis sur le sol pour une heure entière au moins sans bouger le cil.  Environ 23 heures, la température ne tenait pas froid, on était à la fin d'un autre été gâché. J'étais juste un dépravé allongé par terre , cassé comme déjà bien d'autres avaient dû l'être dans l'ère du temps avant moi. La vraie question était de savoir si j'étais plus abîmé physiquement ou psychologiquement. Au dessus, dans le ciel il y avait quelques cirrus homogenitus dessinés par des avions transportant sûrement des gens qui avaient le pouvoir de partir, faire semblant de vivre, ainsi que des fusées qui s'alunent et des étoiles qui s'allument. Dans les maisons environnantes peut-être des gens qui s'aiment étaient réunis, partageaient un repas, un lit douillet et se caressaient, s'embrassaient et que la cécité de leur amour les empêchaient de voir les atrocités aux alentours. Ou peut-être que ces avions, ces fusées, allaient s'écraser brutalement après avoir pris feu faisant périr dans d'interminables souffrances ses passagers, que ces étoiles sont toutes mortes, que dans les maisons environnantes se trouvaient en fait des hommes et des femmes seuls qui meurent chaque jours de solitude.  On dit que les maux sont les reliquats d'une félicité disparue, je ne me souviens pas de ce spectre :  soit que ce fantôme se soit échappé par les heures au plumage noir, soit qu'il n'ait jamais existé. Mais parfois il m'apparaît subitement et j'étouffe sous son voile de tristesse et d'angoisse.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH! Je déteste tout, je n'ai jamais voulu naître, j'aimerais redevenir un enfant. Me défaire de ces affres, retrouver l'insouciance ou n'être jamais venu au monde. 

Je dus faire un effort surhumain pour clopiner jusqu'à chez moi, sur la route rien que le déluge du silence et les HLM m'obombrant dans une pénombre écrasante. Au tournant d'une rue j'aperçus un sdf très certainement atteint de dysenterie qui accroupi se laissait aller, sur les quelques secondes où je lui prêtai le regard il éjecta une déjection si ruisselante qu'elle lui dégoulina jusqu'à ses écrase-merdes. Probablement un inconvénient mineur pour lui, je passai en faisant comme s'il n'existait guère, comme chaque autre personne fait avec ces gens-là, habitué à ne pas exister ma présence même n'avait dû le déranger.  

 — Hé !

Le sdf m'interpella, il avait déjà remonté son pantalon large, à moitié déchiré sur le flanc gauche. Il avait un visage terne et sombre, dans la pénombre les traits de son visage étaient imperceptibles.

 — Un petit sourire au moins s'il vous plaît 

Je restais de marbre, je me fichais de ce qu'il voulait. Un nuage se mit à obstruer les rayons lumineux de la lune. Je n'avais plus que l'impression de faire face à une ombre évanide. 

 —  On se sent seul dans la rue se mit à souffler la tâche noire, il n'y a plus d'humanité, les gens vous regardent de haut. Mon ami s'est tué la semaine dernière, c'était le seul que j'avais jamais eu. C'est dur d'être un homme. Je me demande pourquoi ici en France 75% des suicidés sont des hommes et 95% des sdf sont aussi des hommes. Je..

 — Je m'en fiche, vraiment, fis-je en l'interrompant, les lèvres livides restant immuables, ne souriant pas.  L'humanité entière disparaîtra. Que ça soit à la rue dans la nuit ou au milieu des foules la solitude reste la même.  

Je m'en allai et ne ressentis dans la nuque pas le souffle d'un autre mot mais seulement celui d'un vent qui semblait s'être refroidi.

Après avoir été gâté des savoureuses exhalaisons du vestibule suintant le jus de poubelle pourrissante, aux effluves de pisses émanant de l'ascenseur, j'arrivais enfin à mon appartement. Ce fut l'odeur d'alcool fort qui remplaça toutes les autres : en effet ma mère enfermée dans sa chambre buvait. Je l'entendais faire de petits sanglots. D'autres bouteilles étaient entamées sur la table du salon. Scène peu rare dont j'étais acclimaté déjà et qui date déjà d'autrefois. Je n'intervins pas, je ne dis rien. Je n'ai jamais rien fait en ces cas-là. Je ne l'aime pas. Je préfère écouter de la musique pour ne pas l'entendre. Je l'ignorais comme elle m'avait toujours ignoré. Cela faisait deux jours que je n'avais pas dormi, je me posai dans mon lit comme je pus : je me laissai tomber. J'étais allongé sur le dos de tout mon long. Mes bras ensanglantés tachèrent les draps. Tant pis. Chez les gens angoissés il est dangereux de dormir sur le dos car la position est propice aux paralysies du sommeil. [La « paralysie du sommeil » est un trouble du sommeil qui advient à l'endormissement (état hypnagogique) ou au réveil (état hypnopompique). Caractérisée par l'impossibilité de bouger ou de parler, elle est souvent associée à une sensation de présence inquiétante et à des hallucinations. L'état de paralysie dure généralement de quelques secondes à plusieurs minutes.]

Noir, étouffement.

Trop faible, asphyxie. Ne peux bouger du lit, je tape le mur faiblement pour appeler à l'aide.  répété, voix étouffée et aiguë. Personne n'entend. Douloureux. Je vais mourir comme ça. Quelqu'un arrive je crois, de malveillant, peur, je sens la chose qui se rapproche.

Réveil, chambre normale, paralysé.  Je regarde la porte, je cligne des yeux, la porte est entrouverte, je vois des ombres, des formes. Impuissant, angoisses. Evanouissement.

Noir, pleurs.  Je sors de la chambre, la lumière ne veut pas s'allumer. Y a-t-il un monstre derrière la porte du couloir, la chambre de ma mère ? J'ouvre, une forme sombre apparaît. J'essaie de la prendre dans mes bras. Sévèrement me pousse dehors et ferme à clef. Seul dans le noir, je ferme les yeux. 

Au matin, il n'y avait personne. Les douleurs dans mon corps ne sont plus là et déjà je pense à comment je pourrais me venger des singes qui m'ont attaqué. Un marteau ? Un couteau ? Non, une hache ! J'étais animé d'une psychose passionnée mais surtout inflammable, [La psychose est un terme générique psychiatrique désignant un trouble ou une condition anormale de l'esprit, évoquant le plus souvent une ou des obsessions avec pour résultat une « perte de contact avec la réalité »] une fois la hache aiguisée avec soin j'essaie son tranchant en l'enfonçant dans le mur de ma chambre : Tchak! La hache s'est enfoncée dans le mur comme dans du beurre, elle en ferait sûrement de même dans leurs crânes vides. Cette idée m'enjoua fortement et fît frapper mon cœur sur ma cage thoracique comme un tambour de guerre. 

Sans cacher l'arme je me ruai au dehors pour retourner dans le quartier dans lequel je me trouvais hier soir, sans prêter attention à rien autour de moi.  J'aperçus enfin qui arrivait face à moi un des deux arabes. Il s'arrêta et dit :

 — Ah c'est toi qu'on a défoncé hier soir. Il avait un léger sourire, ses mains étaient dans ses poches. Il n'avait pas remarqué que je portais la hache en ma main droite, je la levai plus haut puis courus sur lui : de grands yeux se dessinèrent sur son visage ainsi qu'une grimace crispée, il se retourna pour tenter de fuir mais j'étais déjà arrivé sur lui et lui enfonçai la hache à l'arrière du crâne. Il lâcha un souffle au même moment et tomba en avant la tête la première. Je me jetai sur lui, à genoux je lui assénai ce qui me semblai une centaine de coups au même endroit où j'avais frappé, le sang jaillissait abondamment. Son cerveau se mit à apparaître et à éclabousser mon visage. Ses yeux sortirent de ses orbites pour se mélanger à la mélasse de sang et de cervelle au sol. Je me relevai hors d'haleine, le buste et le visage ensanglantés puis regardai au devant de moi, ses amis regardèrent pétrifiés la scène sans oser intervenir, je me mis à courir jusqu'à chez moi sans me retourner. Une fois arrivé chez moi je fonçai dans ma chambre, le sang sembla comme couler dans mon nez et dans ma bouche, j'utilisai le drap pour me nettoyer et mis la hache sous le lit. Je me rallongeai sur le dos, après un court silence, je riais. J'avais une douleur dans la mâchoire. Mes lèvres livides étaient déchirées en un sourire hyperdiabolique  : j'avais aimé. Je m'endormis.

Des coups de poings martèlent la porte. Immobile. Incapable de bouger. Quelqu'un hurle. Les coups vont faire effondrer la porte. Quelque chose va s'en prendre à moi. J'aimerais pouvoir me défendre mais je ne peux pas. La porte s'ouvre en grand et claque contre le mur. Un monstre s'élance en criant. 

Somnolant je me lève, je devais avoir halluciné. J'avais une angoisse naissante en moi c'était celle de me faire retrouver par la police, mais s'ils savaient déjà l'endroit où je logeais ils seraient déjà arrivés. Il faisait déjà sombre au dehors. En y repensant j'aurais pu en tuer bien plus de ces vermines avant de m'enfuir. Le goût du sang était délicieux. Quelque chose me poussait à tuer de nouveau. Je regardais par la fenêtre, il n'y avait âme qui vive. Je pris un couteau que je mis dans ma poche puis sortis. 

Quelques nuages discrets et gris étaient cousus dans un ciel décoloré, la lune regardait les toits de son œil grand ouvert. Le vent, craintif, ne frôlait que faiblement, le soleil était encore loin de se dessiner ; ce soir les étoiles avaient préféré s'emmitoufler dans l'obscurité, sous un drap noir de jais.

Cette nuit, j'allais dans la pénombre d'une démarche peu sûre, agitée d'un zèle fiévreux. Habillé d'ébène je me fondais dans les ombres. Je me mis à suivre une femme aux cheveux sombres et lisses, illunés, des clartés blanchâtres s'y reflétaient. Ils arrivaient au bas de sa nuque. Sa silhouette était fine, elle était dépourvue de formes, cependant elle arrivait tout de même à houler sa croupe. Elle avait un genre vestimentaire détestable : c'était le même que toutes les traînées génériques de cette ville. On était jonché par la droite par de hautes broussailles, c'était une haie qui était suffisamment longue et impassible pour les coups d'œils, puis par la gauche on était avoisinés d'un canal qui s'étendait éperdument, allant baiser la mer.
J'accélérais le pas, la main posée sur mon couteau qui se trouvait dans la poche intérieure de mon manteau, accotée à mon cœur. La fille n'était plus qu'à une trentaine de mètres mais au fur et à mesure que je m'approchais l'anxiété m'estomaquait. Un froid m'enveloppait, des frissons glaçants parcouraient les veines de tout mon corps. J'arrivais bientôt à portée de bras de la déplaisante créature mais elle me remarqua. Elle doubla le pas, je me sentis me décomposer. Toujours était-il que c'était le moment parfait, l'endroit était fort ombragé ainsi qu'à l'abris des regards. Elle me jeta par moment des regards vifs du coin de son visage ; la peur fut ostensible.  La sueur de mes mains se mirent à ruisseler sur le manche du couteau, je le sortis.

MEURS MEURS ! ce mot résonnait à mes oreilles avec une aversion féroce,  balayant toutes autres pensées pour ne devenir plus que la seule dans mon esprit. Spontanément je me jetai sur elle : je courus presque, elle se retourna. Elle devait avoir entre 20 et 25 ans, sa physionomie semblait à celles de toutes les grosses pouffiasses du coin : un maquillage excessif, fond de teint partout sur sa sale gueule avec des lèvres foncées par un rouge à lèvre, mascaras etc. En plus de ces horreurs elle avait aussi eu le mauvais goût de s'ajouter des boucles d'oreilles qui par un court fil laissaient pendre un anneau fin et doré,  un rictus de terreur était peint sur son visage. Ses mains en avant elle reculait, je l'attrapai par l'échancrure de sa doudoune infecte qui s'ouvrit davantage puis assénai déjà un coup de couteau forcené aussi haut que je pus sous son visage, elle cria. J'avais dû écharper la jugulaire puisque le sang coulait déjà à flots en commençant par sa poitrine pour aller inonder ses vêtements,  sur son t-shirt blanc et sur le soutien-gorge que je pus entrapercevoir qui était d'une affreuse couleur saumon. Ma main qui la tenait toujours fermement se vit bientôt disparaître sous un rouge vermillon. L'écoulement sur le long de mon avant-bras formait des veinules méandreuses. Elle tonitruait comme une truie il fallait la faire taire tout de suite : au moment de la deuxième tentative du coup de couteau on tomba tout deux au sol, ce fut devenu une vraie lutte.

 — Arrêtez ! éructa-t-elle. Ses crieries et sa voix faisait gargariser sa gorge avec son propre sang. Elle m'insupportait. Elle me griffait et tentait de me repousser mais j'arrivais çà et là à placer des coups de couteaux dans le buste et la gorge. Maintenant son piteux soutif était déchiré par endroits, un de ses seins était visible. Sous chaque coup elle stridulait de nouveau un son étouffé par ses hémoglobines, un lignage de ce fluide était craché de son gosier et lui coulait sur la joue.

 — Mais crève putain, soufflais-je avec une quasi-timidité. Elle se débattait de tous ses membres mais sa malingrité n'empêchait presque rien, ses gestes étaient hasardeux sous l'effroi qui la prenait aux larmes. Aussi tôt qu'elle arrivait à poser une de ses sales pattes de pute sur moi je les balayais d'un revers impulsif du bras. Puis celle-là finie par se faiblir, elle vagissait pitoyablement, finalement je pus poser ma main sur ses lèvres ensanglantées, ce fut des pluies de coups de couteaux qui lui tombèrent à la gorge ; plus un souffle ne sortait de sa bouche où l'on put deviner qu'à l'amoncellement il dût bien y avoir eu une centaine de bites qui y avaient crachées, cela devait bien faire l'équivalent en sperme du canal circonvoisin.

Elle était morte. Le problème fut qu'il y eut au sol du sang renversé en abondance. Alors que je réfléchissais à soit prendre la fuite immédiatement ou à jeter le cadavre infâme à l'eau il y eut des effluves répugnantes qui se fissent répandues dans l'air : le comble c'était que cette vieille dégoûtante s'était chiée dessus. Cette sale putasse me dégoûtait de plus belle, toujours sous la frénésie je lui plantai le couteau dans le bide pour lui ouvrir la panse afin de la foutre direct dans la flotte. Je la traînai par les épaules, la fit glisser jusqu'au rebord du canal où finalement je la balançai impitoyablement avec force. Et le corps dégingandé tomba la tête la première à l'eau, s'enfonçant ainsi laissant dans son enlisement un sang qui dans l'eau et dans la nuit apparaissait noir. L'erreur fut qu'elle laissa sur le pavé une traînée de sang faisant, avec facilité, deviner que la pute avait était traînée jusqu'à être jetée dans les fonds. 


Néanmoins je pris la fuite, j'adoptai une marche rapide sous le regard exsangue et imperturbable de l'unique œil mort de la voûte céleste. Il me faudra une dizaine de minutes pour rentrer chez moi. Je me sentais bien au dessus de toutes lois, des lois humaines, des lois physiques, à ce niveau c'était être un dieu. J'avais redessiné ce monde en abdiquant un élément que je ne voulais plus y voir. Dans la réalité je vivais toujours dans ce monde laid et froid mais j'étais souverain. Je pouvais me permettre désormais de prendre les choses les plus chères qui y existaient : les vies. Elles m'appartenaient maintenant. J'étais heureux comme un homme qui serait aimé par celle qu'il aime ; heureux comme le ribaud soûl qui attendait au comptoir les frites qu'il avait commandées. C'était un orgasme insondable.

Alors que je continuais ma route dans les rues assombries mon attention fut retenue par une enseigne colorée ainsi que par les bruits qui en sortaient. C'était un bar d'où fusaient une multitude d'éclats bigarrées et lumineux, où à sa terrasse une myriade de personnes visiblement fort désinhibées parlaient fort des verres à la main. Ils parlaient de cul et de sport et s'adonnaient également à des logorrhées éthyliques. Leurs estomacs étaient remplis d'alcool et leurs cerveaux gorgés de pisse. Invincible, passant la cohue j'entrai à l'intérieur. Alors la chose la plus ostensible que j'aperçus tout d'abord fut les similitudes physiques qui se trouvaient entre les filles qui dansaient et celle que je venais de tuer. Tout autant dans les apparats vestimentaires grossiers que dans leur infecte physionomie. Je compris qu'elle devait sans doute être ici à danser tout aussi atrocement avant que je l'égorge et que c'était alors une chose bien faite. Je les toisai un temps avec un grand mépris avant de m'avancer au comptoir pour commander un alcool fort. En buvant je continuais de les regarder avec dédain tout en m'imaginant ce que je pourrais leur infliger comme chose abominable. Cela rendait la boisson encore meilleure, j'étais content. J'en tuerai peut-être encore une avant de rentrer chez moi. Je pris mon verre et partis en terrasse car la musique ou du moins le bruit en intérieur devenait déplaisant. Une fois assis, perdu dans mon verre en pensant aux horreurs que je pourrais leur infliger, je fus extirpé au dehors de ma méditation par une agitation qui se trouvait sur la table un peu plus loin à ma gauche. Des gens qui étaient assis se regardaient en riant et semblaient se moquer d'une personne debout devant leur table, qui avait l'air de prendre peine à expliquer des choses sérieuses. prêtai alors l'oreille à la discussion, l'homme qui était debout se mit à s'exclamer : 

— Par chance, certains naissent sous la bonne étoile, lançait-il comme tout affolé, d'autres naissent dans une merde si noire qu'ils resteront longtemps aveugles. Certains s'y accommodent dirais-je, chaque matin ils se réveillent, choisissent de se badigeonner de la merde qu'il leur a été donné, encore et encore, ils veulent vous la faire bouffer cette merde aussi. Vous en boufferez et reboufferez si vous êtes déjà assez abêtis, vous abêtirez vous-mêmes votre propre descendance et les gens qui vous chient dessus auront gagné. Peut-être qu'ils ont déjà gagné. 

La bande se mit à rire de plus belle, plus fort.

 — Mais qu'est-ce qu'il raconte celui-là t'as compris quelque chose toi? - Non ! Ils pouffèrent de rire.

 — Mais c'est vrai ! On vous contrôle , on vous endoctrine, ils nous voient, on nous supervise, on court à notre perte et nous sommes esclaves. Il faut se libérer,  retourner à la lumière. Car dans cette société il n'existe plus aucune spiritualité, on nous a fait croire que le matérialisme était la voie vers un bonheur. Elle consume vos âm..

 — On est esclaves de rien du tout monsieur ! Lui coupa un des jeune homme attablé.

L'homme à qui s'adressait le jeune attablé paraissait être d'un âge assez vieux, mal habillé, mal rasé et très hâve. Il les regardait avec angoisse.

 — On a le choix de faire ce qu'on a envie de faire, reprenait le jeune qui lui répondait, personne ne nous contrôle ni rien, on est très bien comme ça !

 — Vous ne comprenez pas, les gens au pouvoir sont des démons qui ne vous veulent que du mal et veulent nous détruire, comme devant un danger il se mit presque à crier sur ces derniers mots : ce sont le DIABLE ! il semblait essoufflé, il se maintenait à la table comme pour ne pas tomber.  

 — Vous vous êtes échappé de quel hospice ?  allongea crûment un des autres pochards. Ils s'esclaffèrent à gorge déployée en buvant leurs récipients jusqu'à la lie. 

 — Il y aura toujours des gens pour voir au travers des ténèbres s'indigna l'homme.

Le groupe se mit à parler moins fort et entre eux, une voix sortit de l'autre coté.

—  Nous sommes jeunes, encore attachés au bonheur, nous sommes en phase de devenirs des adultes et le lien n'est juste qu'entrain de se défaire, nous cherchons encore la clef du festin ancien. C'est pour ça que je bois ! Pardonnez ! Pardonnez ! 

C'était un jeune homme qui semblait très soigné, au visage fin, aux cheveux blonds et soyeux, il titubait d'un endroit à l'autre en se cognant sur chaque obstacle. Le vieil homme figé qui regarda  l'espace d'un instant consterné la scène finit par partir sans se retourner.

L'autre soûlaud reprit : 

 — Jadis, si je me souviens bien... 

 — Arrête de te prendre pour Victor Hugo ! Répliqua un des jeunes goguenards en ricanant. 

 — Moi Mozart c'est mon poète préférait ! Balançait un autre.

Puis alors le soûlard se tourna vers moi et dit :

 — Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux
A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. 

Il souriait gaillardement, il regardait en ma direction, je me mis à le regarder avec étonnement.

 — C'est Baudelaire ! Dit-il joyeusement.

 L'alcool me montait à la tête.

 — La poésie, c'est pour les parasites pédérastes. La littérature aussi, ça ne sert à rien.

Il prit un air insurgé.

 — La poésie envahie et dévaste le néant. 

Je me fichais de ses sophismes élucubrés provenant de sa verbigération d'ivrogne. Désirant seulement rien d'autre que du sang, je me levai. Il eut le temps de me dévisager avec stupeur de haut en bas. Il aperçut même le sang coagulé qui s'imprégnait sur mes vêtements. Brusquement dans la cohue une personne me bouscula. Je pris le spiritueux mordoré qui était dans les mains d'icelui s'étant adressé à moi et le brisai sur la tête de la personne m'ayant secoué. Le sang coula sur le sol, se mélangeant avec l'alcool. Je regardai autour de moi, celui à qui j'avais pris la bouteille était par terre entrain de vomir. Je repris avec prestesse la route jusqu'à chez moi et disparu des lumières pour retourner me noyer aux ténèbres de la nuit. Je ne pensais à rien, bientôt l'écho de la musique redonna place au déferlement du silence des rues vides. J'étais fiévreux et des maux de ventres m'affectaient, le paysage tourbillonnait autour de moi, j'eus presque envie de vomir.  Il dansait des choses dans les ombres, tout autour de moi caracolaient des choses me poursuivant. L'angoisse devint terrifiante, je me mis à courir jusqu'à chez moi.

 —  T'as vraiment pété les plombs, tu vas terminer ta vie en prison c'est dommage, j'espère que t'aimes bien les flics, ils devraient pas tarder à venir te trouver.

C'était le clochard d'hier soir qui me parlait, il me fit tressaillir. 

 — Je les déteste, je les déteste ! m'écriai-je instamment

 — Je t'ai vu faire, pour l'instant leur incompétence les ont empêché de te trouver mais ils finiront par t'avoir c'est certain, dès demain même.

 — Ce sont des ignorants, des imbéciles ! Des lâches ! Je criais, l'excès de frénésie me fit tomber au sol.

 — Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu n'as pas normalement et simplement vécu comme tout le monde ? 

 — Je ferais quoi demain ? Rétorquai-je avec stupeur et affliction, je vieillirai, je m'enlaidirai ? Je me branlerai sûrement ? Qu'est-ce que je veux déjà ? Je ne sais pas, rien de cette vie ne m'intéresse.  Le temps qui passe, moi qui m'enlaidis, mon cerveau en décrépitude constante : et cette angoisse qui me tiraille. Je vois et je souffre. Plus je me vois moins je me connais. Ai-je déjà vraiment aimé ?  J'ai pleuré pour des filles, je les déteste encore. J'ai déjà aimé, si je me souviens bien, des filles. Des grandes, des petites, des minces, des grosses, des ennuyantes ou des amusantes, des banales ou alors des peu triviales. Mais j'ai toujours trouvé chez elles en m'aventurant davantage le même vide à l'intérieur, le même néant terrifiant et froid. Elles m'ont terrifié. Elles m'ont dit qu'elles n'avaient pas d'âmes ou la sensation d'en avoir. Même mes amis m'ont laissé. La paranoïa absolue n'est que conscience totale. Il n'y a plus rien à faire lorsqu'on est totalement désabusé. Je serai qui demain alors et pourquoi ? Mon cadavre va-t-il se décomposer en laissant ni signifiances ni percussions ? Je n'ai aucun combat, personne à venger, personne à aimer.  Que des cauchemars dans des cauchemars. Une mise en abîme de mauvais rêves. On dit de de poursuivre ses rêves mais dans mes rêves je ne me vois que mourir. Mais en réalité j'ai bien plus peur de vieillir que de mourir, au final tout le monde meurt. J'ai l'impression que le pire reste à venir. Je veux être beau, unique, je veux rayonner dans tous les arts mais je ne suis qu'un parasite, et même en donnant le meilleur de moi je n'apporte rien, je n'étais pas destiné à réussir et quand bien je réussirai dans quoique ce soit ça ne me rendra rien, pas ma jeunesse perdue, ni mes illusions perdues, ma vie perdue. La tristesse est éternelle, et aucune joie ne viendra l'écraser. Je ne suis qu'un pulsar d'aberrations papillonnant ça et là laissant derrière lui une traînée immonde de sang. Je ne peux mourir car je n'ai jamais vécu, j'aimerais disparaître sans rien laisser, sans jamais n'avoir existé, j'aimerais voir la mort du soleil. Je veux la mort de tout, la mort de tous. Qu'un blizzard tumultueux  plonge ce microcosme dans une nuit si glaciale que la douleur sera la même pour chacun ! 

Soudain j'étais frappé par l'horreur de la réalité, comme si tous les maux du monde s'effondrèrent sur moi, jamais je ne me sentis si seul. 

 — La vie est belle, vraiment, elle l'est. Elle est pleine de beautés et d'illusions, la vie est géniale. Sans elle, tu serais mort.

Un silence persista. 

Il ajouta :

 — Tu ferais mieux de t'en aller ou d'aller te rendre à la police, demain ils te trouveront. 

L'angoisse était intolérable, je me mis à détaler jusqu'à mon immeuble où j'ouvris la porte avec fureur et courrai m'enfermer au sous-sol, j'étais dans le noir complet. Recroquevillé, grelottant, j'étais à la lisière de l'enfer.  Un Maelström d'idées noires me torturaient, je me tordis dans tous les sens. Brutalement une flamme vint se fracasser sur ce typhon d'angoisses comme une charge d'hussards ailées, toutes pensées s'étaient dissipées pour n'en laisser qu'une. Une chaleur intense m'envahie. Je me souvins de la fille dont la seule présence vampirisait mes cauchemars, celle avec qui s'évanouissaient toutes les souffrances, et ces maux infinis disparaissaient  et n'existaient plus. J'eus l'intime conviction qu'aller à sa rencontre me sauverait, c'était un sentiment certain, il fallait que je la retrouve, elle m'aidera, elle me sauvera. Puis sous les brûlures de cette réconfortante rêverie providentielle je m'endormis presque aussitôt. 

A peine eussé-je ouvert les yeux que je m'alertai, à chaque instant la police aurait pu me tomber dessus. Je courus au dehors. L'aube peignait le ciel d'une couleur de sang,  ce chatoiement peinturait ma carnation laiteuse en une chaire carminée, des cumulus pommelés de laine étaient suspendus. Les premières gens qui partaient au travail étaient déjà là, je marchais en m'engonçant dans mon manteau  et en essayant tant bien que mal de dissimuler les tâches sanguines aux yeux des passants. Je les abhorrais car ils étaient plus que laids, j'eus l'impression d'être sous chaque coin de rue à l'observation d'immondes gargouilles, cela m'épouvanta, je trémulais d'inquiétude.  J'oubliai ça, je repris ma route, ensuite, alors que je passai au devant de la vitrine d'un tabac, je ne pus rater un journal qui retint toute mon attention par son titre :  

MEURTRES ET TENTATIVE D'HOMICIDE AU PLEIN CŒUR DE LA VILLE, LA POLICE DÉJÀ SUR LES TRACES DU MEURTRIER

Un frisson glacé lézarda le long de mon corps, le reste de l'article ou du moins une partie était ostensible, elle se lisait ainsi : 

Hier a eu lieu dans la même journée ainsi que dans la nuit subséquente deux meurtres. Dont une tentative. Les enquêteurs seraient déjà sur la piste du meurtrier. En effet le premier meurtre se serait déroulé en journée sous les yeux de multiples personnes avant de prendre la fuite. Il aurait tué le jeune homme âgé de 18 ans à coups de hache sans motifs visibles, certains proches de la victime présents lors de l'acte ignorent tous les liens qui pourraient y avoir entre le deux individus. Voici comment les témoins décrivent le tueur : jeune à l'entour de la vingtaine, mince , de taille moyenne, un visage aux traits fins, glabre, et de courts cheveux noirs. Plusieurs témoins ajoutent qu'il aurait un regard "de fou furieux". Dans la nuit qui suivit ce meurtre, une femme cette fois-ci de 22 ans s'est faite poignardée à plusieurs reprises en pleine rue alors qu'elle rentrait chez elle avant d'être jetée dans le canal, d'étranges traces de sang cheminant jusqu'au canal ayant étaient signalés à la police ceux-ci ont tout de suite faits appel à des plongeurs-chercheurs, la femme a été trouvée écharpée de part en part par des coups de couteau. Quant à la dernière attaque qui a eu lieu juste un peu plus tard dans cette nuit balaie tous les doutes que ces trois agissements ne seraient pas corrélés, car elle se serait donnée dans le même bar discothèque d'où revenait cette femme, et la description des témoins est en accord avec celle énoncée par les témoins du meurtre qui s'est passé en journée. Le meurtrier qui s'était commandé une boisson pour s'installer peu après en terrasse avant de partir s'est cette fois-ci muni d'une bouteille, ce dernier après s'être levé aurait avec la bouteille frappé un homme avec force sur le crâne au point de l'assommer. Cela se serait passé si vite que personne n'aurait vu la scène, mais plusieurs personnes rapportent l'avoir vu et se mettent en accord sur le croquis de notre tueur. Aussi les caméras de la ville devraient permettre de retrouver sa trace au plus vite. Si vous apercevez la personne décrite faites tout de suite appel à la police et éloignez vous de l'assassin, car il est perceptible qu'il s'en prenne à n'importe qui et sans différenciations, on ne sait quel rêve épouvantable habite son esprit, il est tout à fait fou. 

J'aurais voulu disparaître, mais cela semblait impossible. Me coucher par terre, m'endormir pour me réveiller dans un autre cauchemar, ne me ferait que convoler temporairement dans une autre dimension,  j'étais enchaîné à ce monde, la fuite semblait impossible. La mort m'avait l'air d'être l'unique échappatoire. Je repensai vivement à ma pensée d'hier soir, de la fille qui me sauverait, je me rappelai qu'elle avait pour habitude le matin de se rendre à un parc non loin d'ici. Alors j'y courus. Inopinément, arrivé à la fin d'une rue, un homme me frôla. Il était d'une étrange apparence, d'une apparence cauchemardesque. Habillé de noir et défiguré, inhumain,  dépourvu de n'importe quelle pilosité au visage, sans sourcils et sans cheveux. Ce qui me frappa le plus est le fait qu'il pleurait à chaudes larmes, la bouche semi-ouverte, sans même me prêter un regard, il ressemblait à un fantôme gorgé par les couleurs d'un soleil de sang. Je fermai presque les yeux en reprenant ma course, pour ne plus voir ces ignobles gargouilles qui me brûlaient la peau par leurs regards. J'ouvris les yeux et me retrouvai enfin à l'endroit recherché.

L'endroit était légèrement humide car il avait plu durant la nuit, dans les airs se dégageait une forte odeur de pétrichor. Je me mis à courir au travers du parc labyrinthique, il était très grand mais il n'y avait personne. Il se dispersait aux alentours quelques fleurs diaprées, les ramages étaient feuillolés en de teintes virides et violacées, des pampres s'entrelaçaient venant se mélanger avec de nivéennes asphodèles ainsi que des lilas érubescents. Inopinément le calme se remplaça à mes oreilles par de faibles papillonnements, je tournai la tête à droite et une nuée de petits volatiles multicolores voltigeaient devant moi, j'ignorais de quel genre d'insectes il s'agissait mais ils étaient très beaux. Puis quand j'eus regardé au travers de cet essaim versicolore, il se dessina devant moi un tableau qui me remua si fort que mon cœur se détacha, c'était une toile pourtrant un rêve kaléidoscopique : elle était au bas d'un coteau verdoyant, les pieds nus et assise dans une herbe poudroyante qui avec la rosée ressemblait à un revêtement de coruscantes émeraudes. Sa silhouette était maigre, elle avait l'air d'une enfant. Sa peau était très pâle, presque opalescente, seules quelques parties de son corps semblaient avoir été la cible d'une tombée de poudre d'améthyste, parce que ses joues, ses lèvres et le bout de son nez, ainsi que le bout des ses doigts étaient empourprés par la froideur des vents du début d'automne.  Ses pieds étaient fins, d'un esthétisme harmonieux et paraissaient également avoir trempés dans une farine de rubis. Elle était coiffée d'un chignon assez haut, le lin de ses cheveux qui était d'une blondeur aveuglante reflétait tout l'ensoleillement — cela si bien  qu'on ne saurait dire si c'était le soleil ou sa chevelure qui illuminait la clairière. Elle lisait un livre, elle ne me vit guère. Je sortis de la pénombre pour aller vers l'aura ensoleillée qui la ceignait. Alors que je m'approchais je distinguais ses vêtements qui étaient très modestes, elle portait un chemisier à la couleur du lys et une jupe bleue marine. Sa respiration était paisible, à la regarder j'avais instamment regagné toute tranquillité. Jusque là les physionomies que prenait son visage étaient très plaisantes, son visage était menu et si parfait qu'on aurait dit une poupée de cire. Cette accalmie en moi se métamorphosa en un terrible ouragan,  je m'approchais épouvanté comme quelqu'un s'approchant d'une bête gigantesque et féroce. Alors que pourtant je n'avais jamais rien vu d'aussi beau, ou bien même qu'au même moment les effluves de son parfum aux senteurs cerisées rassasiaient une soif qui devait avoir durée le temps d'un tourbillon d'éternités, formant ainsi un capiteux nuage édénique qui était l'arôme le plus extatique auquel je pus m'abreuver de toute ma vie, je n'eus jamais aussi peur. J'avais peur de sa réaction, de son regard, qu'elle repousse l'immonde personne que j'étais. Elle restait concentrée dans la lecture de son livre, je m'avançais sans ne rien dire. C'est seulement arrivé debout à son coté qu'elle m'aperçut, elle tressaillit et porta son regard à mon visage, l'expression de sa face changea drastiquement pour prodiguer la quiétude en une horreur mélangée au dégoût, comme si elle avait la mort ou bien pire au devant d'elle. Je me noyais, littéralement. L'impuissance face à cette répulsion m'asphyxiait, je voulus lui demander « je ne suis pas humain pour toi ? pourquoi tu me regardes comme ça ? » mais je restais étranglé, dans l'incapacité de dire quoique ce soit. Ses yeux céruléens me noyaient, ils étaient plus bleus que le bleu du ciel bleu,  et absurdement grands pour la ténuité de son portrait, ce qui exacerbait le remous océanique de son regard tumultueux à mon égard.  

Timidement le silence se brisa :

 — J'ai besoin que tu m'aides.

 — Pourquoi je t'aiderai ? Me répondit-elle déconcertée. 

 — Il n'y a que toi qui puisse m'aider.

 Elle me regarda quelques secondes, abasourdie, avant de me dire : 

 — Je ne veux pas t'aider, je m'en fiche de toi tu pourrais mourir que je m'en ficherais totalement. De plus tu es quelqu'un de dégoûtant et d'exécrable, tu me répugnes au plus haut point, je ne veux rien avoir à faire avec toi.

Je l'ai regardé dans les yeux et je l'ai étranglée, son cou était très fin et très froid. La nacre moirée de ses dents iridescentes scintillaient au soleil comme un arc-en-ciel. Une fois morte ses yeux regardaient le ciel marmoréen, des luisances y ondulaient. Derrière moi se trouvait un lac factice où ondoyaient des nénuphars aux couleurs des astres, je me suis levé, j'ai marché vers ce miroir nébuleux. Un silence d'une beauté sans pareille flottait dans l'atmosphère. Une marée de bourrasques déliées de fin d'été vinrent déposer de cotonneuses caresses sur l'écorce de mon âme,  ce qui était agréable. Arrivé devant le lac je me laissai tomber dedans, je tombai dans une profondeur bleue acier sans fin. J'ouvrais les yeux ; je vis une avalanche de choses qui pendaient et tournoyaient en ces fonds tout autour de moi, de nitescentes nébuleuses dansotaient, je ne pus apercevoir l'orée de ces tréfonds, ils étaient interminables, j'eus l'impression d'être au sein d'un cosmos magnifique, je me sentais bien en cet instant et mon corps léger voguait entre ces météores ainsi que ces étoiles. On dit que nos actes résonnent dans l'éternité, c'est vraiment triste. J'ai tellement peur. J'ai peur, j'ai si peur, non je n'ai jamais rien fait de toutes ces horreurs, ce n'était pas moi, je n'ai rien fait de tout ça. Ailleurs, sur une autre étoile on pourra enfin voir qui nous sommes tous réellement, je pourrais réparer toutes les erreurs. Tout me paraissait possible mais j'allais mourir. Et je pense à moi-même devant ces lueurs fantomatiques et ces nuages magellaniques nageant dans une immensité indicible que la mélancolie des hommes est tout aussi immense, car en réalité la tristesse et la misère humaine est aussi infinie que cet univers halluciné. S'il existe quelque part de l'amour,  de la compassion ou une lumière, mon dernier, mon seul vœu, est qu'elle les sauve tous.  Maman je t'aime. Je refermai les yeux et me mis à pleurer. Dans cet abîme les sons étaient réprimés en une sourde vibration. Cette tranquillité onirique prit fin brutalement. D'un seul mouvement j'eus la sensation de remonter à la surface, mes sensations me revinrent, ma vue était troublée et mon ouïe me revint progressivement. Mes sanglots se mirent à se confondre avec d'autres sanglots, j'ouvris les yeux et me trouvai précisément dans ma chambre

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