Le sacre désenchanté du printemps

calicles

Construis, je me construis. Contre. Envers. Enfin, je suis là. Je m’incarne. Je me pose. Réconcilié avec le monde. Présent. Être enfin quelque chose…Quelle joie ! S’assumer pleinement. Tout entier. Sans crainte. Sans remords. Sans haine. C’est peut-être ça le courage. Ce vers quoi l’on court toute sa vie sans jamais l’atteindre. On court et on oublie l’arrivée. La fin. C’est la fin qui fait peur. Effroyable. Horrible. Une fois pour toutes. Rideau ! Toute ma vie, j’ai fait plaisir, j’ai fait semblant. J’ai jamais tenté de vivre pour moi. Ça vaut le coup, il paraît, qu’ils disent. Ça vaut le coup… Mais le coup de quoi ? Le coup de mou j’ai eu, ça c’est fait, ça précède le coup de bambou. Puis c’est tout, c’est tout ce que j’ai eu pour le moment. Y’a pas de quoi en faire un plat. C’était jamais pour moi, jamais mon heure. Pas encore, faut attendre. Enfin c’est ce que je me répète en boucle, mais pour combien de temps encore ? Attendre, ça me sert à rien à moi. Moi, l’effacé de service. Toute ma vie tout seul, toute ma vie à jouer l’invisible. Y a pas d’amour là-dedans. Y a juste le besoin d’être reconnu. À tout prix. Et déçu, forcément. Aucun besoin d’être heureux ou d’être vrai. C’est plus drôle, je rigole plus, plus du tout, y’en a marre, j’aimerais dire « Stop », mais j’peux pas. J’ai beaucoup pleuré dans ma vie. Beaucoup. Ça sert à rien. Les autres sont toujours là. Ils s’en foutent surtout, tous, de moi. La vie aussi est toujours là. Elle s’en fout aussi. Avec son cortège d’ennuis, les emmerdes du quotidien…Elle t’écrase la salope si tu fais pas gaffe, c’est sûr. Et t’avance, toi, t’es obligé, on t’ordonne d’avancer, toujours, dans le noir, avec la peur au ventre. La peur de perdre, la peur d’échouer, la peur la meilleure, pour bien s’empêcher de vivre, pour vivre sans trop de risque, passer sa vie à se faire du mal, à plaisir. Le temps passe pour tout le monde. Enfin pas vraiment pareil, pas de la même façon…Par exemple, les parents ça aident pas, c’est pas vrai. Les égoïstes. Les incapables. Les irresponsables. Les « transmission impossible ». Trop accrochés à leurs petites vies, à leurs petites gloires. Plus ils vieillissent, plus l’horizon se rétrécit, plus leurs vies nous semblent petites, mesquines. Ma vie à moi, je la voyais en grand. Merveilleuse. Maintenant que j’y suis, je me sens seul à la vivre. Tout seul. Trop parfois. Fou. Une pelure d’orange. Ces jours-ci, je suis une orange. À peler. Petit à petit, sous les pelures, je me découvre. Le même, mais autre, autrement. Dehors, rien a changé, et pourtant je me vois différent. C’est une question d’angle. Sous les pelures, l’orange est toujours ronde, parfaite. Mais à l’intérieur, la pulpe éclate, la sève jaillit sous la dent. Une fleur doit éclore. Elle ne demande pas la permission, elle ne demandera jamais plus la permission. Naître, accoucher de soi, c’est ça : ne plus avoir peur, vivre pour soi. Moi, consacré. Personne d’autre à ma place. Quelque chose est né. La genèse de quelque chose. Quelque chose est là et nous ne voulons pas le faire mourir. Nous voulons, enfin. En vrai, en sauvegarde. Nous le faisons durer. Nous sommes neuf à nouveau. Neuf. La fin d’un cycle. Un désert. J’aime le désert. Mon désert. Le seul endroit au monde qui me réchauffe. Je ne laisserai bientôt personne traverser mon désert à ma place. Un désert où je ne suis pas ne vaut pas le coup.
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