LE SAULE

Calame Scribe

Ce qu'il en pense...

Souvenez-vous du jour où il a été question de me supprimer, moi ou mon compagnon.

La question a agité la famille et fait couler autant d'encre, de mails et de paroles qu'il y avait de sève dans mon tronc !

J'étais le plus vieux, le plus beau, celui que l'on admirait en ouvrant le portail. Je m'étalais à loisir tout le long du muret devant lequel souvent étaient faites les photos de famille : je faisais un cadre magnifique à ces joyeux souvenirs ! Quelques garnements audacieux aimaient grimper dans mes branches et je servais de refuge aux oiseaux. J'abritais les pêcheurs contre les rayons du soleil estival. Et puis, les plus jeunes m'avaient toujours vu là !

La décision de m'abattre n'a pas été facile, je le sais. J'en ai été surpris et un peu peiné je dois l'admettre.

Je me croyais indispensable pour mon ombre, ma majesté, les contre-jours magnifiques que j'offrais au petit matin, mes couleurs dorées au soir tombant ou le vert tendre de mes jeunes pousses au mois de mars.

A l'origine, j'avais pour mission de cacher les silos construits à quelques centaines de mètres, sur la route de Dame Marie. Il y a bien longtemps que les silos ont été démontés et mon utilité première est devenue sans objet.

Hélas, je fus victime de mon imposante présence. Petit à petit, j'ai fini par prendre trop de place devant « la fosse » comme ils disent. J'en pompais avidement l'eau de mes racines gourmandes. Les iris jaunes plantées à mon pied se développaient mais je mangeais leur lumière les empêchant ainsi de fleurir. Le lilas à ma droite s'étiolait sous mes branches et croissait en me fuyant. Les pêcheurs emmêlaient leurs fils dans mes branches qui se courbaient vers eux.

Oui, j'ai fini par étouffer ce que j'étais censé protéger. Je n'ai pas su me faire assez discret, je n'ai pas pu restreindre ma frondaison et son ampleur a fini par cacher la campagne, rapetisser l'horizon, fermer la porte de la liberté aux regards de ma famille. Sans aucune gêne, je partais régulièrement à l'assaut de la toiture de l'annexe. Je pleurais trop et mes branches dégoulinaient en larmes envahissantes jusqu'au milieu de la cour.

A bien y réfléchir ne trouvez-vous pas qu'il en est des personnes comme des arbres : j'en connais une, qui est en train d'écrire, qui se croit indispensable, impose ses idées, veut tracer les chemins de chacun, dicte sa loi et ses horaires, peut se montrer tyrannique…

En fait, elle est omniprésente et court partout, on n'imagine guère la vie sans elle mais, le jour où comme moi elle disparaîtra, après avoir été surpris par le vide qu'elle laissera, sans l'admettre réellement ni le dire bien sûr, vous serez devenus grands et découvrirez un espace insoupçonné, une autonomie et une liberté d'action qui vous feront du bien.

Et c'est très bien ainsi.

  • Pardon, visiblement j'ai fait une erreur sur la personne.
    Je ne peux pas supprimer mes commentaires.
    Ceci dit vous en avez trop dit ou pas assez.
    Si vous avez des reproches à faire à un auteur de ce site, autant s'adresser directement à lui.
    Je me suis senti visé car je suis en effet trop bavard et envahissant.

    · Il y a environ 2 ans ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

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