Le séisme d'une vie

L'hirondelle

Quand j'étais petite, je croyais à la Petite Souris et au Lapin de Pâques. Je savais par contre que le Père Noël n'existait pas, j'avais déjà eu l'occasion de voir ma maman déposer les cadeaux au pied du sapin. Je croyais aussi au monstre caché dans la buanderie au fond de ce long couloir et aux grands hommes en blouse blanche dans les hôpitaux. Ces derniers me faisaient un peu peur mais on disait d'eux qu'ils étaient gentils et intelligents, qu'ils guérissaient les gens lorsqu'ils avaient mal.

Papa, chaque matin quand il se levait, toussait très fort et moi j'y étais habituée. Tous les jours il allait au grenier pour construire ma chambre pendant qu'on jouait, mon frère et moi, dans le jardin. Maman elle, elle faisait souvent le ménage en écoutant de la musique. Elle disait constamment que les chiens l'embêtaient parce qu'ils perdaient leurs poils partout dans la maison. En même temps, on aimait beaucoup les caresser.

Un jour nous sommes rentrés de l'école et Papa nous a dit qu'il voulait nous parler. Alors nous nous sommes tous réunis dans le salon où Maman et Papa étaient assis. Il nous a dit qu'il était très malade, que ce serait long. Maman s'est mise à pleurer et i a ajouté que ça irait. Mon frère n'a rien dit, quant à moi, je me suis effondrée.

Depuis, il est souvent resté allongé sur le canapé. J'aimais bien, parce que le soir je devais lui appliquer de la crème, à cause de sa chimiothérapie. Les jours passaient et il restait de plus en plus devant la télévision. Il ne la regardait pas toujours, parce qu'il était de plus en plus fatigué aussi. Un soir il a décidé de se raser la tête, me disant que tôt ou tard il aurait été chauve. Les médicaments étaient de plus en plus nombreux et à chaque visite les médecins lui disaient qu'il allait bientôt guérir.

Je ne pouvais plus poser ma tête sur son torse pour écouter à l'intérieur de lui, il avait trop mal. Je devais aussi le masser de plus en plus doucement parce qu'il devenait trop brûlé par les rayons. Et puis les médecins lui ont conseillé de s'installer à l'hôpital mais il a refusé. Il ne quittait la maison que pour les séances de chimiothérapie. Le canapé a fini par être remplacé par un lit d'hôpital et les médecins lui ont posé une perfusion qu'il gardait constamment. Il a commencé à manger dans son lit, il était trop mal pour se lever. Même pour saluer les personnes qui venaient lui rendre visite.

Un après-midi il m'a expliqué que sa maladie pouvait lui provoquer des convulsions. Qu'il pouvait se mettre à trembler très fort sans se contrôler et que si ça lui arrivait, je devais m'écarter de lui, parce qu'il risquait de me faire mal sans le vouloir. Ça ne s'est jamais produit. Souvent le soir, j'allais dans le lit de Maman et je lui demandais si Papa allait mourir pour obtenir confirmation. Chaque fous elle me regardait et pleurait, sans rien dire.


Pendant les grandes vacances nous avons fêté mon anniversaire (mes dix ans). Ma tante m'a offert un stage d'archéologie fin Août. J'adorais cette science et j'attendais ce moment avec impatience.

J'y ai fait énormément d'activités et de découvertes. Le dernier jour, avant de rentrer à la maison, j'ai téléphoné à mes parents pour leur raconter comme j'avais été contente. Maman m'a passé Papa, qui m'a dit qu'il m'aimait et qui a clôturé par un « à tout à l'heure »bref. Je n'ai pas remarqué sa voix si fatiguée. Avec le recul des années, je ne me souviens pas non plus qu'il m'ait jamais dit m'aimer, hormis cette fois-ci.

Je suis rentrée seule, à pieds depuis la gare. Quand je suis arrivée à la maison, j'ai d'abord vu le lit d'hôpital dehors, propre et rangé sous l'abri à bois. Je me suis dit qu'il allait mieux. Il n'y avait personne dans la maison, alors je me suis dit qu'il était à une séance de chimiothérapie. Ma grand-mère est arrivée peu de temps après. Je lui ai demandé où était Papa et elle a répondu que ma maman me le dirait. Alors j'ai compris. Ma tante s'est jetée sur elle, lui criant qu'elle n'aurait pas dû.

Il s'était passé huit mois depuis la réunion dans le salon. J'avais dix ans, il en avait quarante-deux. Maman est rentrée en courant, m'a prise dans ses bras et m'a serrée très fort. Elle était restée à ses côté alors qu'il mourait. J'ai pleuré longtemps.



J'ai écris ce texte à treize ans, un exercice d'expression écrite posé en Français. Je ne me souviens plus de la consigne exacte mais mon professeur avait dit après coup qu'elle ne s'était pas attendue à ce qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'une fiction pour deux de ses élèves. Je l'ai légèrement réaccordé pour plus d'harmonie dans le texte.


Le deuil de mon papa a été très mal pris en charge, avec de lourdes conséquences, ou séquelles, pour mon frère et moi, pour ma maman sans doute aussi. Conduisant notamment à une rupture familiale avec la branche paternelle et plus tard, à une rupture avec ma maman et mon frère, m'excluant de tout le reste. Nous avons tous beaucoup souffert.

Je n'ai aujourd'hui plus de rancœur envers eux ni envers moi, ayant compris que nous avions tous agit avec les moyens qui étaient en notre possession. Nous conversons tous, plus ou moins bien selon nos cicatrices, laissant le passé et tentant d'apprendre de nos expériences.


Je crois pourtant qu'il vaut toujours mieux aborder les blessures du passé afin de les assainir et les purifier. Afin de retirer au mieux les petits cailloux qui nous blessent les talons, quand nous arpentons le chemin présent. Un jour peut-être, nous parviendrons à cette étape.


« Lorsque nous mettons des mots sur les maux, les dits maux deviennent des mots et cessent d'être maudits. » _Guy Corneau

  • Magnifique et triste, quand on a dix ans on porte ce fardeau toute la vie.
    Beaucoup de pudeur et d'authenticité, j'ai adoré ce texte.
    Si vous l'avez écrit à treize ans, c'est d'autant plus remarquable.

    · Il y a plus d'un an ·
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    Christophe Hulé

    • Merci pour ce retour sur un des évènements les plus intimes de mon histoire.
      Je suis allée il y a peu à une séance d'hypnose sensée me soutenir dans ma procédure de divorce (chacun aura son avis sur cette méthode, le sujet n'est pas là). A ma grande surprise, à peine sous la voix de mon guide, c'est le deuil de mon papa qui m'a sauté au visage. Il s'avère qu'au fond je lui en avais toujours voulu de nous avoir quitté et me raccrochais à lui. J'en ai été profondément désolée.

      · Il y a plus d'un an ·
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      L'hirondelle

    • Je reste sans voix et je ne peux que compatir, j'ai lu le livre d'Allen Carr, pour arrêter de fumer, sans me poser de questions, j'ai arrêté de fumer un an, mais de boire 15 ans.

      · Il y a plus d'un an ·
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      Christophe Hulé

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