Le soldat

Sébastien Deman

Max, 12 ans, était confortablement installé dans son canapé, avec un journal. Il lisait un article qui racontait la découverte d'un cadavre de pigeon, dans une cheminée en Angleterre. Cette dépouille datait de la 2e guerre mondiale et portait à la patte un message codé. Et, à ce jour, ce message n'avait toujours pas été décrypté. Max abaissa le journal et se mit à réfléchir. A qui ce pigeon apportait il le message ? Ce pigeon était-il un soldat ? Mais alors, comment pouvait-il obéir aux ordres ? Ça n'avait pas de sens qu'un pigeon obéisse à un commandement ! A travers ses interrogations, Max commençait à somnoler. Il faisait bon et l'odeur d'un bon plat, dans le four de la cuisine, parfumait la pièce d'une tiédeur agréable. Il s'endormit …

En août 1943, le colonel Valentin, résistant des forces de l'armée française, accrocha à la patte du pigeon numéro 1515 - soldat d'élite de l'armée anglaise - un message codé. Ce message destiné aux alliés, détenait des informations capitales. Le soldat 1515 était extrêmement fier. Le jour qu'il attendait tant, était enfin arrivé. Il suivait les traces de son héros. En effet, lors de la première guerre mondiale, son père avait été l'un des tout premiers pigeons « soldat » a apporté des câbles aux alliés. Le colonel prit le pigeon dans ses mains et médita quelques secondes devant la fenêtre ouverte. « Que Dieu t'accompagne » finit-il par dire à haute voix et il lança son émissaire à la rencontre de sa destinée et celle de l'humanité. Au front, des nationalités confondues mêlaient leurs sangs et abreuvaient les tranchées de la liberté. Et le soldat 1515 détenait un message capable de porter un coup fatal à l'ennemi. Cela faisait maintenant deux heures qu'il volait quand il arriva au-dessus d'un centre-ville. Il faisait nuit. La tension était palpable. Quand tout à coup, tel un éclair, un aigle aux griffes acérées, jaillit. Le soldat 1515 fit une embardée à droite et l'évita de justesse. Il continua son vol à vive allure, sans se retourner. Il sentait les griffes de l'ennemi lui frôler les plumes. Il fit le choix de tomber en piquet et se perdit dans la brume du soir. Cette excellente manœuvre intuitive, désarçonna son agresseur. Chacun sur une corniche, les deux combattants se posèrent, à l'affût du moindre bruissement d'ailes. Le soldat anglais reprenait son souffle et peu à peu recouvrait ses forces. Il avait peur. Mais il avait une mission à accomplir. Alors, après quelques minutes de repos, il reprit son vol. Il décida, pour parer les éventuelles attaques du rapace, de voler près des habitations. Ainsi, il pourrait utiliser sa petite taille et pénétrer en cas de nécessité, dans un endroit exigu. A n'en pas douter, il savait que son agresseur était un soldat allemand et ce dernier ne lui laisserait aucune chance. Son père lui avait raconté que ces chasseurs, étaient connus pour leur pugnacité et leur ardeur à traquer l'ennemie. Après deux heures de vol, le soldat 1515 éreinté, décida de s'arrêter un moment. Il se dissimula sur le toit d'un bâtiment, le dos contre une cheminée. Il fouillait l'horizon à la recherche de son poursuivant. Il se sentait épié et menacé. Au-dessus de lui en planeur aguerri, l'aigle le scrutait de sa vue perçante. Il était sûr de sa force, donc, il ne se pressait pas. Il connaissait l'issue du combat. Il s'arrêta sur le bâtiment d'en face pour mieux l'observer. Il sentait la terreur dans chacun des mouvements du pigeon et en bon soldat, il se délectait de ce spectacle. Au bout de quelques minutes, quand il sentit que le divertissement avait assez duré, il se décida à passer à l'attaque. Il replia ses ailes, pivota en avant et d'un bond, il transperça l'air comme un coup de feu. Mais le soldat anglais, sur le qui-vive, échappa de justesse à ses griffes en fusant à la verticale et contre toute attente, il descendit en piquet et attaqua à son tour. L'aigle surpris par cette tactique, fit un mouvement brusque et se coinça la patte dans la gouttière du toit. Alors avec la motivation du désespéré, le pigeon essaya avec son ongle, de rendre aveugle son assaillant. Mais le soldat tyrannique évitait les attaques, tout en essayant de se dégager. A bout de forces, le soldat 1515 se posa à quelques mètres de la bataille. Cette trêve qui dura quelques minutes, suffit au rapace pour se libérer. Enfin libre, l'oiseau de proie remua sa patte encore engourdie. L'anglais savait que son ennemi ne lui laisserait aucune chance. Alors, pour l'espoir qu'il animait et la foi sincère du devoir accompli, pour le bien de l'humanité, le pigeon se jeta sur son rival. Au bout de quelques minutes de combat acharné, l'anglais entra dans l'espace vital de l'aigle et d'un coup de bec lui transperça l'œil. Le soldat allemand poussa un cri d'horreur teinté de fureur. Il tournoyait sur lui-même en gémissant. Le soldat anglais souriait de plaisir. Mais grâce à une manœuvre exécutée avec une rapidité fulgurante, le rapace désarçonna le pigeon et le saisit à la gorge. Le soldat 1515 fixait l'œil ensanglanté de son adversaire, avec un sourire d'absolue fierté. L'aigle grimaçait de douleur et tous deux s'observaient. Finalement, le vainqueur jeta son glorieux rival, dans l'agonie d'un conduit de cheminée. Et, tandis que l'officier borgne allemand reprit son vol, l'officier anglais succombait, dans une tombe réservée aux héros inconnus.

"… Max ! À table, on mange".
Max sortait doucement de son sommeil où un rêve l'avait conduit au cœur d'une bataille.
- « Maman, j'ai lu dans le journal que pendant la guerre, l'armée utilisait des pigeons pour porter des messages. Comment ces pigeons pouvaient accomplir leurs missions et obéir aux ordres ? »
- « Parce qu'ils étaient dressés ! »
- « Mais, ils comprenaient ce qu'ils faisaient ? »
- « Non, je ne pense pas ! »
- « Mais les nazis qui tuaient des gens, eux, ils comprenaient ce qu'ils faisaient ? »
- « Ah oui ! Eux, comprenaient ce qu'ils faisaient ! »
- « Mais c'est horrible ! »
- « Bien sûr que c'est horrible. C'est pourquoi il faut être vigilent et ne jamais oublier : Les animaux peuvent être dressés à obéir ! Or les hommes sont des animaux ! Donc tous les hommes peuvent être dressés à obéir. »
-« ça veut dire qu'on peut dresser l'homme ? »
- « Oui ! ça veut dire, qu'un être humain qui ne pense pas, s'expose à être dressé … »


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