Le Sortilège de la Chimère - Chapitre 1 : Face au Roi

Lynn Rénier

Ariel fulminait. Elle ne s'était jamais sentie autant en colère que ce jour-là. Elle aurait quitté la pièce en claquant la lourde porte derrière elle si la bienséance ne lui imposait pas de rester sagement à sa place. Devant le conseil, devant les ministres, devant son père, elle ne pouvait pas se permettre de tourner les talons. Elle devait les affronter, sans faire exploser sa colère mais tout en la contrôlant. Ce n'était pourtant pas une mince affaire. Ça bouillonnait en elle, à tel point qu'elle avait envie de dire sa façon de penser sur le sujet du jour, et sans détour.

Son père, le Roi d'EdenGol'd, avait abordé un sujet des plus sensibles, dont la jeune fille se serait bien dispensée. Si seulement il avait pu se taire… Mais il n'avait pas pu s'empêcher d'en parler. Ça avait été plus fort que lui. Elle avait horreur de ces assemblées auxquelles elle était tenue d'assister depuis que sa mère n'était plus de ce monde. Elle siégeait à la droite de son père, face aux ministres de ce dernier. Et ces hommes l'ennuyaient grandement. Elle aurait pu passer ces heures interminables à tant d'autres choses bien plus divertissantes. Cependant, l'étiquette lui imposait d'être présente, à chaque fois. Quel ennuie !...

Elle ne pouvait pas se défiler. Mona, sa gouvernante, y veillait. Ariel était encore jeune et elle ne pouvait pas se défaire de son chaperon. Elle n'avait que dix-sept ans et son père ne tenait pas à ce qu'elle puisse déambuler seule dans le château. Mona était, aux yeux de la jeune fille, plus un garde chargé de sa surveillance qu'une dame de compagnie avec qui elle pouvait bavarder comme le feraient deux amies. Et ça la chagrinait plus qu'elle ne l'avouait. Mais que pouvait-elle dire face aux décisions de son père, face aux décisions du Roi ? Sa voix n'avait pas de poids. Elle le savait pertinemment. Qu'elle soit sa fille n'y changeait rien. Alors, souvent, elle se taisait et laissait faire. Puisqu'elle ne pouvait éviter ou changer les choses, elle n'avait qu'à les subir. Pourtant, pas cette fois. Cette fois, les choses allaient changer ! On allait l'écouter ! Et elle y veillerait.

Elle avait son mot à dire dans toute cette histoire, c'était d'elle dont on parlait ainsi, comme si elle n'était pas là pour les entendre. C'en était trop ! Le Roi Armand d'EdenGol'd avait beau être son père, elle avait beau avoir énormément de respect pour lui, il ne pouvait pas discuter avec autant de détachement de son avenir. Il ne pouvait pas parler d'un tel sujet de la sorte ! Elle ne pouvait pas le laisser faire. Elle éclata alors :

— Il en est hors de question, Père! Je vous l'interdis !

L'homme d'une cinquantaine d'années se tourna vers elle. Il posa un regard froid et courroucé sur sa fille. De quel droit l'interrompait-elle ainsi en plein conseil, de surcroit devant tous ses ministres ?!

— Dois-je te rappeler à qui tu t'adresses ainsi, Ariel ?! Dois-je te rappeler que je ne t'ai pas demandé ton avis ?!

— Mais c'est de moi que vous parlez de la sorte ! C'est de mon mariage que vous conversez comme si je n'étais pas là pour vous entendre ! Vous n'en avez pas le droit! C'est à moi de choisir mon futur époux !

— En aucun cas, jeune fille ! C'est moi qui décide de l'homme que tu devras épouser. Et je n'ai que faire des caprices d'une enfant. Tu feras ce que je te dis, et sans discuter.

— Non ! s'emporta la jeune fille. Non ! Non ! Et non !

Elle était au bord des larmes. Comment se permettait-il de décider pour elle avec quel homme elle serait mariée ?! Elle voulait avoir le choix, laisser l'amour la guider. Son père n'avait pas le droit de faire cela ! Elle en était folle.

Le Roi se leva soudain. Il était outré par son comportement, en colère qu'elle ose ainsi prendre la parole sans sa permission. Il la gifla sans qu'elle n'ait le temps de voir le geste venir. Ses larmes se séchèrent aussitôt et elle resta interdite. Mona vint pour l'enserrer de ses bras, comme pour la protéger et la soutenir. La jeune fille se laissa aller dans l'étreinte de sa nourrice, stupéfaite que son père ait levé la main sur elle. C'était la première fois. Jamais en dix-sept ans il ne l'avait touché avec autant de rudesse.

— Sors d'ici ! lui ordonna Armand d'EdenGol'd, hors de lui. Je ne veux plus te voir dans cette pièce ! Et tant que tu ne seras pas calmée, que tu ne te seras pas excusée pour ton odieux comportement, je ne veux pas que tu te présentes devant moi ! Maintenant, montes dans ta chambre, et n'en sors pas avant d'avoir longuement réfléchi à ce qui vient de se passer.

Les larmes revenant à l'assaut, Ariel se défit de l'étreinte de Mona et s'enfuit dans le couloir du château sans demander son reste.


© Lynn RÉNIER
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