Le sous-sol

kaor

 - Il faut que j'écrive.

- Écrire ? Pourquoi ?

- Mes pensées m'emplissent jusqu'à en déborder. J'ai besoin de m'en défaire, j'aurais beau essayer je ne pourrais pas les retenir.

- Et alors ?

- Elles coulent dans mon sang, se transforment en encre au contact du stylo. Elles se posent d'elles-mêmes sur le papier ; désordonnées, incomplètes, avortées.

- À quoi bon dans ce cas ?

- Elles me dépassent ; je ne suis qu'un réceptacle, un transmetteur !

- Transmettre à qui ? Qu'as-tu à dire qui mérite d'être entendu ? Aller va, tu ne penses qu'à toi.Ce ne sont que tes pensées, ce n'est que ton malheur, alors préserves-en les autres.

- Pourtant je ne leur cause aucun tort, je pose simplement des mots, mes mots. S'en saisir ou non reste leur choix. S'ils pensent s'y retrouver, si ces pensées peuvent les aider, pourquoi ne pas leur proposer ?

- Les aider ? Les guider peut-être ? Leur montrer la voie, ô grand sage ? Tu parles comme si tu flottais au-dessus du monde pour distiller ta connaissance, mais c'est le monde qui pèse sur ton esprit embrumé. Toi tu es enfoui là où personne ne te trouvera jamais, ou même la lumière n'a pas la force de pénétrer. Tu aimerais croire qu'elle te touche, qu'elle t'illumine, mais tu le sais au fond de toi ; les rayons qui t'effleurent ne sont que les manifestations de tes espoirs inavoués. Tu prétendrais tirer les autres du sous-sol, tu es déjà incapable de t'en sortir toi-même. Quand bien même ils se retrouveraient dans tes pensées, quelle porte de sortie leur offriraient-elles ? Aucune ! Je réitère donc ma question ; à quoi bon ?

- On pourrait errer toute une vie dans le sous-sol, et peut être y suis-je condamné. Mais si d'autres s'y perdent aussi, alors dans ce monde sans lumière trouvera-t-on malgré tout la chaleur rassurante de savoir que nous errons ensemble.

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