le tableau

Joyce Attal

Le tableau,

On y entrait par une porte vitrée ;

Le pas glissait sur le sol lustré.

Dans la grande pièce nue et carrée,

Seule, une longue table boisée

Etalait des tubes de toutes les couleurs.

Le blanc au centre,

L'amande avec le bistre,

L'azur non loin de l'ambre,

Le vermeil à l'opposé du pourpre,

Et toutes les nuances colorent la palette ébène.

Un arc-en-ciel luminescent

Pointait les pinceaux vers le haut.

Dans la salle, pas de meuble,

Un grand chevalet, tourné vers la lumière,

Masquait la toile aux yeux du curieux.

L’Artiste peint sous le soleil.

Le Modèle prend la pose.

Debout, drapée d'or fin,

Dans une attitude d'une infinie douceur,

Elle discipline sa chevelure sauvage

En de longues boucles sages.

Le peintre observe la déesse, immobile ;

Il prend un fusain fin, et d’un trait indélébile

Il dessine les contours célestes

Que l'astre du jour sublime.

Un bras albâtre retient le pan

De la toge aux plis dentelés ;

L'autre, indolent, pend ;

La taille fine enserre la corolle ajourée

Abritant deux seins légers

Qui flottent sous le satin doré.

Le pinceau s'enduit d'ocre ;

La toile frémit et se colore.

La jeune éphèbe secoue sa crinière,

Puis d'un geste félin, elle délie ses doigts fins.

L’artiste est fasciné ! Il saisit le regard azur

Pour y voler l’âme pure.

Mais c’est lui qui aliène la sienne à son insu,

Révélant sa passion au fur à mesure

Qu’il peint la splendide Vénus.

Il la couche amoureusement sur le tableau,

Il caresse la peau veloutée de son pinceau,

Il cherche à travers la pulpeuse beauté

Qui s'offre à la lumière,

L’image évanescente de la vierge en prière.

L'art se nourrit de parfums

Que sécrète la peinture.

Mouvance passionnelle

Qui fait danser l'Artiste et l'Œuvre 

Sous les yeux charmés

Du modèle aérien.

Soudain, griffant l’asphalte,

Un doigt acéré s'échappe

Entre les épines des roses fragiles

Qu'il a déposé à ses pieds graciles.

L'amant s'indigne de l'Achille fendu.

Satanique tâche rougeâtre

Avilissant l'étoffe virginale !

L'ultime Graal déchoit le Prince.

Fils de Médée, il immolera la toile,

Le modèle et le Peintre aux yeux noirs.

Un bûcher maléfique embrassant la tanière.

Nul ne verra le tableau.

L’Histoire oubliant le Maître ;

L'homme pleurant la femme.

Seul, l'Art persiste à imiter

La déesse qui, de ses amants, a dérobé

Les cœurs, jalouse de l'Amour éternel

Qu'ils vouent à leurs précieux modèles.

ATTAL JOYCE

05/12/2011

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