Le talent d'Achille
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Depuis sa plus tendre enfance, Achille aimait à faire le clown et rêvait d'en faire son métier. Il dut se rendre à l'évidence qu'il lui aurait été quasiment impossible de se faire un prénom et de surclasser l'auguste Zavatta. Pris d'une passion circassienne, il ne baissa pas pour autant les bras. Il n'était pas assez musclé au niveau des trapèzes et il avait peur du vide. Il renonça donc à faire équilibriste. Gamin, il s'était fait agresser par Choupette, la chihuahua de la voisine et il en gardait un souvenir mordant. La nuit, il faisait des cauchemars où il revoyait sa grand-mère Ginette en string léopard sur la plage de Palavas-les-Flots. S'enfermer dans la cage aux fauves tenait de l'impossible. Quant à jongler avec des baguettes qui font tourner des assiettes, il tenait cela pour des chinoiseries.
C'est sur Youtube qu'il découvrit les exploits de Georges Pujol. Ce dernier pouvait se vanter d'avoir une spécialité peu ordinaire : il était pétomane. Achille se mit à l'ouvrage pour prendre sa succession. Il s'imposa un entraînement drastique à base de boissons édulcorées, de flageolets et de choux. Au bout de trois mois il n'en ressortit rien du tout, hormis le constat que les ronronnements de son chat dépassaient largement en décibels ses flatulences. Elles restaient désespérément coincées sur un la minable. De plus, son budget lingerie et lessive atteignit des sommes astronomiques. Enfin, les efforts surhumains qu'il produisait l'emmenèrent chez le médecin qui lui imposa une hospitalisation pour une hernie abdominale. Il jeta l'éponge, dans les toilettes. Il en fut quitte pour une facture du plombier de 500 euros.
Rassurez-vous pour notre jeune ami : il ne connut pas la chienlit ; le déclic arriva. II convia ses amis à le rejoindre pour la demi-finale de la coupe d'Europe de football qui opposait Parme à Coulommiers. Tradition oblige, c'était soirée pizza. Tout ce petit monde s'affala sur le canapé, ayant pris soin de retirer ses chaussures. C'est Kevin qui se plaignit en premier. Il rappela qu'il avait horreur du fromage et qu'il avait exigé de ne commander que des galettes Margherita. Lionel jura qu'il n'avait pas ramené l'andouillette maison de sa tante. Pierre s'évanouit. Quand il reprit ses esprit, il expliqua que la moindre odeur d'oignon le faisait défaillir. Achille ouvrit la fenêtre du salon par acquis de conscience. Au milieu de la nuit, le locataire du dessus appela la police, suspectant une attaque chimique au gaz moutarde.
Depuis quelques mois, les patrons de cirque étaient au désespoir. Une loi interdisait l'usage de tout animal sous leurs chapiteaux. Quand Achille débarqua pour présenter son numéro, il fut reçu, après quelques réticences, comme le messie. On avait ressorti de vieux numéros de derrière les fagots comme les puces savantes et même réembauché des femmes à barbe. Force était de constater que ces numéros étaient surannés avec les i-phones à qui on pouvait demander n'importe quoi et depuis la mode des tickets de métro.
On avait pris la précaution de prévenir les spectateurs comme quoi le numéro était le plus méphitique qui n'eut jamais été présenté. Les adeptes de Satan, persuadés que l'on invoquerait le diable, se présentèrent en nombre. Quelques retraités, croyant sentir la bonne affaire et une vente au déballage se précipitèrent, chaussés de leurs Mephisto. Quand Achille arriva sur la piste, un silence de mort se fit. Si aucun esprit ne fut évoqué, on aurait cependant juré que des pieds et des aisselles d'Achille sortaient des ectoplasmes. La police intervint, reniflant une supercherie. Des parfumeurs succédèrent aux gothiques et aux pensionnés. Ils lui firent des ponts en or. Depuis l'interdiction de la chasse au cachalot, il était devenu impossible de se procurer de l'ambre gris, préparation indispensable pour la confection d'un parfum digne de ce nom. Il fut même invité à la convention annuelle de dermatologie qui n'avait pas eu l'occasion d'observer un tel phénomène depuis John Merrick.
Fortune faite, Achille retourna sur ses terres natales, en Bretagne. Il investit tout son argent dans la production porcine. Son exploitation est sans doute la plus moderne qui soit. Appelés plusieurs fois sur place, les services vétérinaires sont dans l'incapacité de comprendre d'où vient la constante odeur de lisier qui empuantit l'environnement dans un rayon de cinq kilomètres.