LE TEMPLE DE L'EAU
Nadia Esteba
LE TEMPLE DE L’EAU
C’est un lieu intemporel où viendraient s’ébrouer nymphes, naïades, prêtresses. Mais, agenouillées, parfois douloureusement, les femmes savonnaient encore une fois le linge à la main, le battaient avec le battoir, morceau de bois, ou spatule en forme de pelle plate. Des astucieuses se faisaient se confectionner un petit reposoir en planches où elles posaient des toiles de jute en coussinet pour préserver les genoux et ne pas recevoir d’éclaboussures. Souvent elles ne venaient que pour rincer la lessive encore humide calée dans la brouette, cahotant, sur le chemin caillouteux du «labadou», à grande eau généreuse, régénérante. Accompagnées ou non d’enfants en bas âge s’ils ne pouvaient être gardés par une aïeule restée à la maison au coin de la cheminée heureux d'aller se mouiller, apprendre à laver un grand mouchoir (brodés au initiales du propriétaire) «chaoupiner»dans les flaques». Elles transportaient les baquets,ou des bassines de zinc pleines à ras bord de linge blanc qui avait bouilli dans la lessiveuse avec de la cendre sur la cuisinière à charbon ou les braises de souches : draps de fil ou de coton blanc, torchons, langes pointus de bébés, dessous en coton blanc, tout le linge était blanc hormis les robes de femmes , qui pour les plus anciennes étaient noires et qu’on ne lavait pas souvent, ou alors étendues sous l’eau de pluie le temps d’une averse d’été. Judicieuse initiative d’une eau qui ne faisait pas déteindre le tissu et qui n’abîmait pas les fibres...Séché au vent, ou au soleil voilé la robe restait intacte débarrassée d’impuretés. On dit que dit qu’il fallait confier à la lune les fragiles dentelles. Il y avait des lessives mensuelles mais aussi annuelles car on pouvait amonceler dans un endroit dévolu en attendant les beaux jours et si on était pourvu et donc riche en rechange. Pour ce qui était de l’étendage à proprement parler il était rudimentaire mais ingénieux. Sur de grosses pierres on étendait nappes, draps sur des touffes de thym, petit linge etc. Nous faisons partie d’une génération aux coutumes très différentes de celles d’aujourd’hui autant dire, qu’il est difficile d’expliquer ce mode de vie presque moyenâgeux avec les rites d’emmaillotage des enfants que l’on pouvait tenir comme un pain de Noël. A l’ère de l’épingle à nourrice, je fais partie de ceux qui ne pouvaient bouger les jambes, avec une série de vêtements blancs superposés, maillot, chemise brassière, langes pointus, «bourrassous» et pour finir, un immense bavoir brodé tenu par une jolie broche. L’eau faisait partie de notre nature notre univers celle salée des étangs, celle de la mer, celle des sources. Excellente eau à boire, provenant de sources vauclusiennes en amont ou carrément s’écoulant à l’intérieur pour se jeter dans les ruisseaux, aiguilles. Nous vivions sans nous en rendre compte dans une richesse environnante, dans le coassement des grenouilles, avec du poisson en abondance, des «cranquets», des fruits de mer sans en prendre réellement conscience avec une impression de pauvreté pourtant, sinon de vide apparent. Nous sommes si vivants avec le vent le soleil, cette lumière ocrée si particulière qui donne au village des tons ambrés de film colorisé, ou de tableaux réinventés irréels dans des touches impressionnistes. Nous avons aussi à « LA PALMÈE » un deuxième très beau lavoir, d’une forme pensée, qui peut servir de baignade ou de piscine miniature dans lequel l’eau froide remplace avantageusement «la clim» lors des journées très chaudes d’été et certains palmistes ont pris des photos où le bleu prédomine, merveilleux instantanés volés au temps, que Claude Monet en peintre impressionniste, ne renierait pas. L’eau, qui fait éclore des tapis d’iris jaunes, l’eau de la vie, sa féerie. Le vent a une présence. Jamais seuls dans le silence. Son étonnante puissance nous envoûte. L’on peut voit nager des enfants revenant d’une promenade ou tout «moustousés», ramasser des mûres, se rafraîchir les pieds, dans cette mare naturelle entourée d’herbes empanachées, de la PAMPA. Longtemps dans les rues du village, nos nombreuses fontaines de fonte avec leur manivelle sur le dessus a donné l’eau au village. Une eau douce à boire,très froide, lorsque il n’y a pas si longtemps encore les maisons n’étaient pourvues individuellement de l’eau potable et que par conséquent l’on venait recueillir avec un seau, une cruche mais que l’on ne gaspillait pas. Tous avaient signé un pacte sacré avec la nature, à cette époque les chasseurs ne prélevaient que le nécessaire il n’y avait pas de congélateur. Pas de gaspillage .Mon travail d’enfant était d’aller remplir la cruche bleue, celui d’Edwige, le broc jaune et de le remonter au premier étage de la maison. Ils servent aujourd’hui au jardin, pour l’eau des fleurs. Je me pose. Là, lentement, tendrement le silence reprise l’amour effiloché. Je refais les gestes. Dans la forêt des impressions des intuitions, reviennent des souvenirs. J’adorais boire, penchée à même le robinet tout en tenant la manivelle en prenant l’eau dans l’autre main, c’est un plaisir indescriptible. C’est de l’amour qui passe.