Le test

Fanny Finet


« Alors ça donne quoi ce test Christine ? Ça fait 20 minutes que t'es enfermée là-dedans. Il faut moins de temps, quand même, pour quelques gouttes de pipi ? »

« Arrête, c'est pas drôle, le test est positif. Il y a le trait comme sur le modèle, je le vois ! Je suis enceinte »

« Mais, tu es sure ? Ouvre-moi la porte, que je vérifie aussi ! » Christine entrouvre la porte de la salle de bains. Malgré sa stature imposante, elle paraît plus fragile qu'une enfant. Thierry ne remarque rien, il se jette sur le test.

« Ah oui, c'est ça ! dit-il en claquant sa main droite contre la cuisse. Quelle poisse quand même. A 40 ans passés, on a l'air bête. Pire que deux adolescents qui se découvrent. Mais comment c'est possible ? »

« Je ne sais pas moi, c'est peut être dû à ce changement de pilule.»

« Ah ! » crie Thierry dans un souffle de victoire puérile, « ce n'est pas de ma faute, alors ! »

Pour toute réponse, Christine lui claque la porte de la salle de bains au nez.

«  Ne le prends pas comme ça, ma puce, excuse-moi, c'est pas drôle. Je suis désolé. Mais c'est juste que je trouve ça con. Franchement, on est un peu en décalage, tu ne trouves pas ? »

« en décalage avec quoi ?» répond Christine dans un souffle court pour masquer son émotion.

« Bin en décalage, en décalage avec le temps, quoi ! Tu as 42 ans, j'en ai 45....C'est pas maintenant qu'on va faire des enfants ! Enfin, au moins, on a pas le souci de savoir comment payer pour cet avortement et puis on est majeurs, ça facilite les choses, hein ? »

Le mot est lâché. Avortement. Christine, recroquevillée sur les toilettes, frissonne.

« Ne sois pas en colère ma chérie, je ne supporte pas de te savoir énervée. Ça me rend triste. Je te fais la promesse que tout cela va très vite s'arranger. On va contacter Mériol, le rendez-vous sera pris dans les jours à venir, fais-moi confiance »

Dans un long soupir, Christine écrase une larme sur sa joue. Elle se ressaisit, se frictionne le visage avec les mains, inspire longuement et ouvre la porte d'un geste ample.

« Tu as raison, on n'est plus des enfants... C'est comme Mado, plus grosse qu'une baudruche sur le point d'éclater. Dans 15 jours, elle accouche. A 43 ans en plus. Et Michel ! Sacré Michel, on dirait un gamin. Il ne parle que de ça. A le voir si gris, engoncé dans son costume élimé d'aide comptable, j'aurais jamais pensé, qu'il puisse s'enthousiasmer pour quoi que ce soit »

« Que veux-tu Christine, ces gens sont des originaux, des hurluberlus. Ils ne réfléchissent pas. Ils ont un enfant, clac, comme ça ! »

« Oui, clac comme ça. »

Alors que nous, nous sommes des gens censés, Christine, intelligents, prévoyants.

« Oui, prévoyants »

Tout en discutant, elle se dirige vers la chambre à coucher. Il parle du crédit de la maison qu'ils n'ont pas fini de payer. Elle ne l'écoute plus. Elle repense à leur rencontre, vingt ans auparavant. Tout cela lui semble si lointain. Elle était au beaux arts, il travaillait dans les assurances. Un homme sur de lui, prêt à prendre des décisions pour deux. J'ai glissé sur ma vie, juste en surface, pense t-elle.

« Tu vois, Christine et Michel, ils ne pensent pas au réchauffement de la planète, aux ressources qui s'amoindrissent, au gaz de schiste qui contamine l'eau des nappes phréatiques.... Tu sais quoi Christine ? »

« Non. »

« Ce sont des gens égoïstes. Tellement égoïstes que ça m'énerve, tiens ! Des amis comme ça, ça vous claque entre les doigts pour un rien, tellement occupés à parfaire leur petit bonheur à tous les deux ! »

« Oui, leur petit bonheur. » Sur le visage de marbre de Christine, un sourcil se lève, ses yeux fixent le vide. Avec sa main droite, elle enroule et déroule nerveusement sa bague de mariage autour de l'annulaire. Elle ne dit plus rien.


Demain, elle prendra rendez-vous, trop occupée à parfaire son petit bonheur à lui.

Signaler ce texte