Le transsibérien (hommage à Blaise Cendrars)

Serge Boisse

Un long poème que j'ai écrit à l'âge de 17 ans, en hommage à Blaise Cendrars, écrivain et poète peu connu mais Oh combien essentiel !

Espace, temps, mémoire, quelle importance

Ce soir je veux t'appartenir

Et que peut-il m'arriver de pire

Car bien sûr tu ne m'appartiens pas

Car bien sûr il n'est pas d'avenir

Autre que celui de tenter notre chance

 

Je reprends le train en marche

Et les stations défilent interminablement

Quelquefois j'y vois des enfants

Ils agitent un mouchoir avec leurs mains sales

Puis disparaissent happés par le vent

Et je sais que pour eux ce train est une arche

 

D'autres fois nous sommes pris dans la tourmente

Alors il n'existe plus rien que cette neige écarlate

Qui recouvre monts et vallées de l'Oural aux Carpates

Et ce silence infini de l'espace

Seulement déchiré par les bougies boogie sur trois pattes

Monotone musique qui m'assomme et me hante

 

Souvent nous traversons des villages en ruine

Où le feu dévore hommes, femmes et enfants

Souvent de l'Oural au Kazakhstan

Il n'est rien d'autre que cette guerre absurde

Et ces gares délabrées qui respirent le sang

Mais jamais le train ne s'arrête en ces contrés assassines

 

Alors bloqués dans nos sleepings d'or et d'argent

Nous voyons les paysans vers nous lever le poing

Et lâcher quelques jurons sans lendemain

Avant de reprendre leurs labeurs et leurs amours

On les tire au fusil chacun le sien

Et nous laissons derrière nous encore un peu moins d'enfants

 

Mais en général rien d'aussi réjouissant

Le train roule sa valse qui déconne

Et je te serre contre moi mon amie ma mignonne

Il ne faut pas regarder ce que font les adultes

Ils sont si tristes et monotones

Qu'il vaudrait mieux en oublier le présent

 

Oui je me souviens c'était il y a bien longtemps

A Paris, New York, Singapour ou Vladivostok

Villes peuplées de drôles, de fantômes, de morlocks

Et aussi les plus belles filles du monde

Mais là bas dans ces cités de bric et de broc

Je t'ai connue toi ma princesse mon enfant

 

Tu sais grâce à toi je découvre toutes les facettes

De ce monde si triste et pourtant si beau

Oh toi où es tu tu me manques trop

Tagatac tacotac le paysage défile

Et le soleil chaque jour se couche un peu plus tôt

Bientôt je devrai réchauffer tes mains avec une allumette

 

Oui tu sais nous ferons comme dans ce conte ancien

Mais il faudra faire bien attention

A ne pas tomber dans leurs machinations

A nous deux nous rebâtirons un monde

Et qui sera heureux pour de bon

Mais tu dors maintenant tu n'entends plus rien !

 

Voici qu'arrive un tunnel

Tout est soudain gorgé d'obscurité folle

C'est long ça dure une éternité

Nous allumons les lampes à pétrole

Mais il n'y a rien au delà des baies vitrées

Rien que ce noir immense opaque et mortel

 

Tout doucement le train quitte ses rails

Et décolle et vole et nous emporte

Vers où je ne sais que m'importe

Il n'y a rien au delà des baies vitrées

Nous entrons par la grande porte

En plein dans un grand royaume qui déraille

 

Oh réveille toi réveille toi c'est fabuleux

La brume soudain se transperce d'étoiles et de mondes

Le train s'y glisse et vagabonde

Son délire s'accentue se valse se reprend

Et le guide vers une jolie planète blonde

Qui ouvre vers nous ses grands yeux

 

Nous descendons vers elle et je te serre dans mes bras

Tu as un peu peur mais surtout confiance

Un beau jour il faudra qu'on se fiance

J'ai trop bourlingué je veux m'accrocher quelque part

Et Satan malgré toute sa science

Ne pourra m'empêcher d'être à toi

 

Nous voici étoile filante

Traversant l'azur orangé

Semblable à ces déités

Qu'autrefois les hommes appelaient dieux

Et qui ne sont que vanité

Colère et ambition suffisante

 

A notre approche d'obscurs indiens lèvent la tête

Puis se prosternent jusqu'au sol

Et devant ce miracle cet impossible vol

Ils ont cloué une vierge sur un autel blanc

Ils dansent et festoient puis ils l'immolent

Et nous allons plus loin pour ne pas troubler leur fête

 

Et toi ma princesse pourquoi te serres-tu contre moi

Mais tu trembles ce n'est rien ça passera

N'aie pas peur mon trésor ma biche tu verras

Sûrement ce monde est un paradis

Oh je t'aime je t'aime ne pleure pas

Mais pourquoi donc as-tu si froid ?

 

Nous voici sur un grand océan

Sa couleur est celle d'une mélodie d'amour

Elle se pare quelque fois de ses plus beaux autours

Et de multiples lucioles y poudroient

Nous y sommes un lampion un ludion un drôle d'abat-jour

Et les vagues nous saluent toutes en passant

 

Or voici que depuis ses sombres sargasses

Surgit devant nous le Léviathan

C'est un monstre une pieuvre un signe des temps

Ses yeux jaunes et pourpre nous surveillent

Semblables à de très longs cauchemars d'enfants

Et ses membres se peuplent de mille ombres fugaces

 

Mais laissant là les lourds soleils éclatés

Nous volons vers de grands continents à la dérive

Où la nuit vient nous voir et nous suivre

Dieu qu'ils sont beaucoup tes soleils couchants

Nous sommes je crois tous un peu ivres

Et je ne sais presque plus penser

 

Sur moi je sens ton corps de déesse

Si frêle et si beau pourtant

Ta peau est pâle presque transparente

Tu ne dis rien ta tête est contre la mienne

Tu sais j'ai peur et cette peur me hante

Pourquoi pleures-tu, oh ma princesse ?

 

Et viendront les constellations étrangères

Ivres de solitude d'attente et d'alcool

Et là soudain devant nous sur le sol

Deux rails immobiles et linéaires

Enfin nous allons cesser notre vol

Et je me sens plus léger que l'air

 

Mais que fais-tu que t'arrive-t-il mon amour mon enfant

D'où vient ce lourd brouillard qui m'assomme

Par trois fois une très vieille cloche qui résonne

Où vas-tu pourquoi t'éloignes-tu de moi

Quelque chose te tire en arrière une Gorgone

Vilain monstre rend moi ma perle mon diamant

 

Tu cries et je ne peux rien pour toi maintenant

Je suis cloué sur une croix j'assiste au supplice

J'ai froid je tremble quel est ce maléfice

Parfois j‘aperçois tes yeux liquides

Au milieu des serpents impassibles

Ils pleurent de grosses larmes comme un calice

Ils sont enfermés dans une urne de verre et d'argent

 

Alors soudain tout se fige et se fend

Signant ainsi l'arrêt du temps

Alors soudain tout se fige et se fond

Le train se pose doucement sur rails de plomb

Et je sais qu'il roule vers une gare sans fond

Le brouillard se dilue je la vois d'aplomb

 

ENFER est son nom !..;.


Signaler ce texte