le treizième silence

johnnel-ferrary

LE TREIZIEME SILENCE

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     J’ai posé ma pipe sur le cendrier publicitaire. Un cendrier qui ne sert plus de puis longtemps, et il n’y a plus de tabac non plus. Je n’ai plus fumé depuis des siècles, et je ne me souviens plus d’avoir fumé une seule fois ! La mémoire me manque, et pourtant, il me faut la retrouver. Je suis seul dans cet aéronef plus vieux que je ne le suis, et tout autour l’espace infini avec des étoiles si lointaines que l’on ne peut savoir comment elles sont. Ce cendrier, avec des inscriptions qui ne me parlent plus, deux ou trois dessins qui ne représente qu’une infime partie de mon passé, il est là, inutile comme je le suis. Pourtant, lorsque je regarde dans le lointain où s’efface l’horizon bleu si sombre, je revois un môme qui avait écrit sur un mur de l’usine. Des mots scandant la liberté, mais aussi la mort.

LA VIE EST UN ENFER ? LA MORT SA DELIVRANCE !

Les mots écrits par un gosse sur un mur de béton, dans une banlieue où très souvent les Milices peuplaient les boulevards. Au fond, est-ce bien ma mémoire qui me lance des songes de désespoir, l’hallucination d’un autre univers qui s’offrirait à moi comme s’offrent les cadeaux de Noël aux mioches des cités surpeuplées. La pipe repose dans le cendrier, objets inutiles, ma propre décadence, le flux et le reflux de mes neurones envahis par la longue solitude de l’être qui n’en est plus un. Je savais qu’il me fallait me perdre pour que plus tard renaîtrait un monde nouveau, un monde glorifié par tant de beauté, d’infrastructures intelligentes, des croyances absolues et ces prières qui monteraient plus haut que les cieux. Et je suis là, contemplant un cendrier vide, une pipe sans tabac, et mon corps qui peu à peu se disloque. Oui, il le fallait pour que vous autres deveniez les lecteurs de ces mots devenus insignifiants à vos regards. Qui étais-je donc pour vous ? Un manant perdu dans une grande cité où les machines humaines vont et viennent, sortent des égouts, retournent dans leur dur labeur qui saura les rendre sauvages ? Oui, je le sais, j’imagine déjà vos sourires et les rictus naissants sur vos lèvres de couleur pourpre. J’étais autrefois, je le suis maintenant, que serais-je plus tard ? Tous étaient à mes cotés, tous écoutaient dans le long silence de ma simple parole. Je les regardais, ils me regardaient. Oui, tous sans exception, cherchaient la vérité par le biais d’un verbe, d’une lettre mal ajustée, d’une phrase dont les syllabes devenaient des morsures de sang divin. Il le fallait bien pour que chacun puisse enfin vivre libre, alors je m’étais décidé avant que le jour ne renaisse de la nuit sans étoile. J’ai parlé moi qui ne disais jamais rien.

-        Je dois aller là où le sang et le feu se mélangent pour devenir cendre !

Aucun ne comprirent ces mots, et pour finir ce lourd monologue, j’eus l’augure de leur avouer qu’il fallait le treizième silence pour que je puisse advenir ce que je serais plus tard. Un seul tairait ce qu’il devait dire, un seul deviendrait cet ultime silence !

-        Mais qui doit se taire maintenant, demanda l’un de ces êtres au nombre de douze.

-        Il le sait- dis-je, il le sent, la brûlure sur sa bouche deviendra incandescente lorsque le moment de se taire à jamais viendra enfin ! Il se mettra à trembler, ses mains seront moites, son front perlé de gouttes d’un sang fluide. Sachez que la mort n’est pas l’ultime destin de l’être, mais la simple jonction d’un monde vers un autre monde.

J’aimerai rallumer ma pipe, goûter de nouveau l’âcre césure du tabac blond, sentir dans ma bouche la chaleur d’un brûlot jusqu’à plus tard. Face à moi, cette vieille machine muette et morte à jamais, un écran cathodique devenu la blessure d’une silhouette jetée dans la cage aux lions. Je voudrais vous imaginer avec votre sourire, vos sourcils froncés à la vue de mes maux dans l’écriture formatée. Le N’TYX continu sa route, droit devant, et lorsque viendra le lieu de ma sentence, je serais debout afin d’attendre le verdict du destin. Ne riez pas, je peux vous jurer combien cette solitude me pèse. Et loin du grand mur de l’usine, les mots chantent encore dans ma tête dont la fêlure s’intensifie. «  La vie est un enfer, la mort sa délivrance ».

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« JE DOIS ALLER LA OU LE SANG ET LE FEU SE CONJUGNENT POUR DEVENIR CENDRES… » dis- je avant mon départ. Tout avait débuté par un simple repas entre convives. Treize autour d’une table ronde, un repas simple fait de viandes, de légumes, de pain et de fruits. Quelques fromages accompagnaient salades et autres petits ingrédients. Nous mangions et partagions le pain que nous servaient des belles jeunes femmes qui ma paraissaient s’émouvoir autour de nous. Pas de chevalier errant, pas de ces sujets qui croient au pouvoir des uns sur les autres, pas du tout. Dehors, la Gestape se faisait entendre d’un bruit de bottes et de hurlements qui arrachaient le silence de sa dévotion. Il me fallait sans doute du courage pour les affronter avec leurs vestes de cuir noir et leurs chapeaux datant de l’autre guerre. Pas de chiens à leurs cotés, mais un regard en acier car ils n’étaient que des machines domptées par un cerveau malade dont les circuits électroniques chevauchaient la discorde. Entre nous, le frémissement et la peur, l’avenir incertain et surtout, le silence qui allait se confondre avec l’insolente déception pour celui le portant à ses lèvres fermées. Ne rien dire, ne pas répondre, et voilà le jugement dernier. Bourreau, fais ton devoir de bourreau, allume la mèche que la cendre puisse enfin s’élever jusqu’au Divin Mortel ! J’étais le seul à parler, le seul à dire ce que chacun oserait entrevoir de son avenir.

-        Demain, à l’aube, je serais loin de vous mais si proche que vous me verrez en fermant les yeux afin d’ouvrir vos esprits.

Dehors, les N’TYX survolaient la cité à la recherche d’une âme qu’ils dévoreraient à belles dents. Soudain, le bruit sourd d’un poing frappant la porte et une voix sourde.

-        Gestape, ouvrez cette porte ou nous l’enfonçons…

Mon corps me brûlait déjà, mon âme se sentait envahie par le bien-être de la délivrance soudaine. Paradoxe dont je ne compris que plus tard la dévotion lubrique. Je fis signe à l’une des femmes d’ouvrir la porte à ces mécanismes enfantins. Elle l’ouvrit, et trois silhouettes entrèrent pour nous faire face.

-        Qui est celui dont le départ est proche, lança une voix profonde.

-        Je ne sais pas de qui vous parlez, argumentèrent mes amis.

-        Et toi, tu ne dis rien, pourquoi ?

Lui me regarda et compris tout de suite. Il allait devenir mon bourreau et mon sauveur. Evidement, les membres de la Gestape comprirent à leur tour que j’étais celui dont le voyage devait s’accomplir.

-        Lèves toi et suis nous. Tu connais ton destin, tu connais ton avenir, et ce qui est écrit ne peut s’effacer.

-        Oui, je le sais, répondis-je. Partons tout de suite.

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On aurait pu dire de la nuit entourée de brouillard, pouvait effacer mes empreintes, mais non, elles résistaient dans le sol et dans les mémoires Lumines. Car les Lumins sont dotés de mémoires comme le sont leurs machines dont je me sers actuellement pour vous écrire cela. Ma pipe toujours sans tabac, posée sur son socle cendrier publicitaire, me donne envie de fumer le mauvais tabac, plus fort et bien meilleur que le vôtre. Un mélange de tabac roux et brun, de quelques brindilles de bois sec, un peu de marijuana et un soupçon de cocaïne. Sur ce bureau, un verre vide et une bouteille de Bourbon qui déjà, me tourne la tête. Oui, je bois, je suis soumis à la dure loi de l’alcool depuis ma descente aux enfers, c'est-à-dire votre monde à vous, les Lumins ! Votre boule de terre et d’eau, de mélange d’azote et de gaz carbonique, d’oxygène et d’hélium, me donne des nausées depuis mon départ. Quant au N’TYX, je crois qu’il file en direction d’une autre planète qui ressemble à la vôtre ? Du moins, je le crois ! Je n’ai pas dis ce qu’est un N’TYX quoique vous vous en doutiez un peu, n’est-ce pas ? C’est à la fois une chimère volante, un vaisseau spatial vivant, un oiseau qui à la taille de dix fois le plus gros de vos avions en vol dans les années trois mille après Jésus CHRIST ! Il va là où il veut, il sait son chemin, je ne suis que son passager lors de mes conquérantes planètes. Bien sûr, mon jugement eut lieu, mes cendres furent jetées dans une boue qui coulait le long de vos trottoirs. Comme à chacune des fois où le monde qui me juge m’offre un brûlot de joie. Le vôtre fut excellant, je peux le dire.

-        XORG, ici le Libérant matricule sept, votre mission est terminée ?

-        Oui bien sûr, Maître Supérieur. C’est un succès.

-        Parfait, nous sommes ravis de l’entendre. Votre N’TYX est programmé pour la planète C.67B.9, juste derrière les trois soleils que compte ce système. Avez-vous besoin de ravitaillement ?

-        Oui Maître Supérieur, un peu de tabac pour ma pipe ! Le blond comme celui que l’on trouve sur ma planète d’origine, la Terre.

-        Désolé pour vous, les buralistes sont en grève et actuellement, nul ne peut plus fumer sur votre planète.

-        Bon, et bien je vais me débrouiller. Je vous salue humblement, Maître Supérieur.

-        Nous de même. Essayez de programmer votre vecteur B.78 qui peut vous ramener en 1976, ainsi vous pourrez acheter du tabac blond pour votre pipe.

-        Bonne idée, merci de ce conseil. Je crois que cette année là, j’étais contrôleur à la SNCF si je me souviens…

-        Oui, un désastre. A bientôt.

Quelques messages sur l’écran, direction le vecteur, et je pianote le 12 Juin 1976, et je me retrouve sur la Place d’Italie, dans le treizième arrondissement d’où je viens. Il y a foule, et je dois rejoindre la Gare de Lyon pour prendre mon service, mais avant, vite, l’achat de deux paquets de tabac blond pour ma pipe.

-        Eh ! John, mais comment vas-tu vieille branche ?

Je regarde cet inconnu qui me sourit béatement. Oui, c’est vrai, un ancien collègue à moi lorsque j’étais fraiseur dans une grande entreprise qui fabriquait des armes de guerre.

-        Bien mec, et toi, que je lui lance.

-        Pas mal, j’ai divorcé de l’autre grognasse, la Simone. Depuis, je suis à la retraite, je vis bien. Et toi, je constate que tu bosses toujours…

-        Oui, contrôleur dans les trains de la banlieue sud.

-        Ouais, çà ne doit pas être marrant tous les jours ?

-        A la longue, il faut s’habituer. Excuses moi, je file, je dois prendre mon service d’ici une heure. A bientôt qui sait ?

-        Salut John, et donnes le bonjour à ta femme.

-        Je n’y manquerais pas, bonne journée…

-        Tu veux dire bonne soirée plutôt, se marre cet ancien pote.

Mince, j’ai débarqué en début se soirée alors que j’escomptais me retrouver en matinée. Adieu mon café crème et mes deux croissants au beurre. Tant pis, juste le temps d’acheter mes deux paquets de tabac et hop, je repars pour de nouvelles aventures. C’est vrai, la nuit tombe peu à peu alors que je me croyais en début de matinée…Bah, tant pis, je me risquerais une autre fois pour déguster un petit déjeuné comme je les aime. Ah ! C’est à mon tour de consommer…

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Retour à la maison, enfin plutôt retour dans le N’TYX devrai-je dire. Avec mes deux paquets de tabac blond pour pipe. Je me mets au boulot de suite. Préparation de l’ordinateur et je prépare le tabac pour la pipe. Tiens, ma bouteille de vodka se termine, j’ai oublier d’en acheter au supermarché du treizième… Tant pis, de toute façon, j’ai décidé de ne plus boire, et dans quelques mois, adieu le tabac. Sur l’écran de l’ordinateur s’inscrit un message. C’est le central.

-        Erno BARNE, vous devez retourner sur Terre car cela coince question climat. De la neige sur PARIS en plein mois d’août. Il vous faut réparer le système de la régulation temporelle car il est à craindre que les LUMINS aient détruit des mémoires auxiliaires. Ici, on vous souhaite bonne chance et cette fois, ne vous transformez pas en torche vivante.

Ce con de régulateur se met à rire. Moi, çà ne m’enchante pas de revoir PARIS sous une tonne de neige. Enfin, je pourrais profiter de ma situation pour acheter quelques bouteilles de vodka. D’ici là, je vais me faire une bonne sieste puisque le N’TYX est déjà programmé pour ce voyage retour aux sources. Tant mieux !

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L’arrêt fut assez brusque pour me réveiller plus tôt que prévu, il me semble ? Nous revoici donc dans le paysage urbain où je suis né autrefois. Les tours du treizième sont là, identiques et aussi laides qu’à leur construction. Toute la communauté dite asiatique est regroupée dans cet espace défiguré par ces immeubles sans personnalité. Pourtant, c’est bien là que je suis né il y a des siècles, un certain lundi d’un mois de janvier dont j’ai oublié l’année. Je sais qu’à cette époque, j’avais un nom et pas un matricule dans la mémoire des machines. Je m’appelais alors Erno BARNE, auteur de nouvelles sans vraiment beaucoup de talent. Même si parfois, au hasard d’une lecture, quelqu’un envisageait de me lire jusqu’auboutisme, et alors je peignais pour lui, des images synthétiques au travers des mots. Souvent, je venais attendre ma mère au grand café qui fait l’angle de l’Avenue d’Italie et de la porte du nom identique. Elle arrivait, courbée par le travail et l’âge avancé. Revoir ce bar avec des visages inconnus, me semble défait par le miroir qui me renvoie le passé. Pour peu, je revois ma mère qui est là, elle m’embrasse et je l’embrasse aussi.

-        Salut M’man, que je lui disais.

Je l’accompagnais chez le boulanger car tous les soirs, elle achetait sa baguette de pain. Puis je l’embrassais de nouveau en lui disant a bientôt M’man. Je fonçais dans la bouche du métro pour quitter cet arrondissement où des années durant, j’avais arpenté son bitume. Et là, sans doute par le hasard du mécanicien qui gère nos plannings, me revoici comme autrefois, seule au milieu de ces grands immeubles défigurés. Les asiatiques sont assis sur des bancs à partager des phrases qui me sont inconnues, des regards figés, des visages dépeints de lassitude. Aussi des rires entre deux sourires, la vie est toujours présente alors que j’ignore la date au sein de laquelle je suis arrivé. Je marche vite, bien que n’étant guère pressé de connaître ma mission. Je me retrouve place d’Italie, un endroit où des souvenirs s’inscrivent sur les murs. Soudain, arrivé près de la grande église où je fus baptisé, une femme me prend le bras et me regarde. Une fois encore, elle à le visage de ma mère. Je dois me soumettre aux exigences de mon inconscient car je me crois devenir halluciné.

-        Non, dit la femme, tu n’es point halluciné, je suis bien ta mère, et c’est à moi que revient le privilège de te donner le message du Grand Concepteur.

-        De quel grand Concepteur il s’agit ? Et tu es bien ma mère ?

-        Oui, je suis ta mère car tu ignores tout de la vérité du temps et de l’espace.

-        Mais enfin, je connais parfaitement mon travail, je récupère les mondes en faillite voyons !

-        Oui, c’est vrai, tu es un bon ouvrier mais hélas, ta conception du temps et de l’espace reste à désirer.

-        Ah ! Et que dois-je faire maintenant ?

-        Il existe des bornes invisibles aux regards des Lumins qu’il te faut réactiver. Dans le cas contraire…

Elle se tait subitement, et je la vois disparaître. Autour de moi, le paysage semble vaciller comme si il était conçu dans l’axe de son propre  imaginaire. Voilà que la planète se met à trembler. Des hommes et des femmes tombent sur le bitume, deux ou trois tours commencent à s’effondrer. Je pense tout de suite au néant qui est aussi la créature la plus subjective qui soit et pourtant bien réelle. Le NEANT ! Oui, je viens de comprendre, ma mission est de le contrecarrer pour que la vie ne soit plus qu’un effet de miroir sans teint. Je vais devoir le combattre, mais comment ? Elle m’a parlé de bornes que les Lumins ne peuvent voir, mais n’étant pas l’un de ceux-ci, je suis à même de les retrouver facilement ? Et bien non justement, je ne connais rien de ces bornes qui sont, d’après moi, cette arme absolue face au néant qui me guette désormais. Une borne, oui, certes, mais leurs structures, leurs couleurs, où se trouvent-elles, et qui peut m’aider pour les reconnaître ? Je ne sais rien, et pourtant, si la planète vacille sur son axe imaginaire, c’est que le néant joue avec lui ? Alors ? Si les Lumins ne peuvent les voir et que moi je le peux, alors il m’est possible de les remarquer ? Une borne ?  Cela peut être une limite, une frontière ou alors, un ustensile urbain ? Je suppute qu’il s’agisse plutôt d’un ustensile urbain, donc un élément que nul ne peut visionner sauf moi ? Tiens, je remarque une sorte de distributeur à monnaie comme ceux que l’on trouvera dans les années deux mille. Mais la date d’aujourd’hui, c’est cela, il me faut savoir qu’elle date nous sommes. Je vois un vieil homme qui marche avec difficulté. Je le hèle.

-        Monsieur, pardonnez mon insistance, nous sommes quelle date aujourd’hui ?

Il me regarde et sourit. Il ouvre la bouche, mais aucun son ne sort de celle-ci. Et je vois dans ses yeux la fêlure naissante que produit le néant chez les Lumins. Il est là ce fumier, il reste à mes cotés afin que je ne puisse le contrôler pour que ce soit lui qui puisse me contrôler. L’engagement vient de s’engager entre lui et moi. Et un seul vainqueur pour un tel combat !

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Je marchais depuis un bon moment lorsqu’un petit bonhomme se présenta à moi. Un membre de la communauté asiatique dont la famille résidait dans l’une des tours de Chinatown Treizième. Souriant, agréable, je ne ressentis aucune intention négative à mon égard.

-        Bonjour étranger, me dit-il. Je sais que tu es le grand voyageur attendu et qui pourtant, est né ici bien avant que nous-mêmes soyons nés. Ce que tu cherches, tu le trouveras dans le monument où tes parents te baptisèrent en mille neuf cent cinquante trois, par une belle et hivernale saison. Tu trouveras une clef, mais pas n’importe laquelle, et tu devras lire son inscription de droite à gauche afin d’en saisir la vérité. Maintenant je te quittes, étranger, car si tu perds ton combat, nul ne pourra résoudre cette énigme du temps qui se déplace trop vite. C’est à croire que la minute est devenue la dixième seconde…

Et lui aussi disparu tout comme celle qui était ma mère comme je me devais de le penser, voire aussi en lire la vérité. Tout de suite je compris ce qu’il en était. La grande église au coin des rues de Tolbiac et de Bobillot si jamais elle est toujours présente ? Marcher vite, monter les marches, pousser la porte et se signifier par le signe d’élévation spirituelle. Au nom du Père, du Fils et du Saint-esprit, amen ! Je m’exécutais donc et me voici devant l’ombre majestueuse du Fils oint du Père. A ses pieds, une clef très ancienne avec une inscription particulière… 0288… La clef de la réponse, la clef qui ouvre et ferme les portes… je pensais à Janus, le Dieu des Anciens, je pensais à Lucifer qui en son époque, fit de l’homme et de la femme des êtres égaux doués de connaissances. Les Dieux face au néant, le combat du rituel qui oppose le bien au mal ! J’avais la clef bien sûr, mais à quoi bon la clef si on ne sait quelle porte ouvrir ? Et soudain, ma mémoire me donna une autre donnée. Il me fallait trouver une borne invisible aux regards des Lumins. Que seul je pourrais voir. Une clef, une borne, une inscription numérale… Seul contre le néant qui accélérait les minutes, qui vieillissait la population lumaine… Il me fallait me concentrer, surtout réfléchir aussi à ce que me disait le vieil homme dont la sagesse se lisait sur le visage. Lire de droite à gauche ce qui s’écrit de gauche à droite…Donc 0288 allait devenir 8820 une fois replacé de droite vers la gauche. Soit, mais quel rapport avec une borne… Et le distributeur de billets de banque qui n’existe pas encore en cette époque ? Et encore moins une carte de retrait comme celle que je possède et sur laquelle on peut tout savoir de moi. Sauf qu’elle possède quatre puces et non une comme celles du vingtième siècle… J’avais la clef, j’avais le code, il me manquait la borne. Et au sortir de l’église, la nuit s’installait tel un feu de broussaille dans une forêt gigantesque. Le néant commençait son effroyable besogne. C’était à moi de jouer. Des coudes !

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Face au néant, il faut comprendre son initiative, ses désirs tout comme un être vivant alors qu’il tente de le faire disparaître. Seulement, si la matière disparaît, le néant occupe tout l’espace et de ce fait, devient l’anti-matière qui dans ce cas, s’oppose à elle-même. L’absence est un état tout comme la présence l’est, seulement je ne suis pas physicien, hélas, et dans ce présent, je me dois de trouver la borne pour y loger le code. Il me faut la date d’aujourd’hui, et dans lequel cas, il me suffirait de connaître celle-ci afin de prévoir ma contre-attaque. Un simple calendrier, une date, et là, s’ouvre à mon regard les possibilités invincibles pour rendre caduque le nihilisme conquérant. Nous sommes dans la nuit désormais, une frontière entre l’obscur et le lumineux. Mais cela ne me sert à rien, il me faut essayer la tentative d’un monnayeur urbain pour lui enfiler le code inverser de la clef ? Unique proposition à laquelle je pense, et si elle échoue, je crois que cette ville disparaîtra au profit du néant. Une borne, un monnayeur urbain, la carte à puces et le code inversé ? Est-ce seulement la solution ou la perspective de la peur d’échouer ?  Trop facile car je me méfie de cette trop grande facilité de raisonnement. Un petit bonhomme qui m’offre une voie de sortie, une église avec aux pieds de son divin maître, une clef à quatre chiffres ? Des monnayeurs urbains qui en principe, ne s’utilisent qu’avec des puces électroniques à code numérique ? Trop de facilité face au néant qui lui, ne se sert d’aucune machine pour se faire évoluer. Non, ce n’est pas la solution, car les bornes ne sont visibles que par moi et non par les lumins. Or, les monnayeurs se voient, s’utilisent, donc les lumins les ont en regard n’est-ce pas ? A moins que… Oui, c’est çà, ils ne sont que des intermédiaires entre moi et la borne en question… La voilà ma réponse, les intermédiaires qui vont faire apparaître la borne pour que je puisse encoder l’arme qui va stopper l’effervescence du néant ! Sauf que…

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La senteur de la rue me fait éternuer, cela pue. Des senteurs de chair grillée, de caoutchouc et d’essence qui me procurent des démangeaisons cutanées. Là-bas, au carrefour de la porte d’Ivry qui doit mener à l’ancienne banlieue, l’un des buildings vient de s’écrouler. A son emplacement, un trou énorme, une fosse béante. Tiens, justement, je viens de trouver une banque, du moins sa devanture avec un distributeur à billets. C’est maintenant où jamais, que je me suis dis. Soit tu réussis ton coup et le néant retourne au néant, ou alors c’est toi qui remontes dans ton engin et tu files dare dare dans le lointain horizon ! Filer à l’anglaise comme vous dites, et sans crier gare… J’avance vers la machine à pognon, et je mets ma carte à puces dans la fente du distributeur qu’elle avale goulûment. Puis je pianote le code inversé de la clef. J’appuis sur le mot « encodage » et soudain apparaît une borne bleue sur ma gauche. Alors que la fente recrache ma carte à puces, une petite fille me tape sur la cuisse droite. On se regarde. Elle est jolie, on dirait toujours ma mère à son âge !

-        Tu sais, toi qui est grand et qui vient de nulle part, pourquoi fais-tu cela, me demande t-elle.

-        Mais parce que c’est ma mission de vous sauver toi et le reste de ta famille de lumins voyons !

-        Mais moi je n’ai pas de famille, je ne possède ni père ni mère, je suis juste une illusion d’optique pour que tu ne détruises pas ce que je suis.

-        Et qui es-tu donc petite fille, je demande.

-        Un avenir qui ne peut exister…

-        Pourquoi refuses tu ton inexistence, gamine ?

-        Parce que les lumins ont ravagé leur planète, elle est devenue cette décharge d’objets inutiles, même les lumins ne peuvent plus vivre normalement. Tu as vu comment elle est devenue ou alors tu ne la connaissais pas avant ?

-        Je suis né ici, dans ce quartier, il y a longtemps, dis-je. Il a certes changé, mais j’ai une mission à remplir, je me dois de batailler avec le néant fillette.

-        Mais moi je ne veux pas que tu livres bataille avec lui, car c’est mon désir de ne pas naître en ce monde qui est mon héritage ! Et je le déteste.

-        Que veux-tu que je fisse alors ? Partir tel un vaurien qui a chipé dans une épicerie ?

-        Oui, fous le camp, laisses crever cette plaie purulente, je n’en veux pas de cet héritage pourrit !

Tout comme les autres, elle disparaît subitement. Je me retrouve seul face à ma conscience. Oui, il est vrai que le monde des lumins n’est qu’une corbeille à déchets, le chaos sur une plage, le foutoir dans un stade. Mais cette mission est de la sauver cette foutue planète, sinon elle risque de rompre les lois gravitationnelles qui sont celles dictées par les Grands Concepteurs. Alors, face à de tels évènements, que puis-je faire si me retourner vers vous, lecteurs et lectrices, afin de m’aider dans mon choix définitif ?  Pour ou contre le néant ? Je vous vois me regarder, je vous entends murmurer à mes oreilles, seulement je n’entends pas vos réponses, votre désespoir, votre croyance aux miracles ! Je suis seul, désespérément seul dans le quartier de ma naissance, de ce quartier où mes pas s’inscrivent dans le sol de bitume de ses trottoirs. Une empreinte de mon passé, une signature gravée dans le marbre de sa mémoire.

-        Partez, dis une lectrice qui fête ses soixante dix ans. Ce monde est devenu si con qu’il ne faut pas le livrer à ses enfants qui naîtront…

-        Non, je ne suis pas d’accord, hurle une future maman. Je veux que mon enfant puisse naître dans un monde meilleur, et si le néant le détruit, c’est ma chair que l’on tue !

-        Moi j’en ai rien à foutre, me gueule dans l’oreille interne, un type jeune qui deviendra ce cyberpunk ivre de jeux vidéos.

-        T’as raison mec, ce foutu monde est une grosse merde chiée par les banques, alors défonces lui la gueule…

J’ignore qui a dis cela, un lecteur qui se sent à l’étroit dans cet univers gouverné par les banques, le commerce et les entreprises qui dictent leur loi aux politiciens véreux ? Là-haut, en levant la tête, je vois le N’TYX. Il tournoie autour d’une tour qui s’élève à plus de cinq cent mètres de hauteur. Je ne l’avais pas remarqué, mais dieu sait qu’elle surplombe le paysage urbain de sa laideur contemporaine ! Et là, sous une entrée de vitre et d’acier, le petit bonhomme me fais signe de le rejoindre. Je m’exécute donc, et je le rejoins. Il tient dans ses mains un bol et deux baguettes. Il mange. La bouche pleine d’un riz cantonais, il cherche ses paroles pour me dire que je dois quitter les lieux.

-        Etranger, tu n’es plus de ce monde, il te faut partir et tu ne dois corrompre la marche temporelle du destin.

-        Mais vous allez disparaître puisque le néant va élever la sentence, m’inquiétai-je.

-        Non, vas t’en et tu sauras qui tu es vraiment.

-        Mais je suis Erno BARNE ici, je suis l’auteur de ce récit !

-        Pars, quittes ce lieu où tu n’as plus ta place. D’ailleurs, ton oiseau mécanique va venir te chercher. Prends l’ascenseur, il te mènera très là-haut, sur le toit du monde perdu. Alors, tu connaîtras la vérité… Erno BARNE ?

-        Alors adieu petit bonhomme, et bonne chance.

-        Bonne chance à toi étranger, ce quartier n’est plus le tient, tu fais partie de l’univers sans horizon désormais. Et ne reviens jamais plus.

Plusieurs marches à gravir, un ascenseur, une porte qui s’ouvre, et me voici devant le N’TYX qui brille sous l’éclat d’une lune resplendissante. La porte du sas s’ouvre, et un escalier s’offre à moi. Je monte et retrouve mon vieil ordinateur qui ronronne déjà. Là, sur son écran, des mots s’inscrivent.

-        VOUS NETES PAS ERNO BARNE BIEN QUE CE SOIT VOUS QUI ECRIVIEZ CETTE PHRASE MELODIEUSE CAR VOUS ETES CAR VOUS ETES CAR VOUS ETE…

Voilà que l’écran vient de s’éteindre. Grève de l’EDF, le disjoncteur a disjoncté… Puis l’écran se rallume, et là, devant mes yeux, l’affreuse vérité me brûle le regard.

-        TU ES LE TREIZIEME SILENCE…LE NEANT.

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Noël 2010-12-10

Johnnel BERTEAU-FERRARY est né le dix neuf janvier mille neuf cent cinquante trois dans le treizième arrondissement de PARIS

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