Le tripot'eur d'outre cuite
Etienne Bou
Il a l'alcool digeste, l'haleine d'infeste, il s'réveille là où il s'est toujours endormi, au bar de l'oubli. Il se fonde un pays à ce troquet, l'Etat Nol pour seule patrie,
Allons les schnaps de la Soûlerie, le tord-boyaux est arrivé !
C'est qu'il en a vécu dans sa vie, son visage est le globe de ses ivresses, chaque cratères, chaque balafres, chaque fêlures témoignent d'une ancienne biture. Il raconte à tout va son passé de renégat, mais passé la trentaine plus de souvenirs, seulement le dictat de messires Daniels et Dillon, ses spiritueux prophètes. On ne pouvait pas lui en vouloir, il avait tenté de vivre, il n'avait simplement pas réussi à se désolidariser de ce comptoir. Là où il retrouvait chaque jours une foule d'anonyme qui en quelques décilitres devenaient des intimes. Ces badauds qui s'abreuvaient, l'espace d'une chopine, de sa majesté boit-sans-soif, ce bougre de ménestrel à l'écuelle toujours pleine. De ses romans épiques, bachiques, les uns ne voyaient que le désespoir alors que pour autant la plupart y trouvait un grand conteur d'histoire, d'espoir. Il avait l'œil vitreux certes, mais le poing révolutionnaire, la gueule de travers mais l'amer philosophie de savoir vraiment ce qu'est la vie. Il a vécu l'ascension, puis la dévotion, et enfin, la décapitation. Il a perdu la tête à force d'être esthète, d'aimer sans compter, de sourire à en mourir. Il avait chevauché le tonnerre, bouffer l'asphalte, vu mille monts et bouteilles. Et ce n'est pas lui qui vous dira que faire, ni qui suivre. Il vous servira son grog, sa passion, ses lettres d'émotions en bafouillant qu'il est l'ogre de la perversion. Il s'est abandonné à tous les vices, à tout caprice, sans jamais se retenir, sans jamais se laisser faiblir. Rien à foutre des conventions, il emmerde l'uniformisation, il est libre d'être celui qui vous débecte, de brandir l'étendard du soiffard, de l'épicurien sans mal de chien. Libre certes, mais, seul. Seul mais pour autant tout le monde le connait, et pour un temps, tout le monde le sauverait. Pour un temps, pour un temps seulement. Un temps qu'il vivra éperdument, avant de retrouver son assise de bar, son petit ricard, et ses imaginaires rencards. Lui qui avait connu l'amour, la vie sans soucis, enchainant les multiples embrassades et tout autre paradis nuptial. Il le savait, il finirait sa vie, jusqu'à sa mise en bière qui lui correspondait tant. Seul, triste certainement, et pourtant.
Pourtant ce mardi, à 17h42, au bout de la rue tavernier, à l'angle de la place des naufragés, sa vie prit le quart tournant quand il entendit cette petite voix d'enfant
« C'est vrai que c'est toi mon papi ? ».
Pas plus haute que trois chopes, des lunettes en cul de bouteilles, un sourire édenté et des oreilles de choux, sans hésitation, ils venaient du même chaudron ! Sa mère se tenait juste derrière, dans la confusion de ses larmes elle ne sut dire que « papa ».
Point de fin à ce breuvage, c'est une hydromel nouvelle au sein d'un graal familiale.
A la votre