Le verre à moitié plein
sylvie_tellor
- Pardon. Excusez-moi – dis-je, en écrasant un pied par mégarde.
Regards sombres.
- Tu vas où ?
- Je change de place.
Regard interrogateur. Comme si cela ne tombait pas sous le sens, j'ajoute :
- Il n'y a personne au fond.
Malgré lui, Thomas ramasse ses affaires et me suit. A quoi bon rester coincés dans ce « carré famille » avec ces deux tourtereaux, alors que la moitié du wagon est vide ? La question n'est d'ailleurs pas qu'il y ait plus ou moins de places libres dans le wagon ; la question est surtout de ne pas faire face à ce couple une minute de plus. Ces trentenaires, qui ont toute la panoplie du couple parisien modèle, minaudent depuis le début du voyage. Lui est tellement occupé à jeter des regards langoureux à sa belle qu'il en oublie de manger. Elle, flattée d'être admirée, surjoue l'amoureuse tout en dégustant son sandwich à très lentes et microscopiques bouchées. A ce train-là, je ne suis pas certaine qu'elle l'ait terminé en gare de Lyon. Il lui caresse les cheveux. Entre deux bouchées, elle lui accorde un baiser du bout des lèvres. C'en est trop pour moi.
L'intolérance manifeste dont je fais preuve me conduit le plus loin possible des autres passagers. Je m'assois côté fenêtre, dans le sens de la marche cette fois. Pour ne pas m'exposer aux sarcasmes de Thomas, je tourne ostensiblement la tête vers les paysages provençaux que nous sommes en train de traverser. Les gouttes perlent avec une lenteur accablante le long de la vitre. Je distingue mal le relief par-delà le rideau de pluie. La montagne Sainte Victoire est derrière nous, le mont Ventoux devrait être visible mais la vue est bouchée. Du gris, partout.
Thomas ne s'assoit pas. Il se saisit de son portefeuille dans la poche droite de son manteau et me propose une boisson chaude. Non merci, le café ou le thé n'arrangeront rien. Mon estomac est vide, leur acidité ne fera que me causer des brûlures. Pire, ils m'empêcheront de dormir alors que je ne parviens déjà pas à fermer l'œil depuis des jours. Décidément non, un café ne changera rien et surtout, il ne le ramènera pas à la vie.
C'est dimanche dernier, à huit heures du matin, que j'ai reçu l'appel fatidique ; le coup de téléphone que certains passent leur vie à redouter, celui qui me hantera désormais. A l'autre bout de la ligne, c'était la compagne de mon père ; celle envers qui je ne ressentais aucune animosité mais aucune amitié non plus et qui n'avait donc a priori aucune raison de me téléphoner, qui plus est à une heure où j'étais encore censée dormir à poings fermés. Elle n'a pas eu plus que mon prénom à prononcer pour que je comprenne.
Début réussi
· Il y a plus de 4 ans ·marivaudelle
Merci
· Il y a plus de 4 ans ·sylvie_tellor
Pas la peine d'en rajouter, en effet. :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
C'est à dire ?
· Il y a plus de 4 ans ·sylvie_tellor
"Elle n'a pas eu plus que mon prénom à prononcer pour que je comprenne." :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
« Juliette. » Quelques sanglots étouffés. Inutile d’en dire plus. «…c’est ton père. » Un frisson glacé m’a parcourue de part en part. Pour l’aider, je me suis sentie obligée d’articuler quelque chose. « Qu’y-a-t-il ? » Je savais. « Juliette, c’est affreux, je suis désolée… » N’allait-t-elle donc pas les articuler, ces funestes mots ? Silence. « Ton père est mort, cette nuit. Il ne s’est pas réveillé. » Nouveau silence.
· Il y a plus de 4 ans ·sylvie_tellor