le vieux: 6: le François latin
Christian Gagnon
Je me salue bien bas
Toi
Vieux François latin
Vieil encrier
Tu n'es pas un homme de paroles
T'es un homme de lettres
T'as appris à écrire avant de parler
Tu prends ta plume
Écrire entre les lignes
Écrire l'invisible
Ton sang vire au bleu dans le cahier
T'as un creux dans l'âme
Tu cherches un mot à grignoter
Pas le mot juste
Juste le mot
Tu froisses tes livres
Tu mâches le papier
La liseuse elle n'a pas de sens
La liseuse elle est de fer
Tes livres ils ont cinq sens et plus
Tes livres ils sont de chair
Tu les effleures pour qu'ils te touchent
Tu les grafignes pour qu'ils vivent.
Ils te touchent de bord en bord
Gardent ta langue en cavale
Fahrenheit 451
Vieux cours classique
Vers à toi
Ta langue
Celle de Molière
Celle de Miron
T'as peur!
T'as peur qu'on la mette à l'index.
Skinnée en anglais
Amputée au texto
Éviscérée au twit
Scalpée de ses accents
Charcutée de sa ponctuation
Ta langue
Ta petite Aurore de téléréalité
Ton impérative
Sabotée par le conditionnel présent
Ta main d'écriture
Que le clavier veut te couper
Ta roche papier ciseau
Ta langue de laine
Ramassée en boule
Entre le tchat et la souris
Ta langue de vraie hostie du Christ
Qu'on chill entre parenthèses
Ta langue
Robert et Larousse l'ont faite cocue
La novlangue l'a réduite en purée
On la parle mou
On l'écrit mou
Rescapée de l'hécatombe numérique
Tu l'as ramassée toute nue dans la rue
Bien au chaud dans ta bibliothèque
Tu l'armes, tu l'habilles
Elle a le feu de la tête au cul
Elle te monte au front
Elle brandit encore et toujours
Au bout de son majeur
Le circonflexe pour rêver
L'aigu pour l'éternité
Le grave pour ta grande mère.