Le Vieux Henry
george-w-brousse
« Tu sais ce qu’on dit, Henry ? Tu sais ce qui se dit, partout où je vais ? On me demandait ce que tu devenais. « Je sais pas », je répondais. J’aurais pu dire quoi ? Et parfois –jamais au début, puis de plus en plus souvent- quelqu’un prenait la parole. Un soudard accoudé au bar, un que t’aurais regardé avec pitié, il y a pas 6 mois. « Je l’ai vu moi », il disait. « Je l’ai vu ton pote. Dans un vieux bouge pas loin d’ici. Il se finissait à peine un verre qu’il s’en enquillait d’jà un autre. Et pas que je sois trop regardant, mais ça faisait un bail qu’il s’était plus douché, ce gars là. ». Merde Henry, quoi, ça va durer longtemps ? Faut pas te foutre dans un état pareil, pas pour une fille que t’as même pas baisée, non ? »
« Et les poètes, Piotr, tu sais ce qu’ils disent, eux, les poètes ? Ils disent que tu peux pas sortir du trou tant que t’as pas touché le fond. Hé ouais. Qu’il faut aller voir tout en bas, là où t’as pas trop envie. Que ça pue tellement que ça fait mal. Ca te prend pas le nez, non, c’est pas ça. Ca l’attaque, ça le ronge. Putain, tu sens ce truc qui te fait fondre les narines, qui fond sur ton cerveau et qui l’entame, vite. Beaucoup trop vite. C’est là, c’est à ce moment que tu peux prendre appui sur le fond, fléchir les jambes et t’élancer vers le haut. Et si t’as un peu de chance, alors peut-être que t’arriveras jusqu’en haut, que tu pourras reprendre ton souffle. C’est lyrique hein ? Ca fait froid, ou ça te fait chier ? Fous-moi la paix, Piotr, c’est là que je vais. Faites-moi pas chier, et dites ce qui vous fait envie. Si je ressors la tête, tu le sauras bien assez tôt et sinon, je sais que tu t’occuperas de tout. »
Sa tête, elle en était sortie de ce trou puant, à ce qu’on m’avait dit. J’avais pas cherché à savoir et puis, on m’avait pas appelé pour que je m’occupe « de tout ». Alors, moi, je me suis dit que ça devait aller. Quand-même, ça faisait bien chier de plus voir le vieux Henry.