LE VILLAGE DE NEIGE

Rémi Bisson

“À l'aube de ma vie, derrière mes yeux flous et perlant, je remonte sereinement le fil du temps. Celui, de toutes mes années passées dans mon village de la plaine des Basses-Alpes, “Neige…”


Neige.., Neige le bien nommé !

Car jamais celle-ci ne fond.


Malgré tout je vois, allongé sur mon lit mortuaire, à travers la fenêtre de mon âtre encore rougeoyant de la nuit éteinte, la légèreté des flocons tombant, s'accumulant, qui aujourd'hui me semble grêleuse, cinglante, pesante, figeant et glaciale, mon âme tentant de fuir définitivement ce vieux corps. Une course pluvieuse de météorites se croisant et disparaissant dans l'infini de l'Univers, décrivant des trajectoires vertigineuses qui échappent à l'entendement humain. La naissance, la vie, la mort ; un passage..?

Le froid sourd, blessé de souvenirs, de bonheurs, de regrets, me maintient en éveil. Encore un peu...”

 

Selon les années, nous étions une cinquantaine de villageois à Neige. Administrativement nous sommes “les Neigeux”.

Tout simplement.

On n'y croise ni représentations de dieux ni représentations de diables. D'ailleurs, il n'y a jamais eu d'église ni lieu de culte. Aucun représentant d'une quelconque religion n'a osé venir prêcher dans un lieu aussi étrange dont aucun n'eut pas donner une explication divine à cette singularité. Et puis, que dire de ce qu'on ne comprend pas ? Comment nommer, avec objectivité et raison, l'irrationnel ? À part constater leur impuissance, devant cet illogisme, pour les prêcheurs c'était peine perdue.

Malgré tout, que ce soient les pluies fraiches de l'automne, l'humidité et le froid de l'hiver, les pluies tièdes du printemps qui font fleurir des fleurs singulières et merveilleuses à nulle part ailleurs, et même aux longues journées des chaleurs plombant l'été, Neige reste enneigé.

Plaine unique et éternelle !

 

“C'est ainsi que se forgea mon ultime rêve d'enfant d'être physicien géo-météorologue, avec l'intime conviction de découvrir un jour ce secret mystérieux, et surnaturel ! Un délire fou, une folle obsession... de prêcheur (?) ”

 

Maisons, étables et bergeries, s'orchestrent autour d'une fontaine en marbre majestueux qui représente on ne sait qui on ne sait quoi, mais dont les volutes forcent au regard une dévotion artistique d'où jaillit une eau d'une pureté inégalée ; translucide comme le verre et qui, l'hiver, offre un collier de glace plus étincelant qu'un diamant. 

 

“Pour tout dire, ma vie durant, je suis monté au plus près de l'éther. Je suis descendu au plus profond du Tartare. En quête de tout et de rien, peut-être jusqu'à la folie. En vain ! J'ai échoué... glissé sur Neige.

Je ne serai donc pas ce découvreur miraculeux laissant son patronyme à la postérité.”


“Tiens ?!? La fontaine se tarie-t-elle ?

De mon lit, elle se fait plus sourde, plus faible, plus lointaine…

Et mon corps plus léger, plus… moins…

Je ne l'entends plus !

 

Elle vient d'émettre un dernier soupir…

Ou bien.., est-ce moi ?”

              

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