Le visiteur

virginie-t

Depuis quelques minutes, je lisais la même page sans parvenir à me concentrer. Les gouttes d’eau, en chutant de mes cheveux, dessinèrent, sur la page, une sorte de signe qui m’intrigua et me tira de ma torpeur. Un souffle d’air léger sur ma jambe droite, me fit frissonner. Il valait mieux que je referme la fenêtre de la salle de bains; la buée devait s’être évaporée, maintenant.

Derrière moi, un craquement sur le parquet me fit sursauter. Je me retournais, il n’y avait rien.

En relevant la tête, je constatai que pendant que je lisais, le crépuscule avait enveloppé la ville. Soudain, un fracas provint de la chambre et je me retrouvai debout en une seconde.

Les jambes vacillantes, le cœur palpitant dans les tempes, je m’approchai de la porte entrouverte de la chambre.

Je respirai profondément, malgré l’oppression, pour tenter de reprendre mon sang froid et d’analyser la situation rationnellement. Dans mon esprit, se bousculèrent, les hypothèses ; un objet avait chu ; oui, c’était probablement cela ; ou bien, un intrus, peut-être, un cambrioleur, alors. Comment allais-je faire ? Il fallait que je l’affronte ; non, que j’appelle la police mais non, je ne pouvais pas alerter la police sans être sûre qu’il y avait bien un individu. Je devais m’en assurer. Vite, je me précipitai, à pas de loup, vers la cuisine et saisis un couteau. J’allais pousser la porte de la chambre lorsqu’un cri sinistre, indéfinissable, presque surnaturel me glaça l’âme. La main crispée sur le couteau, tremblante, j’ouvris la porte et…

Stupeur! Comment était-il entré ? Que faisait-il sur le lit ? Le soulagement et la surprise me firent rire nerveusement sans toutefois me démunir du couteau. Dans la pénombre, mon regard se planta dans le sien ou peut-être, était-ce l’inverse. L’éclat métallique de ses yeux, de temps à autre, traversés par des reflets chauds et dorés, me fascinait. Après quelques instants, j’avançai pour le chasser lorsque…Non, je ne pouvais le croire, ce n’était pas possible…

J’avais la sensation irréfutable de le connaître. Un chat ? Mais tu es folle ! pensais-je. Pourtant, ma raison ne parvenait à infléchir cette impression.
Je répétais en susurrant « non, c’est impossible, c’est impossible »… Néanmoins, mes yeux fichés, plongés dans les siens, je demeurais pétrifiée, hypnotisée par ce regard si familier dont l’opalescence se troublait parfois d’étincelles durcies comme des fulgurances d’une indéfinissable chose. A mesure, que je le regardais il s’insinuait impérieusement dans mon âme.
Je ne sais si ce face à face fut long ; je perdis toute notion temporelle. Je le reconnaissais mais sans y parvenir pourtant.

Je perçus, comme feutré, ouaté, un bruit de clef dans la serrure, la voix de Benjamin qui m’appelait « Sibylle, c’est moi…Tu es là, chérie ? » et pourtant je ne parvenais à détacher mon regard de la lueur qui fugacement, traversait le sien. Un craquement dans l’entrée me fit me retourner. « Tu es devenue muette ? » me dit Benjamin d’un air amusé et inquiet. Je restais silencieuse et j’entendis alors, derrière moi, un tintinnabule étrange comme celui d’une clochette d’airain. Je me retournais aussitôt et sidérée, constatais que la pièce était vide, qu’il s’était littéralement volatilisé bien que toutes les issues fussent fermées. Dès lors, je ne me souvins pas de ce qui suivi, je demeurais hantée par ce regard, absorbée, absente, cherchant sans relâche dans mes souvenirs, l’explication de cette sensation familière. Toute la soirée, j’espérais une réminiscence qui eût éclairée cet indicible instant, en vain.
Illusion ou réalité, ces deux termes résonnaient, tournoyaient, sans cesse, sans que je ne pusse le savoir… Ma raison ne l’emportait que pour mieux vaciller sous les doutes, indéfiniment, vertigineusement.

La soirée fut cauchemardesque, étrange, irréelle, cotonneuse. Vers quatre heures du matin, enfin, je parvins à m’endormir grâce aux somnifères. Je me réveillais, en sursaut, trois heures plus tard, fatiguée, énervée par un sommeil agité.
Sur l’oreiller, près de ma tête, je distinguais une forme scintillante, argentée. J’allumai la lampe, mon cœur s’emballa à la vue d’une clochette d’une apparence surprenante. Je la saisis fébrilement ; elle était étonnamment chaude presque incandescente. Appréhendant, je la fis tinter et j’en reconnus immédiatement la sonorité ; le souffle coupé, je murmurais « c’était donc réel »…

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