Le voleur de tombeaux

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   De formidables éclairs zébraient le ciel noir. Le tonnerre effrayait les animaux qui se cachaient bien à l’abri dans leurs terriers. La foudre s’écrasa sur un chêne centenaire, le fendant d’un seul coup. Les grosses gouttes de pluie d’orage éclataient sur le marbre des pierres tombales, par endroit couvertes de mousse, d’un petit cimetière oublié de tous. L’eau ruisselait sur la terre où poussait de l’herbe grasse, s’infiltrant à travers la couche d’humus de plus en plus profondément jusqu’à atteindre les cercueils enfouis le plus récemment, il y avait une vingtaine d’années.   L’eau pénétra encore plus loin, jusqu’à parvenir à une sépulture qui ne portait plus de nom et dont même les descendants du défunt avaient oublié l’existence. Quelques gouttes d’eau filtrantes tombèrent d’un restant de planche pourrie dans l’orbite vide d’un crâne parfaitement nettoyé par les nécrophages. Un léger murmure s’éleva, à peine perceptible à la surface du sol :

« - Ne trouverai-je jamais endroit où pouvoir reposer jusqu’au dernier

jugement ? Il me faut partir quérir une tombe plus au sec. »

L’âme abandonna son ancien tombeau et s’en alla chercher une nouvelle demeure qui lui ferait au moins l’éternité. Elle crut trouver son bonheur en ville et se rendit au célèbre Père La Chaise. Mais l’environnement ne lui plut point, les âmes habitant cette nécropole étant beaucoup trop fières pour son rude caractère. Elle chercha la chaleur et s’envola pour Tahiti où elle eut quelques temps Gauguin pour voisin. Mais le climat tropical ne lui convint pas et elle reprit le chemin de la vieille Europe. Une agréable sépulture à la campagne, pour finir l’éternité paisiblement, voilà ce que cherchait cette âme errante. Survolant la campagne Normande, l’âme aperçut un petit cimetière situé juste à l’ombre d’une  église romane, elle fondit dessus et choisit la tombe la mieux exposée, pas trop de soleil ni d’humidité et le cercueil était encore en parfait état. Elle délogea rapidement le propriétaire, qui n’avait plus qu’à chercher une nouvelle demeure et s’installa douillettement. L’éternité passe plus rapidement lorsque l’on est bien installé.

    Quand vous venez déposer quelques fleurs sur la pierre tombale d’un proche parent, l’âme reposant sous vos pieds est-elle bien celle que vous croyez être ?

                                                                                             

                                                                                                  

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