Le voyage dans le temps : une prodigieuse arme de guerre

Steve Grau

Dans un futur apocalyptique, l’empire implacable des Raknéens envahit le monde grâce à leur chef prophétique. Son secret, une machine à voyager dans le temps, qui lui permet de réécrire l’histoire.




          En 2038, une guerre terrible ravageait le monde depuis plusieurs années. Ryan Keller, alias l'Eternel, chef divin du peuple des Raknéens, a créé une race de surhommes en améliorant génétiquement ses fidèles. Il leur enseigna ses croyances en une humanité supérieure, destinée à dominer les autres. Déterminé à résoudre le problème de la surpopulation dans le monde, son armée s'empare des dernières ressources de la Terre, convertissant au passage les « êtres dignes » et exterminant « les faibles ».

Dans l'ancien monde, Ryan Keller était un grand milliardaire à la tête de plusieurs entreprises de recherches en armement. Avec sa technologie supérieure, il avait renversé les gouvernements du monde entier en causant le plus grand black-out planétaire. Il avait ensuite piraté tous les sites de lancement nucléaire et neutralisé leurs ogives. La course aux armes nucléaires n'avait jamais cessée, mais leurs productions étaient devenues difficile dans ce nouveau monde. Les autres continents en possédaient quelques dizaines, assez pour dissuader les Raknéens d'utiliser les leurs.

Pendant ce temps, les pays d'Europe avaient décidé de s'allier contre la menace des Raknéens. La Coalition des Résistants d'Europe (CRE) était une alliance militaire regroupat toutes leurs armées sous un même commandement. Ces dernières années, l'Espagne et le Royaume Uni avaient été conquis et la France résistait tant bien que mal. La prochaine étape imminente de leur invasion était la capitale de la CRE, Paris.  

 

 

           Le Général Brown n'avait que très peu dormi cette nuit du 11 octobre 2038. C'était un grand général de l'armée Raknéenne, dont la réputation s'étendait jusqu'à l'autre bout du globe. C'était un homme âgé d'une soixantaine d'année, même si ses améliorations génétiques n'en laissaient rien paraître. Il avait une forte corpulence et des épaules carrées, avec un visage autoritaire que tous ses subordonnés craignaient. Il avait une femme et un fils, qu'il ne voyait presque jamais. Sa seule passion dans la vie était la guerre.

Le Général Brown avait reçu le commandement des troupes qui allaient attaquer Paris. Une pression pesait donc sur ses épaules, car s'il perdait, il serait certainement exécuté et s'il gagnait, des millions de soldats mourraient quand même. Il avait planifié l'attaque depuis des mois et passait toutes ses nuits sur son lieu de travail. Aujourd'hui, l'instant fatidique était arrivé.

Le centre de commandement était basé à une centaine de kilomètres de Paris. Le bâtiment était protégé par de nombreuses unités militaires et tourelles anti-aériennes. La salle de commandement était équipée d'une vingtaine de postes de contrôle où chaque officier travaillait sur une console informatique. Le général Brown se trouvait sur une rangée surélevée derrière ses officiers, avec vue sur toute la salle pour les surveiller.

Tout à coup, tout le monde se leva pour se mettre au garde à vous. Le Général Brown leva immédiatement les yeux de son écran et les imita en apercevant « l'Eternel » entrer. Il était vêtu de son uniforme de chef suprême et dégageait un charisme naturel. Il faisait aussi une tête de plus que les autres et était l'homme le plus amélioré génétiquement au monde. Il ordonna le repos et se dirigea vers le général Brown.

— J'ai vu que vous aviez donné de nouveaux ordres à la troisième brigade d'infanterie.

Le lieutenant Miller, son second assit à un ordinateur à côté de lui, pâlit à vue d'œil.

— Oui, mon Eternel, répondit le général Brown. La CRE a placé des véhicules blindés dans le quatorzième arrondissement.

— Très bien, répondit-il simplement.

Le lieutenant Miller sembla respirer à nouveau. L'Eternel prit place sur son poste de commandement au côté du général Brown.

Ryan Keller était avant tout le conquérant qui avait fait s'effondrer l'ancien monde et il prenait une place active dans les campagnes militaires. Cela n'empêchait pas le général Brown de faire le plus important du travail. Il était le meilleur stratège de tous les Raknéens. Il s'était fait remarquer lors des raids dans les pays orientaux pour les dernières ressources de pétrole et avait mené à bien l'invasion du Royaume Uni. L'Eternel en tirait toujours tout le mérite bien sûr, mais il se considérait comme bien meilleur que lui. Keller était un excellent commandant et un bon stratège, mais il lui arrivait de prendre des risques inconsidérés et d'avoir la folie des grandeurs. Le Général Brown ne lui en avait bien sûr jamais fait part, ni à qui que ce soit. Heureusement, il avait réussi à faire valider la majorité de son plan d'attaque par l'Eternel.

 

 

            Vingt-quatre heures plus tard, le mardi douze octobre, l'assaut de Paris continuait encore. Des milliers de soldats s'affrontaient dans la capitale et des dizaines d'avions de chasse s'entre-tuaient dans les cieux. La moitié des bâtiments étaient en flamme et les bombes n'en finissaient plus de pleuvoir. Les civiles, qui n'avaient pas encore évacué, se cachaient du mieux qu'ils le pouvaient ou combattaient auprès de la CRE.  

Mais plus que la capitale, c'était la France entière qui était le théâtre de la guerre. La majorité des troupes Raknéennes étaient arrivées depuis la Manche pour descendre directement sur Paris. En réponse, les troupes de la CRE étaient parties de l'Allemagne pour les empêcher d'atteindre la ville. D'autres renforts Raknéens arrivaient de l'Espagne et affrontaient les troupes de la CRE au Sud de Paris. Le tout dépendait d'un intense jeu d'attaque et de bombardement qui s'étendait jusqu'à l'Italie et la Norvège. À ce stade, chaque décision stratégique pouvait faire tourner la balance d'un côté ou de l'autre.

Le directeur du département informatique, Sam Burton, un homme barbu d'une quarantaine d'année et un peu bedonnant, s'occupait de pirater la base du « Havre ». Elle était enterrée sous la capitale et abritait le QG de la CRE. C'était une véritable forteresse imprenable, mais même un tel monument n'était pas impossible à pirater pour Sam Burton. Il était le meilleur des hackers et l'un des tous premiers Raknéens. Même Ryan Keller avait avoué que le « grand renversement » contre l'ancien monde n'aurait pas été possible sans lui. Il faisait office de second de l'Eternel et était de loin son préféré.  

Burton reçut des nouvelles qu'il communiqua immédiatement à son supérieur.

— Mon Eternel ! Nous avons reçu des nouvelles d'Espagne. Des rebelles attaquent nos troupes partout dans le pays et nous font subir des pertes. La CRE vient de lancer sa flotte de la méditerranée pour les soutenir.

— Nos troupes sur place étaient préparées, répondit Keller.

— Pas assez apparemment.

— Notre approvisionnement et nos renforts d'Espagne vont être réduits, remarqua le général Brown. La huitième division en souffrira le plus. Devons-nous envoyer des troupes pour reconquérir le pays ?

— Non, tout ce qui importe, c'est Paris. Si on gagne la capitale du pays de la liberté, on détruit le symbole de la CRE. On s'occupera d'eux plus tard, lorsqu'ils auront perdu tout espoir.

— La douzième division devrait venir consolider la huitième ou nous perdrons nos positions au sud de Paris.

— Envoyez l'ordre, confirma Keller. Directeur Burton, occupez-vous d'identifier les rebelles.

— A vos ordres mon Eternel, répondirent-ils en cœur.

Le général Brown se tourna vers son lieutenant pour communiquer ses ordres. Il était assez étonné de voir l'Eternel lui laisser tant de marge de manœuvre pour cette bataille et ne s'en plaignait pas. D'habitude, il devait obéir à ses ordres et faire comme il pouvait. Cette fois, c'était lui qui était aux commandes.

 

 

            Le mercredi treize octobre, quarante-huit heures après l'assaut de Paris, les combats s'étaient enfin calmés. Les banlieues Nord et Ouest de la capitale étaient conquises, mais le centre était encore déchiré par les deux camps. La CRE s'y était retranchée et semblait impossible à déloger. La forteresse souterraine du « Havre » résistait encore à l'assaut, mais les Raknéens avaient découvert un passage secret qui faisait office de sortie de secours. Les hommes de la CRE au-dessous étaient pris au piège. En dehors de la ville, les troupes des deux camps campaient maintenant sur leurs positions, se préparant à un long combat. Les villes d'Espagne s'étaient soulevées contre les Raknéens grâce aux rebelles, aux soldats de la CRE et aux peuples. Les Raknéens s'étaient repliés dans les campagnes en attendant les renforts.

Après deux jours sans dormir, les officiers de la salle de commandement étaient épuisés et même leurs améliorations génétiques ne suffisaient plus à les garder éveillés. L'énergie était retombée et tout le monde attendait l'ordre de l'Eternel de prendre du repos. Ce dernier était le seul à être encore d'aplomb, le nez planté dans son ordinateur.

— Donc nous avons perdu l'Espagne et nous nous disputons encore la capitale avec la CRE ?

— Nous contrôlons la moitié de la ville, répondit le général Brown.

— Il faudra des semaines pour la conquérir définitivement, affirma le directeur Burton d'un air désinvolte.  

— C'est loin d'être une victoire ! rétorqua l'Eternel. Cette opération était l'occasion de montrer au monde notre supériorité sur nos ennemis. Nous sommes l'élite de l'humanité, nous aurions dû faire mieux !

Personne ne répondit, trop submergé par la honte d'avoir déçu l'Eternel. Seul le directeur Burton semblait ne pas prendre tout cela au sérieux. Keller donna l'ordre de prendre du repos et tout le monde souffla. Le général Brown se tourna vers son second le lieutenant Miller.

— Je pars dormir, occupe-toi de briefer l'officier qui va prendre ma place.

— Oui mon général, répondit-il mollement.

— Que se passe-t-il ?

— Rien mon général. (Brown le regarda de manière insistante.) C'est juste que … C'est la première grande défaite des Raknéens. Je pensais que l'Eternel nous mènerait à la victoire.

— Une défaite ? s'offusqua le général Brown. En quoi est-ce une défaite ? Nous avons pénétré les défenses ennemies et nous faisons le siège de leur capitale. Au vu des troupes que nous devions affronter, nous avons remarquablement bien réussi !

— Oui, mon général, répondit-il timidement en vérifiant que l'Eternel ne l'avait pas entendu.

— Et tu n'es pas un pleurnichard mais un soldat, qui plus est un soldat Raknéen, l'élite de l'humanité !  

— Pardon, mon général.

Ils avaient tous besoin de sommeil. Le général Brown partit. En effet,  il était très satisfait de la tournure de la bataille. Ce que l'Eternel avait espéré était impossible. Ses idées de grandeur étaient trop démesurées. C'était sûrement le fardeau des plus grands hommes du monde, en particulier du plus grand d'entre eux.

 

 

            Ryan Keller se trouvait dans la nouvelle base militaire à proximité de Paris. Depuis la fenêtre du dernier étage, il pouvait voir la pointe de la tour Eiffel au-dessus des immeubles en ruine et des panaches de fumée. On entendait encore quelques bruits des combats de rues malgré l'arrêt des hostilités. Keller sirotait un whisky sec tandis qu'il imaginait la ville sous les couleurs des Raknéens, la tour Eiffel complètement repeinte. Son second, Sam Burton, le rejoignit en haut.

— Les derniers rapports de combats, mon Eternel, lui dit-il en apportant un disque de données et une nouvelle liste de rebelles espagnols.

— Bien, bon travail Burton.

Il les lui tendit maladroitement. Quelque part, il avait l'impression de perdre une partie de lui.

— Ce monde est à nous Sam et rien ne nous empêchera de le prendre. Mais même moi, je ne peux réussir sans des gens comme toi.

— Je comprends, dit-il d'un air triste.

Keller partit sans prendre la peine de lui dire au revoir. Il monta sur le toit. Depuis sa tablette, il commanda à son chasseur de venir le chercher. L'avion en vol de surveillance au-dessus du bâtiment se dirigea seul vers sa destination. Ses deux propulseurs latéraux au niveau des ailes lui permirent de descendre à la verticale juste devant lui. Keller sauta depuis le toit sur son avion préféré et activa les commandes manuelles. L'avion s'éleva dans les cieux puis partit à toute allure.

En moins d'une heure, il atteignit le Canada et se posa dans le hangar d'une installation dont lui seul connaissait l'existence. Il se dirigea vers plusieurs portes de sécurités dissimulées et passa tous les scans. Derrière la dernière porte se trouvait l'objet de toutes ses précautions. Une machine sphérique deux fois plus hautes que lui, capable de faire voyager n'importe quoi dans le temps. Keller l'admira comme si c'était la première fois qu'il la voyait. Une telle puissance le laissait toujours sans voix. Plus que le pouvoir ultime possédé par de nombreux grands hommes avant lui, qui avait fini par le perdre ou en mourir, cette machine laissait la place à la planification au long terme, à « l'éternité ».

Keller programma la machine pour un saut temporel. Il s'allongea sur la table d'opération et installa le casque neural sur sa tête. Keller s'évanouit et sa conscience partit dans le passé.

 

 

        Keller se réveilla dans ses quartiers du centre de commandement Raknéen de France, le lundi onze octobre, presque trois jours plus tôt. Seul son esprit avait voyagé depuis le futur pour intégrer son corps du passé. Son premier réflexe fut de vérifier l'heure qu'il était. La machine temporelle ne s'était pas trompée de la moindre seconde, comme d'habitude. Il se trouvait maintenant dans une nouvelle réalité qu'il allait pouvoir modifier à sa guise.

Il sortit rejoindre la salle de commandement et croisa devant l'entrée son second Sam Burton qui venait d'arriver. Celui-ci le jaugea du regard et comprit tout de suite. 

— Vous avez fait un bon voyage, mon Eternel ?

— En effet.

— Comment était la bataille ?

— Paris était assiégée et des rebelles espagnols ont repris le pays. Je t'enverrai toutes les données sur ton ordinateur sécurisé.

— Merci, mon Eternel.

Ils rentrèrent tous deux dans la salle de commandement. Le général Brown et les autres officiers se mirent au garde à vous. Tous étaient en train de préparer l'assaut imminent de la capitale. Keller se mit à son poste de commandement et fit une annonce générale.

— Soldats, nous avons intercepté une liste de rebelles espagnols qui compte prendre le pays d'assaut pendant que nous serons concentrés sur Paris. Le général Miller sur place se chargera de les arrêter. Général Brown, venez me voir.

— Oui mon Eternel, répondit Brown en se levant.

— J'ai établi un nouveau plan d'attaque. La douzième division viendra en renfort avec la huitième pour parer au manque de ravitaillement de l'Espagne. De même, la deuxième section de chars blindés passera par Nanterre pour avancer jusqu'au centre-ville.

— C'est un chemin bien plus long, mon Eternel.

— En effet, ils ne s'attendront pas à ce qu'on attaque par ici et elle sera moins défendue.

— Mais s'ils réagissent assez vite, ils les prendront en embuscade et les détruiront.

— Ils seront trop débordé ailleurs. Envoyer les ordres, général.

— Oui, mon Eternel.

Keller avait vécu la bataille dans la dernière réalité, il connaissait parfaitement  les manœuvres ennemies, leurs points forts et leurs points faibles. Il avait passé les dernières heures là-bas à préparer son nouveau plan d'action. Bien sûr, il ne pouvait pas le dire à ses officiers. Le secret d'une telle technologie ne devait pas s'ébruiter et le directeur Burton était l'un des rares hommes à être au courant pour le voyage temporel.

Le général Brown continua d'écouter les nouveaux ordres de son Eternel, comme le parachutage de troupes dans la banlieue Sud ou l'assaut de la base souterraine du Havre en empruntant un passage secret. Apparemment, l'Eternel avait entièrement retravaillé toutes leurs stratégies sans le consulter. C'était exactement ce qu'il craignait, qu'un homme plus haut gradé que lui et moins compétent se mette à ruiner tous ses plans. Hélas, il ne pouvait pas aller à l'encontre de l'Eternel, cette figure d'autorité et de dévotion absolue. Le pire était que si ses plans échouaient, c'était sur lui que retomberai la faute.

 

 

            Le mercredi treize octobrede cette nouvelle réalité, deux jours après le début des hostilités, les forces de la CRE évacuaient définitivement Paris. Les troupes Raknéennes avaient surpris tout le monde en infiltrant la ville par les routes peu défendues. La base du Havre avait rapidement été envahie par sa sortie secrète  et l'assaut surprise n'avait laissé que peu de survivants.

En Espagne, de nombreux rebelles avaient été exécutés avant même le soulèvement. Seules quelques villes s'étaient libérés de l'envahisseur, mais Madrid et les plus grandes métropoles n'avaient rien pu faire. En l'espace de quarante-huit heures, les Raknéens avaient conquis Paris et gardé l'Espagne. C'était une victoire absolue.  

Les officiers de la salle de commandement se réjouissaient de leur victoire. Seul Sam Burton les avait quittés pour se rendre dans la base du Havre. Lui et ses meilleurs informaticiens s'efforçaient de pirater les données informatiques de l'ennemi. Même s'ils avaient détruit le plus de serveurs informatiques possible avant de mourir, quelques officiers de la CRE avait oublié de nettoyer leurs ordinateurs privés.

Sam Burton gagna le « jackpot » en découvrant la localisation d'un silo de missiles nucléaire dans les montagnes des Alpes. Sa joie retomba vite lorsqu'il vit l'ordre de déplacer l'ogive vers un endroit secret si le Havre venait à tomber.

Burton prit son courage à deux mains pour prévenir Keller. Il activa la liaison entre la base du Havre et le centre de commandement Raknéen. Comme un signe divin, l'Eternel apparut sur l'écran géant devant lui.

— Mon Eternel, j'ai localisé l'emplacement d'une ogive nucléaire, mais elle a été déplacée lorsque nous avons conquis Paris. La CRE a dû anticiper qu'on  trouverait cette information.

— C'était à prévoir. La prise de Paris est une chose, mais la suppression des ogives nucléaires ennemies est primordiale. Le risque de guerre nucléaire serait évité et on pourrait enfin conquérir le monde. Tu sais ce que tu as à faire.

— Oui, mon Eternel.

La communication s'arrêta et Burton soupira. Il n'aimait pas l'idée du voyage dans le temps. Evidemment, c'était un atout stratégique de grande valeur. Pourtant, il avait l'impression de perdre une partie de lui-même à chaque fois. Une version de « lui » plus jeune continuerait de vivre dans une autre réalité, mais lui, cette version du présent avec ses souvenirs, serait effacée. C'était comparable à la mort. Mais il  ne pouvait rien contre la volonté de l'Eternel.

 

 

            Ryan Keller se retrouva une nouvelle fois dans le passé, le lundi onze octobre, toujours dans ses quartiers du centre de commandement Raknéen. C'était officiellement la troisième réalité. Keller avait passé de nombreuses heures à préparer un nouveau plan d'action avant son voyage. La dernière fois, il avait changé le plan pour attaquer Paris contre un autre complètement différent. Cette fois, il allait garder le même, avec de légères améliorations qui changeraient tout. Chaque escouade de soldats Raknéens attaquera directement une escouade de soldats ennemis planqués dans la ville. Chaque sniper aura la position d'un autre sniper à éliminer. Les rues empruntées par les renforts ennemis seront prises par des embuscades sans pitié. Les hôpitaux de fortunes et centre de ravitaillement seront bombardés dès les heures de pointes. Même l'hélicoptère rempli d'officiers ennemis qui avaient réussi à s'enfuir sera touché par un missile en plein vol. Les mêmes stratégies allaient être employées pour l'Espagne et le reste du monde.

Keller fit exprès de recroiser le directeur Burton devant l'entrée de la salle de commandement.  

— Vous avez fait un bon voyage, mon Eternel ?

— On a gagné Paris, mais je vise un plus gros poisson.

Burton fut surpris un moment.

— Une ogive nucléaire, je présume ?

— Oui, j'avais sa position dans le passé grâce aux données que tu avais piratées dans le futur, je n'allais pas manquer ça.

— Mon autre « moi » a fait des prouesses.

— Je t'enverrai toutes les données sur ton ordinateur sécurisé.

— Merci, mon Eternel.

Ils entrèrent dans la salle de commandement et Keller exposa son nouveau plan à ses officiers. Le général Brown cacha du mieux qu'il put son mécontentement et Keller s'en fichait. Il aborda ensuite le plus important.

— Nous avons découvert la localisation d'un silo de missiles nucléaires dans les Alpes. Je n'ai pas besoin de vous dire que sa destruction est plus importante que la prise même de Paris. Trois transporteurs passeront les lignes ennemies et emmèneront une escouade de commandos dès l'assaut de Paris.

— Nous ne connaissons presque rien des défenses des Alpes, fit remarquer le général Brown, on va envoyer nos hommes dans l'inconnu. D'où nous viennent ces informations ?

— Les services de renseignements.

— Ils sont aussi la cause de nos changements de cible dans l'assaut de Paris, je suppose. S'ils se trompent, on enverra nos hommes à la mort. Cela pourrait être un piège de la CRE.

— C'est leur boulot, général. Occupez-vous du vôtre !

— A vos ordres, mon Eternel.

Le  lieutenant Miller à côté de lui fut terrorisé par sa réprimande, mais le général Brown ne broncha pas. Il se contenta de ruminer ces nouvelles informations. Apparemment, l'Eternel ne désirait pas discuter de ses stratégies avec lui. Ils avaient passé les dernières semaines ensemble à préparer l'assaut de Paris et tout ce travail avait été balayé en une nuit. Il se demanda quel rôle les services de renseignements avaient pu jouer dans ce revirement.

Un peu avant l'assaut, il prit un moment pour sortir de la salle de commandement et rejoindre le directeur des services de renseignements. Les deux hommes se connaissaient et avaient travaillé ensemble sur l'invasion de la France. Il le croisa dans un couloir et lui serra la main.

— Je tenais à vous féliciter dans vos récentes découvertes.

— Ce n'est pas grand-chose, je vous assure.

— Pas grand-chose ? Les positions ennemies dans la capitale ? Les Alpes ? L'ogive nucléaire ?

— Je n'ai aucune connaissance de ces informations.

— Ah, je suppose que vous n'avez pas le droit d'en parler. C'est l'Eternel lui-même qui nous en a fait part.

— La plupart du temps nous ne sommes pas ses sources. Certains disent qu'il a d'autres services de renseignements, d'autres assurent qu'il voit l'avenir … 

Le directeur s'en alla sur ces paroles. Le général Brown en fut encore plus perplexe.

 

 

            Le plan de Keller avait fonctionné à merveille. La capitale avait été prise en à peine vingt-quatre heures et la rébellion espagnole avait complètement échoué. Quant à l'escouade de commando envoyé dans les Alpes, elle avait pris du retard à cause des défenses ennemis.

Keller et ses officiers dans la salle de commandement surveillaient leur progression grâce aux satellites dans le ciel. Les commandos avaient pénétré le silo et Keller n'avait maintenant plus aucun moyen de savoir ce qui se passait là-dedans. Il aperçut le sas extérieur s'ouvrir et la tête d'un missile juste en-dessous. Des nuages de fumées en sortirent et le missile s'envola dans les cieux.

— Missile détecté dans les Alpes, mon Eternel ! cria un officier.

— Trajectoire estimée vers l'Amérique ! déclara un autre.

— Activez toutes les contre-mesures ! ordonna Keller. Envoyer tous les chasseurs en vol pour l'intercepter.

— Détection de matériaux radioactifs sur le missile ! En direction de Washington !

De longues minutes s'écoulèrent et le missile traversa rapidement l'océan grâce à son réacteur nouvel génération copié sur la technologie Raknéenne. Tout le monde dans la salle avait arrêté ce qu'il faisait pour observer sa course sur l'écran mural.

— Echec des missiles d'interception ! cria le premier officier effrayé. Les chasseurs sont trop loin !

— Impact sur Washington dans …

Tout le monde vit l'icône du missile toucher Washington sur la carte. Le directeur Burton fit passer les images de la capitale. Un immense champignon atomique balaya les gratte-ciels et tout ce qui les entourait. Tout le monde resta pétrifié, incapable de parler. Le lieutenant Miller se mit même à pleurer.

— Où en est l'escouade de commando ? demanda Keller impassible.

— Ils évacuent, répondit Burton les yeux rivés sur l'écran.

— Je veux leur rapport complet.

— Oui, répondit Burton en se ressaisissant.  

Il fut le seul à se remettre au travail tandis que tous les autres étaient encore sous le choc.

— Nous devons répliquer ! hurla le général Brown. Nous devons détruire Berlin, Rome et Varsovie !

— Si on fait ça, ce sera la guerre atomique ! s'affola Burton. Une bombe pourrait « vous » tuer, mon Eternel ! 

— Nous ne tirerons pas, confirma Keller.

— Quoi ? s'offusqua le général Brown. Ils viennent de détruire notre capitale ! Des millions de nos civiles sont morts, ma femme et mon fils sont morts ! Et vous n'allez même pas les venger !

— Faites confiance en votre chef et continuez le travail, général ! C'est un ordre.

— Vous faire confiance ? Tout ça, c'est de votre faute ! Vous avez changé nos plans à la dernière minute comme si c'était un jeu et nous, on en paye le prix fort. Vous leur aviez forcé la main en attaquant leur silo. Vous n'êtes pas digne qu'on vous appelle l'Eternel …

Keller dégaina son pistolet et le tua d'une balle en pleine tête. Son corps s'écrasa mollement sur son bureau, éclaboussant le lieutenant Miller à côté de lui qui était terrorisé. Ni les gardes, ni les officiers ne firent quoi que ce soit.

— Je vais arranger tout ça, déclara-t-il en rangeant son arme.

Burton acquiesça et Keller sortit de la salle de commandement.

 

 

            Keller rejoignit à nouveau sa machine à voyager dans le temps et arriva encore une fois, le lundi onze octobre, dans ses quartiers. C'était la quatrième réalité successive depuis qu'ils avaient attaqué Paris. Comme à son habitude, il briefa Burton juste avant de rentrer dans la salle de commandement. Il dévisagea le général Brown de cette nouvelle réalité qui ne se doutait de rien. Keller n'avait pas eu envie de le tuer définitivement et il savait que son voyage dans le temps allait le ressusciter. C'était plus un geste motivé par la colère destiné uniquement à se défouler. Il annonça à nouveau les plans pour attaquer Paris et le silo de missiles dans les Alpes. C'étaient les mêmes que ceux de la réalité précédente, à un changement près.

— J'accompagnerai l'escouade de commandos lors de cette mission.

— Mon Eternel, c'est trop dangereux ! s'inquiéta le général Brown. Si vous mourrez là-bas …

— Ça suffit ! l'interrompit Keller. Je vous ai laissé en charge de l'invasion de la capitale et j'ai dû changer le plan à la dernière minute tellement il était lamentable. Réjouissez-vous que je vous garde à ce poste, obéissez aux ordres et fermez votre grande gueule !

L'humiliation était totale pour le général Brown que tout le monde fixait du regard. Le lieutenant Miller eut honte de son supérieur. Brown ne comprenait pas un tel changement d'attitude chez son supérieur alors qu'hier encore, il lui faisait confiance et le traitait avec respect. Il eut envie de hurler à son tour, mais la discipline le força à ravaler sa fierté.

— A vos ordres, mon Eternel.

Il observa Keller donnant des ordres à ses hommes. Ses nouvelles tactiques étaient absolument irrationnelles et comportaient des risques inacceptables. Mais finalement, c'était peut-être mieux ainsi. Après cette altercation, si le plan échouait, personne ne pourrait rejeter la faute sur lui. Et si l'Eternel mourrait derrière les lignes ennemies, les Raknéens seraient enfin débarrassés d'un chef un peu trop négligent.

 

 

            L'Eternel se trouvait à bord d'un transporteur furtif en compagnie d'une escouade de super soldat. Leurs améliorations génétiques leur procuraient une force et des réflexes bien supérieurs au commun des mortels. Ils ne ressentaient presque pas la douleur, capables de continuer de se battre même s'ils perdaient un bras. Bien sûr, l'Eternel possédait des améliorations encore plus développées et semblait bien plus impressionnant avec son armure de combat.

Dans la précédente réalité, les commandos avaient mis plusieurs heures à éviter les radars ennemis et à s'approcher discrètement de la base. Fort des connaissances du futur, Keller avait établi un plan de vol qui les fit rapidement approcher. L'assaut de Paris avait commencé depuis une heure à peine lorsqu'ils atterrirent tout près de la base.   

Le silo se trouvait dans les Alpes à une hauteur de deux mille kilomètres. Le vent était glacial et la neige recouvrait le sol, y compris les portes du silo de missiles pour dissimuler sa présence. Les sentinelles patrouillaient autour et ne s'attendaient pas à un assaut surprises.

Tout le monde était en place autour de l'entrée de la base et Keller donna l'ordre d'attaquer. Les trois snipers éliminèrent plusieurs soldats avec des tirs parfaits dans la tête. Les détonations alarmèrent les autres qui s'agitèrent dans tous les sens. Keller et ses hommes passèrent à travers le grillage et ouvrirent le feu. Plusieurs commandos furent touchés et se mirent à couvert, mais une bonne dizaine d'Européen tombèrent sous le tir ennemi.

Les hommes à l'intérieur du silo apparurent aux fenêtres pour tirer sur l'envahisseur. Ils placèrent deux mitrailleuses de gros calibre et commencèrent à canarder les Raknéens. Aucune reconnaissance n'aurait pu prévoir cela et deux commandos moururent tandis que les autres se mirent à couvert. Seul Keller s'y attendait. Il empoigna son lance-roquette et explosa la fenêtre de gauche alors que l'ennemi commençait à peine à tirer. Il rechargea son arme et s'apprêta à tirer sur le deuxième. Le sergent ordonna de le couvrir et il explosa la dernière mitrailleuse.

Keller se mit à couvert et regarda sa montre. Il ne restait que vingt secondes avant que l'hélicoptère de combat ennemi n'ait fini de se préparer pour voler au-dessus d'eux et les attaquer. Il rechargea précipitamment son arme et leva le canon en l'air. L'hélicoptère arriva parfaitement dans les temps et il l'élimina aussitôt. Même ses hommes furent impressionnés.

Keller ne perdit pas de temps à écouter leurs acclamations et se précipita vers la porte du silo, suivi de près par ses hommes. Au lieu de perdre du temps à faire exploser la lourde porte blindée, Keller entra les codes d'ouverture récupérés dans le futur. Il n'y avait personne à l'interieur. Les Européens étaient complètement dépassés par la vitesse à laquelle ils progressaient.

Sans rendre de compte à ses hommes, Keller emprunta le chemin le plus court vers la salle de contrôle et ils le suivirent. Tuer tous les hommes de cette base ne lui apporterait rien si ce missile s'envolait. Dans les étroits couloirs et en tête du groupe, Keller aurait très bien pu être seul que cela n'aurait rien changé. Il éliminait les soldats ennemis les uns après les autres, laissant une trainée de cadavres derrière eux.

Keller se prit malencontreusement plusieurs balles dans son armure et l'une d'entre elles le toucha à l'épaule. Il ne s'arrêta même pas pour soigner sa blessure, ne sentant qu'une légère gêne à l'épaule. Il tira plusieurs balles sur le pauvre diable qui avait eu le malheur de lui faire ça et continua son chemin en le laissant se vider de son sang.

Keller arriva finalement à la porte de la salle de contrôle. Aucun code ne pouvait la déverrouiller et les supers soldats installèrent les charges explosives. La porte explosa dans un fracas retentissant et ils envahirent la salle, éliminant aussi bien les soldats que les opérateurs sans défenses. Keller se dirigea vers l'ordinateur principal et découvrit un compte à rebours. Tout le monde sentit les vibrations des portes du silo qui s'ouvraient. Il brancha une clef de données et chargea les supers virus Raknéens dans le système. Avec ses compétences informatiques, la technologie Raknéenne et les connaissances du système acquises dans le futur, il réussit à interrompre le lancement.

— Escouade Alpha, éliminez les derniers survivants ! Escouade Beta, placez les charges explosives.

— A vos ordres ! répondirent en cœur les sergents des deux escouades.

Keller regarda la cible du missile. Il s'agissait de la ville d'Oxford, la nouvelle capitale de l'Angleterre sous contrôle Raknéen.  Le commandant de cette base avait surement l'ordre de tirer son ogive nucléaire plutôt que de la perdre. Avec la prise de Paris dans la dernière réalité, il avait surement choisi Washington pour se venger.

Les commandos finirent le travail et rentrèrent dans les transporteurs. Keller activa les charges explosives. La base explosa entièrement et les systèmes électroniques de l'ogive furent détruits sans activer la réaction atomique. Keller était satisfait. Il avait pris Paris et arraché une arme de destruction massive à l'ennemi.

 

 

            Le général Brown supervisait l'installation du nouveau QG Raknéen, à l'école militaire face au Champ-de-Mars. Du haut de sa fenêtre, il observait la colonne de blindés sur la pelouse et les soldats qui installaient les tourelles antiaériennes. Des dizaines d'aéronefs patrouillaient dans le ciel autour de la Tour Eiffel. L'Eternel, dans tout son orgueil, avait choisi cette dernière comme perchoir pour contempler la ville qu'il avait prise. C'était loin d'être une position facile à défendre, mais personne ne pouvait aller contre ses caprices.

La prise de la capitale avait été phénoménale. Les Raknéens avaient percé les défenses de la ville en moins de vingt-quatre heures et les troupes ennemies s'étaient retrouvées dans une retraite chaotique. Le Havre était tombé lui aussi et la rébellion espagnole avait été maté avant même de commencer.

Le général Brown alla dans une salle de repos privée où se trouvait le lieutenant Miller et un autre sous-officier. Il se prépara un café, lorsque le sous-officier se retourna vers lui.

— Mes félicitations mon général, je n'ai jamais vu une bataille aussi bien menée !

Le général approuva d'un signe de tête.

— Tout le mérite revient à l'Eternel, on a fait que suivre son nouveau plan de bataille, déclara le lieutenant Miller. 

— Mais l'Eternel n'était même pas présent pendant l'assaut ? demanda le sous-officier.

— L'Eternel s'est battu derrière les lignes l'ennemies avec les meilleurs commandos et a détruit un silo de missiles nucléaires ! insista le lieutenant Miller.

— Envoyer notre chef suprême dans une zone aussi dangereuse était vraiment risqué ! répliqua vivement le général Brown. S'il avait été tué, ça aurait été une catastrophe pour les Raknéens.

— C'est en prenant des risques qu'on gagne des batailles, l'Eternel l'a bien prouvé, répondit le lieutenant Miller contrarié. Nous sommes l'élite de l'humanité, les Européens ne sont rien comparés à nous ! 

— Sous-estimer l'adversaire est très dangereux ! gronda le général.  

— Nous avons foncé dans la ville et l'avons conquise en une journée.

— Grâce au pari d'un homme qui a changé les plans à la dernière minute ! On aurait pu tout perdre s'il s'était trompé !

— On ne peut pas perdre avec l'Eternel.

— L'Eternel n'est pas un dieu, c'est un homme ! s'emporta le général. Un homme qui prend énormément de risques et qui bénéficie juste d'une chance insolente ! Un jour, sa chance tournera et il nous mènera droit à la défaite !

— Vous doutez de lui ? demanda Miller d'un air choqué.

— Je n'ai pas de compte à vous rendre ! Maintenant reprenez le travail ou je vous mets de garde toute la nuit !

— A vos ordres, répondit-il en serrant les dents.

Le lieutenant Miller et le sous-officier partirent en baissant les yeux. Le général Brown les regarda d'un air désespéré. Les Raknéens étaient de vrais fanatiques qui suivaient Ryan Keller aveuglément. Et il savait qu'un jour, ça leur exploserai à la figure.

 

 

         Une semaine après la capture de la capitale, un défilé militaire se préparait pour fêter la victoire des Raknéens. Des milliers de soldats, de chars et d'avions défilaient sur le Champ-de-Mars. L'Eternel se trouvait au deuxième étage de la Tour Eiffel en compagnie de ses meilleurs généraux et quelques Raknéens privilégiés. La diffusion de ce défilé était retransmise au civil en Amérique, aux colonies et au reste du monde pour leur faire peur. La victoire avait été totale et de nombreux pays avaient retiré leur soutien à la CRE.

Ryan Keller savourait le déploiement de sa puissance sous ses yeux. Sa participation sur le champ de bataille et ses exploits héroïques lui feraient honneur pendant des années. S'il devait un jour déclarer au monde son pouvoir de voyager dans le temps, plus personne n'oserait le défier. Mais il n'allait pas tomber dans ce piège. Dévoiler sa force par orgueil le mettrait en position de faiblesse. Les gens chercheraient sa machine temporelle, ou des scientifiques reproduiraient cette technologie. Sans compter tous ceux qui le traiteraient de tricheur. Keller ne se voyait absolument pas ainsi. Grace à son pouvoir de voyager dans le temps, il était le premier homme qui avait une chance de conquérir l'intégralité du monde et d'y régner « éternellement ».

Keller repensa à la première chronologie où la prise de la capitale avait été un échec. Il avait fallu trois voyages dans le temps pour obtenir ce résultat. D'habitude, Keller n'utilisait pas autant cette technologie. Les Raknéens étaient déjà une puissance mondiale avant même la découverte du voyage dans le temps. Depuis, il avait évité plusieurs défaites et remporté plusieurs victoires écrasantes.

Pourtant, il évitait d'utiliser ce pouvoir systématiquement. Les Raknéens étaient des hommes, ils avaient besoin de connaître la défaite pour faire des efforts et s'améliorer. Il voulait vraiment en faire l'élite de l'humanité. Et s'ils s'affaiblissaient, il lui faudrait remonter dans le temps pour chaque bataille. Il choisissait ainsi quand remonter le temps et quand laisser les choses en place, tel un dieu jouant avec le monde.

Le général Brown était assis sur l'estrade de la Tour Eiffel, à plusieurs places de l'Eternel. Il était le seul complètement anxieux et le cachait au maximum. Sa décision était prise. Mieux valait prendre les devants avant qu'il ne soit trop tard. Il avait lui-même placé la bombe dans la caisse d'arme personnelle de l'Eternel. Il chercha le plus discrètement possible le détonateur dans sa poche. Il hésita, songeant aux conséquences de son action s'il était découvert. Mais il ne pouvait plus faire demi-tour. Il appuya sur le bouton et l'Eternel et les hommes à côté de lui disparurent dans une explosion fulgurante, en direct devant le monde entier.

 

 

            Le « sanctuaire » était un des sites secrets les mieux cachés au monde. Enterré dans le désert glacial du Groenland, personne ne pouvait le trouver. Et même si cela arrivait, il fallait passer les lourdes mesures de sécurité. Les dix « oracles » à l'intérieur du bunker souterrain s'y sentaient ainsi en sécurité, même si cela les empêchaient de sortir pendant des mois entiers, voire des années. Le bunker était assez grand pour leur permettre de vivre plusieurs années. Il y avait des chambres avec douche, un garde-manger bien remplit, une salle de travail high-tech et une salle de sport convenable.

Les oracles étaient tous rasés et vêtus d'une tunique grise cérémonieuse. A part cela, ils n'avaient presque rien en commun. Certains étaient jeunes, d'autre plus âgées, il y avait autant d'hommes que de femmes et de toutes origines ethniques. La seule chose qu'ils avaient en commun, c'était leur dévotion pour l'Eternel et les Raknéens.

En ces temps difficiles, tout le monde se trouvait dans la salle de travail devant son ordinateur. La base avait beau être bien enterrée, elle n'en était pas moins capable de se connecter aux réseaux extérieurs et d'émettre à certains destinataires.

La mort de l'Eternel avait bouleversé l'ordre mondial comme jamais auparavant. En Amérique, les Raknéens étaient en crise et faisaient le deuil de leur croyance en ce qui s'était révélé être qu'un homme. En Europe, les soldats versaient leur rage sur l'ennemi pour faire leur deuil. La CRE avait profité de cette occasion pour lancer une grande offensive sur Paris et les deux armées s'affrontaient dans un combat meurtrier. Les colonies Raknéennes en profitaient pour se soulever contre l'oppresseur. Dans le monde entier, de nombreux fidèles de l'Eternel abandonnaient la cause et les Raknéens subissaient des désertions de masse. Le reste des populations libres se préparaient à un bombardement nucléaire et fuyaient les grandes villes par centaines de milliers. Les Raknéens réclamaient de faire pleuvoir tout leur arsenal sur l'ennemi en mémoire de l'Eternel, mais le nouveau leader Sam Burton avait catégoriquement refusé.  

Une semaine après le drame, personne ne connaissait l'origine de l'explosion de la tour Eiffel. Tout le monde pensait bien sûr à la CRE, sans avoir de preuve pour autant. C'était justement la mission des oracles, qui scrutaient un maximum de données possibles. En véritables détectives qu'ils étaient devenus, ils avaient compris que seul un Raknéen avait pu réussir à passer la sécurité en place.

Un oracle avait entendu le témoignage du lieutenant Miller accusant son supérieur, le général Brown, d'avoir tenu des propos agressifs envers l'Eternel juste après leur victoire sur Paris. Certes, le général Brown avait bien souffert lors de l'explosion, mais il avait survécu. Les oracles avaient ensuite observé le comportement du général peut avant l'attentat et avait remarqué quelque chose qu'ils n'avaient pas encore vu. Le général Brown avait actionné un détonateur dans sa poche. Son sort était scellé.

Les oracles venaient de finir leur compte-rendu manuscrit de l'attentat sur une feuille. Ils avaient aussi noté les événements et comportements des gens arrivés après le drame, afin de repérer qui était fidèle aux Raknéens on non.

Au dernier étage du sanctuaire, les oracles posèrent tour à tour leur main sur un panneau de contrôle et une grande porte sécurisée s'ouvrit lentement. Derrière se trouvait une machine à voyager dans le temps. C'était une petite machine, qui ne pouvait pas remonter plus de deux mois en arrière et envoyer une masse de plus de 10 kilos. Keller avait limité ses performances afin de ne pas donner un trop grand pouvoir à ses oracles. Certes, c'étaient les plus fidèles des Raknéens, mais ils n'en restaient pas moins des hommes avec leurs tentations.

Les Oracles placèrent deux feuilles identiques dans les deux chambres de la machine temporelle, en date du mercredi treize octobre, juste après la victoire sur Paris. L'une irait dans le coffre-fort de l'Eternel pour le prévenir de sa future mort et l'autre irait directement chez les oracles de l'époque au cas où le premier message se perdrait.

Les oracles récitèrent une prière et activèrent le voyage temporel. Ils avaient rempli leur fonction, ils avaient sauvé l'Eternel de la mort.

 

 

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