Le voyage déforme la jeunesse

tromatojuice

« Il s'en passe du temps en dix minutes. »

Lorsque l'on pense au mot voyage, plein de belles images nous viennent à l'esprit. Le plus souvent, du sable dans lequel des cocotiers ont été négligemment plantés. Des fruits exotiques cueillis par de jeunes naïades habillées de feuilles de palme, et de colliers de fleurs. De l'eau salée et clapotante d'une couleur bleue turquoise à faire pâlir les pastilles anti-bactéries spéciales cuvette de toilette. Peut-être de la neige et des chiens de traineaux pour les mono-maniaques de Jack London.

Voyager, un verbe qui s'accorde à tous les temps de l'optimiste.

Pourtant avant d'arriver à la destination rêvée, tout un parcours du combattant vous attend. Peut-être est-ce un test pour déterminer votre mérite. Un peu comme l'enfant qui doit promettre au Père-Noël d'avoir été sage s'il veut de beaux cadeaux.

Tout d'abord il faut choisir la destination. De tout temps l'Homme s'est demandé qui il était et où il allait. Alors ce n'est pas l'hôtesse d'accueil d'une agence de voyage quelconque qui réussira à lui soutirer la réponse. Au mieux elle réussira à vous refiler quelques billets vers une destination paradisiaque transformée en bunker à touristes géant par quelques investisseurs immobiliers peu scrupuleux.

Après avoir longuement réfléchi sur la destination que vous souhaitez rallier, vous vous décidez enfin. Hésitant, vous vous levez lentement. "Et si ce n'était pas le bon choix ?" La femme qui s'est assise à la place que vous venez de quitter, demande un aller-retour Poitiers - Sarreguemines. Finalement vous quittez l'endroit le menton bien haut.

Les ennuis ne font que commencer, car décider où partir est une chose, partir en est une autre. Certains n'atteignent même pas l'aéroport et craquent devant leur valise.

Peut-être n'êtes vous pas de ces conducteurs psychotiques qui se font les dents sur le volant de leur automobile, rien qu'à l'idée d'avoir à imaginer que peut-être il puissent avoir à affronter un embouteillage. Pourtant nombreux sont ceux dont les nerfs ont lâché. En général, ceux là sont retrouvés quelques jours plus tard sur la bande d'arrêt d'urgence, warnings enclenchés, se balançant d'avant en arrière en répétant « y arriverais jamais, y arriverais jamais. »

A l'instar des cadeaux qui se trouvent dans les œufs mi-lait mi-chocolat, les embouteillages sont de petites saletés difficiles à (sur)monter.

En admettant que vous ayez atteint l'aéroport à temps, et dans un état de santé mentale suffisant pour vous permettre de continuer le périple, vous êtes accueillis par un escadron d'employés qui semblent comploter pour vous offrir un aller simple à l'asile.

« Ah on vous a dit de vous présenter à ce comptoir ? Mais c'est le comptoir des abonnés ça monsieur. Vous n'êtes pas abonné ? Montrez moi vos billets. C'est bien ce que je pensais, vous n'êtes pas abonné. Vous devriez aller voir ma collègue là-bas. Oui, vous devrez faire la queue à nouveau. Rassurez vous, ce n'est pas la même file. » Kafka s'est retourné dans sa tombe.

Après 35 minutes à déplacer votre valise par portions de 20 centimètres, vous arrivez enfin en tête de file. Le cœur battant, vous vous tenez droit comme un « i » derrière la ligne jaune tracée sur le sol. Soudain, vous manquez de vous étouffer : le voyageur au comptoir, devant vous, a un excédent de bagages. Pour faire simple, il va devoir ouvrir ses bagages, et inventorier un à un les tas de frusques et de bibelots qu'il a tenté d'emporter avec lui. Quelques fois, après une intense réflexion, il se résoudra à renoncer à l'une de ses possessions.

A ce stade vos jambes flagellent.

Il enlève une brosse à dents de son sac. Vous hésitez entre pratiquer une coloscopie avec la brosse, ou tout simplement lui faire avaler le contenu de sa foutue valise. En silence, vous le maudissez sur trois générations. Que lui et sa progéniture soient réincarnés en papier toilette bon marché. Celui que l'on retrouve dans les toilettes publiques en rouleaux de trois kilos. C'est cela, celui-là même qui après usage vous dissuade de vous assoir pendant quelques heures.

Enfin, il semble que vous soyez devant le bon préposé. Vous posez vos bagages sur le tapis, une goutte de sueur perle sur votre front : est-ce que vous n'avez pas eu la main un peu lourde sur le contenu des valises ? Était-ce bien nécessaire de prendre toutes ces crèmes ? Et les trois pulls pour aller en Martinique ?

Ouf ça passe. De justesse, mais ça passe.

La précieuse carte d'embarquement est à présent entre vos mains. Vous n'avez jamais autant chéri un bout de carton. Toutes les cinq minutes vous vérifiez qu'il ne s'est pas dissous dans l'abîme de vos poches.

Plus que quarante minutes avant le début de l'enregistrement. Vos mains sont moites, et vous n'en pouvez plus d'attendre. Désœuvré, vous vous dirigez vers la rangée de sièges mi fer, mi mousse. Leur confort est loin d'être convaincant. Pourtant comme vous, des millions de fesses impatientes se sont laissées séduire par cet espace de repos spartiate.

L'auteur, afin de tromper le lecteur, et pris d'un élan de fainéantise, va à présent établir une rupture dans son texte. Il lui sera ainsi plus facile de glisser vers une première personne du singulier, et de délivrer de ce fait, un récit introspectif sur sa propre (?) vision du voyage. Sur ce, il vous souhaite une bonne poursuite de votre lecture.

A côté de moi, une famille nombreuse. De celles qui ont écrit sur le front « Made In Versailles ». Une sorte de reproduction surréaliste de la famille Lequénois. Les enfants sont passablement calmes, grâce à la vigilance d'un duo parental digne d'un couple de cerbères sous stéroïdes. Trop occupés à veiller sur leur progéniture ayant atteint un état végétatif, ils ne se soucient guère de leur environnement. Personne ne pourrait donc leur en vouloir de ne pas avoir remarqué qu'une équipe de déminage tente de désamorcer leur sac de chaussures.

Alors que les forces de l'ordre s'apprêtent à évacuer le hall de l'aéroport, l'un des enfants se retourne.

« Hé maman, regarde ! C'est rigolo, on dirait notre sac à chaussure. »

La mère jette un regard sévère à son enfant : « Henry-Paul ! Tiens-toi correctement et cesse de raconter des bêtises, veux-tu ? 

Mais maman, regarde, je te jure que je ne mens pas ! »

Elle se dévisse la tête pour observer distraitement la scène qui se déroule derrière elle.

Le temps se fige, à la manière de Matrix, sans les balles. Mais avec la famille Lequénois dans le rôle des trous des dites balles. La femme regarde son mari avec le regard d'une biche qui se serait retrouvée en tête à tête improvisé avec le canon d'un fusil. Elle bât des cils comme si elle essayait de s'envoler.

« C'était à toi que j'avais confié le... » sa voix meurt.

L'homme, beaucoup plus réactif bondi hors de son siège. Les démineurs le regardent les yeux grands ouverts. Le père tente de garder tant bien que mal son sang froid diplomate. Plutôt mal que bien, au vu des tics nerveux qui lui crispent le visage et des grands gestes qu'il fait pour expliquer qu'il n'était qu'à quelques mètres de là.

A ma droite, deux hommes se sont trouvés un point commun.

« Leur bagage était à deux mètres derrières eux, et ils ne se sont rendus compte de rien. C'est fou ça !

- C'est un monde ça tout de même...

- Un monde de fous, oui ! Les gens ne prêtent plus attention à rien. Ils ne prennent même plus le temps de vivre si vous voulez mon avis.

- Alors là, je vous arrête tout de suite, je suis entièrement de votre avis. Comme quoi les bourgeois, ils pètent tellement plus haut que leur cul, que ça leur bouche la vue. Et je reste poli ! »

Sur ce, la femme de l'un des deux hommes revient de son périple au Relais presse de l'aéroport.

D'un regard circulaire et parfaitement morne, elle analyse la situation. Elle voit un homme bien habillé tenter de plaider sa cause auprès d'une horde de policiers et de démineurs en tout genre. Derrière lui, une femme et quelques enfants attendent sagement, l'air embarrassé. Elle, a l'air de contenir ses larmes.

La nouvelle venue regarde son mari et son ami d'infortune avant de lancer avec majesté :

« Il s'en est passé du temps en dix minutes ! »

La philosophie quitte les comptoirs pour s'inviter aux aéroports. Le résultat est à la hauteur de ce qu'aurait pu être le fruit des réflexions philosophales d'un être, croisement improbable entre Aristote et Jean-Marie Bigard. Autrement dit, ça ou le vieux Léon qui partage sa philosophie de la vie, entrecoupée de relents d'alcool frelaté... la différence est minime.

« Embarquement immédiat pour le vol AF 7049. »

Je me lève. Il est tant de me soumettre à la sécurité drastique de l'aéroport. La tâche est confiée à une compagnie privée qui a à cœur de protéger le citoyen dans le moindre de ses déplacements. Peut-être un jour l'un de ces gardes sera mandaté pour vous accompagner aux toilettes. Il vérifiera alors que vous ne portez pas atteinte à votre intégrité rectale en utilisant un peu trop fort le papier toilette un peu trop rêche de l'aéroport. Il s'assurera ensuite que vous laissez de l'argent à Dame Pipi. Au moins 2 euros. « Hé oui mon p'tit, c'est l'inflation, la baisse du pouvoir d'achat. »

Devant moi, un petit enfant dépose son sac sur le tapis roulant du détecteur à rayons X puis passe sous le portique. L'un des employés saisit le bagage dès sa sortie de la machine et débute son inspection sous le regard tétanisé du gamin. Il en extrait une ferme miniature qu'il place sur la table prévue à cet effet. Puis, conscient de l'importance capitale de sa tâche, il extrait tous les animaux en plastique. Un par un il les aligne méticuleusement à côté de la ferme.

Le vigile me demande d'enlever tout objet métallique que je pourrais avoir sur moi. Un couteau, une barre à mine, un revolver. Je passe sous le portique. Il sonne. Le vigile me fusille du regard.

« Vous avez une ceinture ? Enlevez là. » Il regarde mes pieds d'un air pensif. « Déchaussez-vous et mettez le tout là-dedans. » Il me tend un plateau prévu pour passer de petits objets dans la machine à rayon X.

Quinze minutes plus tard, l'enfant à la ferme est enfin libéré. Pour lui, jouer au berger et à la bergère, c'est de l'histoire ancienne. A présent place aux accidents de voitures, aux avions encastrés dans des objets divers et variés, et à la guerre des Action Men ® contre les Barbies ®. Pendant ce temps là, je tente tant bien que mal, de freiner la descente de mon pantalon, dépourvu de ceinture « pour raison de sécurité ».

Probablement ais-je pensé un peu trop fort que cet employé devrait être récompensé pour son travail exemplaire. Ou alors peut-être m'a-t-il pris pour un athée extrémiste.

« Ouvrez votre sac. »

Et merde. J'ai mis 25 minutes à tout tasser dans ce foutu machin, et en 15 secondes, l'agent de sécurité a tout sorti. Bien évidement, tout ce qui était plié est déplié, secoué, puis jeté sur la table. Il trouve un range CD. Il l'ouvre, puis en inspecte tout le contenu, observe chaque disque.

Au fond de mon sac, et sur tout ce qu'il contenait, une poudre rose / rouge brille d'un éclat malicieux. Mince ! Mon paquet de Fraises Tagada ® a explosé.

L'homme se saisit du sachet éventré du bout des doigts. Un bonbon écrasé s'en échappe, et s'écrase mollement sur le sol. Le regard de l'agent est empreint de suspicion. Il inspecte chaque objet dans ses moindres détails. Une fois sa tâche achevée, il prélève un peu du résidu sucré du fond de mon sac à l'aide d'un étrange appareil. La machine clignote puis émet un « bip » de satisfaction.

Il pousse toutes mes affaires sur le côté. « C'est bon ! » me lance-t-il sans autre cérémonie, puis il entreprend de fouiller le voyageur suivant.

Je cours vers la porte d'embarquement, mon bardas sous un bras, l'autre occupé à maintenir mon pantalon à une hauteur décente.

Je suis le dernier à pénétrer dans l'appareil. Je m'assoie, et là, juste devant moi, un jeune couple flanqué d'un nouveau-né inconsolable. Ça a beau être petit, le bruit produit rappelle celui d'une sirène d'alerte à incendie. Les moteurs de l'avion se mettent en route. Le gosse hurle plus que jamais, et malgré le bruit des réacteurs, ses pleurs restent parfaitement audibles.

« Préparez-vous au décollage » annonce une hôtesse.

Je veux descendre !

Suivant la durée du vol, vous aurez le droit à « une petite collation » ou « un plateau-repas ». La « petite collation » se compose d'une mini canette de la boisson de votre choix et d'un paquet de biscuits, salés ou sucrés, c'est selon.

Je me suis toujours demandé pourquoi leurs boîtes de soda et autres jus étaient tellement petites. Quand le contenu de celle de ma voisine, qui a enfin réussi à ouvrir son paquet de biscuit, m'atterrit sur les genoux je comprends pourquoi. Parce que ça mouille (et parfois même, ça tâche) ! Or il est très désagréable de rester assis tout un vol, avec l'entrejambe humide et collant. Une seconde explication, encore plus pragmatique, peut être avancée. Si le liquide à disposition est si peu abondant, c'est pour éviter la queue devant les toilettes. Deux cabinets de toilettes pour un avion entier, il vaut mieux éviter que tout le monde ait un besoin pressant au même moment.

La bourse ou la Scandinavie.

« T'as déjà fouillé dans ce sac là ? » Ma colocataire se tient dans l'encadrement de la porte, un poing sur la hanche. Elle me regarde vider toutes mes poches, inspecter chacun des recoins de ma chambre.

Je m'essuie le front du revers de la main en soupirant. « Oui. Ça fait la troisième fois que je retourne tout mon bordel. »

Il est 21h. Demain je prends le premier avion, direction Copenhague. De là, je prendrais le train pour rejoindre Hélène en Suède. Deux jours de festival plus tard, je quitterais mon amie pour m'envoler vers la Norvège où m'attendent Lise-Anne, Fanch' et Colin.

Caroline s'approche de moi. Elle observe le capharnaüm d'un œil désolé. Le lit est recouvert de papiers en tout genre. Ah, tient, deux emballages de préservatifs ; qu'est-ce qu'ils font ici ?

« Et c'est quand la dernière fois que tu l'as vu ta carte d'identité ? »

23h30, toujours pas de trace de cette foutue carte.

« Et un passeport, t'en a bien un, non ? Même périmé... » Effectivement, j'en ai un. Mais il est resté à Dijon, chez ma mère. J'inspecte une dernière fois ma trousse de toilette. Rien dedans non plus.

« Tant pis ! Je la retrouverais en rentrant. Je tente avec mon permis. Au cas où j'emmène ma carte d'électeur et mon passe navigo ®. »

Ma colocataire me regarde comme si je venais d'une autre planète. Cookie, ma chatte, se frotte contre ses jambes en miaulant terriblement fort. Cette saleté de bestiole a ses chaleurs et passe le plus clair de son temps à ramper dans l'appartement, le croupion bien en l'air. Caroline la repousse du bout du pied.

« Je voudrais pas être pessimiste, mais à mon avis t'iras pas plus loin que l'aéroport. » Quelque chose s'enclenche dans ma tête.

« Tiens, au fait, comment je fais pour aller à l'aéroport ? »

Caroline se frappe la tête du plat de la main. « J'ai rien dit. T'arriveras même pas jusqu'à là-bas. »

Mon vol est à 6h30. A cette heure il n'y a pas de métro, pas de bus, et pas de car Air France.

Je lâche ma valise et m'assois devant l'ordinateur. Après quelques rapides recherches, je vois que le premier RER part à 4h56 de Gare du Nord. C'est à trois stations de métro de chez Sabrina.

« Allô ma chérie ? Je peux dormir chez toi ce soir ? »

3h45. A peine deux heures de sommeil. Douche froide.

4h00. Café. J'attrape mon téléphone pour appeler un taxi. L'homme n'a pas l'air heureux d'avoir été réveillé.

« Dans 10 minutes en bas de chez vous, ou ce sera un autre taxi. »

Je regarde ma montre. 4H10. « D'accord. » Je raccroche. J'embrasse Sabrina et j'empoigne ma valise.

Ma petite amie, les yeux plein de sommeil me regarde passer la porte. « Bon voyage » me lance-t-elle dans un bâillement. Une fois dans le taxi j'ai la vague impression qu'il me manque quelque chose. Ce n'est qu'une fois arrivé à l'aéroport, que je réalise que j'ai oublié l'essentiel : les billets ! Comme ma valise n'était pas pratique, j'ai emprunté un sac à Sabrina. Les billets ont échappé à ma vigilance et sont encore dans ma valise. L'enregistrement prend fin dans 10 minutes.

A bout de souffle, je pose mes bagages sur le tapis à côté de l'hôtesse d'accueil.

Elle me regarde en souriant : « Vos billets et une pièce d'identité s'il vous plait.

- Vous allez rire... »

Heureusement, j'avais acheté mes billets sur internet. Je sors mon portable, me connecte à ma boîte mail grâce au WAP. Ouf ! J'ai gardé la confirmation de ma commande.

Je tends le téléphone et mon permis de conduire à l'employée abasourdie. Les yeux écarquillés et la bouche entrouverte, elle se saisit des objets.

Quelques instants plus tard, elle me rend le tout, accompagné du précieux laissez-passez vers le Danemark. « Embarquement porte B-53. »

Enfin arrivé sur le territoire Danois. Il me reste encore 20 minutes pour acheter mes billets de train et rallier la Suède.

A l'approche des bornes automatisées, une petite chose brune et passablement chevelue se rue sur moi en faisant de grand geste. Sa voix haut perchée me vrille les tympans. « You Swedish. Help me with the machine » crie-t-elle avec un fort accent Italien. J'ouvre la bouche pour lui expliquer qu'il y a méprise, que je ne suis pas Suédois. Peine perdue, elle empoigne ma manche et m'entraîne devant la machine.

« I want tickets for the train » continue-t-elle, « to go to sweden. » Avant que j'ai eu le temps de lui dire que je n'avais aucune idée de comment obtenir quoi que ce soit de ces bornes, la jeune femme valide le choix de la langue.

SWEDISH.

Le prochain train est dans deux heures. Il me faut pas moins de six tentatives avant que la borne automatisée daigne lire ma carte bancaire. Les billets de train en main, je m'installe dans un café de l'aéroport, et commande un roulé à la cannelle et un jus de chaussette légèrement caféiné. Comme j'ai un peu de temps devant moi je décide d'appeler ma banque. Résultat, près un appel qui aura duré 6€, j'ai la confirmation que ma carte est démagnétisé. Par conséquent je risque d'avoir quelques difficultés à l'utiliser. Mon interlocuteur m'informe qu'en étant à l'étranger, je n'ai pas arrangé mon cas. Avant de raccrocher il me souhaite bonne chance.

J'arrive à Vaxjo où je retrouve une amie pour trois jours. Le troisième jours je décide de me rendre au commissariat le plus proche pour déclarer la perte de mes papiers d'identité. Les agents me disent qu'ils ne peuvent rien y faire. Cela concerne la police des douanes à laquelle je devrais avoir à faire à l'aéroport. Après m'avoir donné cette précieuse information, eux aussi me souhaitent bonne chance. C'est encourageant ! A croire que mes vacances vont s'achever dans un camps de rétention provisoire, dans l'attente du premier charter.

A l'aéroport de Stockholm, la police se montre très coopérative. Leur intérêt à mon cas se limite à un haussement de sourcil.

Je finis par atterrir dans la salle d'embarquement. Avant de me laisser entrer dans l'avion, l'hôtesse regarde mon permis avec circonspection.

« Tiens je ne connaissais pas. C'est là nouvelle carte d'identité Suédoise ? » Comme cela à l'air de lui faire plaisir, je ne la contredis pas et pénètre l'air de rien dans l'aéroplane.

“Les ceintures s'attachent et se détachent de la façon suivante.” Je regarde l'hôtesse de l'air gesticuler, une ceinture dans les mains. A présent elle explique comment enfiler un gilet de sauvetage. Très utile, des fois que l'avion coule.

A côté de moi, une vieille fille soupire avec force. Son front dégouline de sueur.

« PNC aux portes. Armement des toboggans. Préparez-vous au décollage. »

La vieille fille se tend tout d'un coup. Chacun de ses muscles est encore plus bandé que le sexe d'un acteur X devant le sexe de sa collègue qui s'offre à lui. Elle respire comme si elle allait mettre bas. Merde. C'est bien ma veine : une aviophobe.

Après une heure passée à suinter tous les liquides de son corps, ma voisine de siège attaque les accoudoirs. J'entends très distinctement les cris de douleur du plastique sous la pression de ses grandes mains osseuses.

« Veuillez redresser le dossier de votre siège et relever votre tablette, nous amorçons notre descente vers Stavengard ». Ma voisine me regarde, l'œil vide, le teint blafard. A la première turbulence, elle se jette sur les consignes de sécurité.

Enfin sur le plancher des vaches ! Je récupère ma valise sur le tapis. C'est la première. Étrange.

Je sors de l'aéroport pour aller prendre le bus. Je monte dans le premier autocar que je vois et demande à aller au centre de Stavengard.

« 80 couronnes » me lance le chauffeur. Je fouille mon sac de fond en comble. Je réussis à en exhumer un billet de 5€. Je le brandis, triomphant. Le chauffeur n'apprécie pas mon exploit : « 80 couronnes. »

Je descends du véhicule, et me précipite vers le bureau de change de l'aéroport. La jeune femme prend mon billet de 5€ et me tends 35 couronnes. J'empoche la somme, et cours comme un dératé vers le bus qui démarre. A bout de souffle je dépose les 35 couronnes sur le petit comptoir, à côté du chauffeur.

« 80 couronnes. 35, ça suffit. Vous n'avez qu'à prendre les bus verts. ». Je descends, dépité. Je traine mes guêtres vers le dépôt des bus verts. « Pas de service le dimanche. » C'est pas vrai...

Une heure plus tard, un nouvel autocar pour Stavengard centre arrive. Un autre chauffeur ouvre les portes. Je lui explique tous mes problèmes. A bout de souffle, je le supplie du regard.

« Montez. Je vous fais un tarif spécial. »

Je lui laisse tout ce qu'il me reste d'argent, et vais m'assoir au fond du bus.

A ma descente du bus, je retrouve mes amis. Ils on l'air plutôt surpris de me voir...

Le prochain bus qui doit nous mener à notre prochaine étape est dans deux heures. Voyons les choses du bon côté, ça me laissera le temps de leur raconter mon périple. L'auditoire est tout ouïe, d'autant qu'ils avaient parié que je resterais coincé à la frontière.

Les enfoirés.

A la fin de la journée, nous arrivons finalement à l'auberge de jeunesse « Prekeistolita ». Le temps de remplir les quelques formulaires nécessaires, et nous voilà dans une toute petite chambre où deux lits superposés occupent plus de la moitié de l'espace vital. Les murs sont boisés, façon « chalet de vacances au ski de mon enfance. » L'étroitesse de la pièce – qui s'apparente de fait, plus à un couloir tapissé de lambris, qu'à une chambre habitable – est compensée par une vue imprenable sur un fjord. Je penche la tête par la fenêtre. Il fait frais. Devant moi, à quelques centaines de mètres en contre bas, une eau d'un bleu turquoise lèche la terre ciselée. Un peu plus loin, de l'autre coté de l'étendue liquide reflétant les derniers rayons de soleil, d'immenses montagnes cachent l'horizon. Le pied ! Excepté le fait, que lorsque nous descendons enfin au réfectoire, il n'y a plus rien ni personne. Du coup, au menu sandwichs plats et chips écrasées, résidus comestibles de la journée ; le tout arrosé de soda et de barres chocolatées achetées à l'accueil.

Le lendemain, après un petit déjeuner gargantuesque – nous avions prélevé la veille les horaires d'ouverture de la cafétéria – nous partons pour le Prekeistolen. Après trois heures de marche laborieuse, parmi les cailloux et les gravillons, le but est atteint. Le Prekeistolen, est un éclat de montagnes parfaitement angulaire, dont la particularité est de surplomber un fjord à quelques 600 mètres au-dessus du niveau de l'eau. Le tout sans aucune barrière de sécurité. La tradition – ou l'imbécile curiosité qui meut chaque touriste normalement constitué et équipé d'un appareil photo – exige que l'on s'assoie au bord du rocher, les pieds dans le vide. Et quand on regarde ses godasses et le gouffre de 600 mètres qui les séparent de l'eau, le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est impressionnant ! De quoi coller le vertige à Mermoz et son pote Saint Ex'.

A la fin de la journée, ce sont donc quatre loques qui retrouvent l'auberge de jeunesse, dont deux – Fanch' et moi même – passablement rougies par le soleil. Le soleil Norvégien est aussi traitre que notre fasciés ressemble aux fesses d'un babouin de zoo atteint d'hémorroïdes avancées. L'haleine fétide en moins.

C'est vidé de toute énergie, que nous nous avachîmes (un petit coup de passé pas si simple pour crâner) face à l'étendue verte et bleue qu'un paysage enchanteur (comme merlin, la baguette en moins) offrait à nos pupilles dilatées par l'effort mais néanmoins attentives à la beauté de mère nature. En bref, on a bouffé des sandwichs sur une table de pique-nique en bois vermoulu en regardant dans le vague.

Après une bonne nuit, nous nous réveillons guillerets. Le petit déjeuner consommé, chacun de nous explique aux autres, qu'il a trop mangé, qu'il aurait pas dû, mais que comme ça il tiendra la journée. Il est l'heure de prendre le taxi, puis le bateau jusqu'à Lizbotn. Ce nom barbare reflète l'amour immodéré du slave pour les syllabes à voyelles multiples (excusé l'apostrophe dont le français se fiche, et le slave les mains), et fait toutefois référence à un endroit délicieusement rupestre. Arrivés à bon port, nous évacuons le ferryboat pour une courte heure : le temps d'engloutir un hamburger dans le seul snack à des kilomètres à la ronde. Là encore la vue est magnifique et la nourriture gouleyante. C'est donc repus, (et assurés que Fanch' capte un réseau Wi-Fi avec son Ipod Touch ®) que nous retournons vers le bateau. La croisière s'achève avec la journée.

Lise-Anne appelle le propriétaire du chalet dans lequel nous sommes sensés passer la nuit. Surprise ! Finalement l'habitation n'est plus à quelques minutes du centres ville, mais à 45 minutes en voiture. Aucun bus ne peut nous y conduire.

Dépités, mais pas découragés, nous quittons le terminal portuaire pour nous diriger vers le centre ville. Là, nous entreprenons d'appeler tous les hôtels et toutes les auberges de jeunesse. Aucune n'est libre. Lise-Anne, qui était reparti au port pour y chercher son téléphone portable qu'elle avait oublié, revient avec le sourire. « Alors, on a quelque part où dormir ? » Son sourire s'efface quand je hausse les épaules en signe d'impuissance.

Deux choix s'offrent alors à nous. Nous pouvons tenter de prendre le train en changeant les billets. Problème, le tarif de nuit est beaucoup plus élevé que le prix qu'affichent nos billets. L'autre solution est de dormir dehors ; quoique le mois d'avril soit passablement tiède, les nuits sont froides et humides. Au-delà de la fraîche rosée, nous ne savons pas comment la police locale accueillerait des étrangers cloisonnés dans leurs duvets au beau milieu du parc. Probablement pas très bien, s'il n'y a pas un papier à côté des poubelles, leur tolérance en matière de touristes ratés doit être assez restreinte.

Après quelques négociations avec le chef de gare et le contrôleur, nous gagnons le droit de prendre le train du soir avec nos billets du lendemain préachetés sur internet. Le train part à 22h15. Il nous reste 45 minutes pour trouver de quoi nous sustenter. En prévision du voyage nocturne, nous galopons donc vers le supermarché du coin qui ferme à 22h. A 21h55 nous somme de retour à la gare, les bras plein de victuailles. Au moment de poinçonner les billets... plus de billets. Nous vidons tous les sacs, fouillons toutes les poches : rien. Ah ! Le comptoir du supermarché, peut-être qu'ils sont restés sur le bord du zinc, posés là pour se libérer les mains. En tout cas nous ne le saurons jamais, puisque Fanch', parti en courant vérifier l'hypothèse, n'a pu que constater la ponctualité Norvégienne. A 22h 00 le rideau de fer était baissé.

Retour de Fanch', sans les billets. Panique. Rachat de billets. Pas assez de liquide. Les cartes bancaires ne sont pas acceptés. Course jusqu'à la banque la plus proche pour effectuer un retrait. Stress. Finalement, nous accédons au train juste à temps, mais avec des billets achetés quelques minutes plus tôt, et pour le train du lendemain.

Cette nuit là, bercés par les soubresauts métalliques et ferroviaires, chacun de nous s'est endormi en pensant que décidément, la réalité dépassait largement la fiction.

Assis peu confortablement, je me réveillais régulièrement, pour voir le soleil poindre par delà les forêt habitées par des brumes fantomatiques. Et puis, un blaireau avait retiré ses chaussures, et un lourd fumet de chaussette faisandée planait dans le wagon... difficile de dormir dans ces conditions.

Le réveil s'est bien passé. La suite du séjour aussi. C'est au moment du départ où j'ai serré les fesses. Ce n'était pas gagné d'avance de quitter le pays des mangeurs de poissons fumés, avec mon seul permis de conduire. Je passe la douane, pas de problème. C'est après que cela se complique. Je voyageais avec Colin en passager basse priorité (c'est-à-dire que l'on monte dans l'avion après tout le mode, et sous réserve qu'il reste de la place à bord). C'est là qu'était toute la difficulté, si nous n'embarquions pas, nous risquions de mourir de faim dans l'aéroport. Nous n'avions absolument plus de sous.

En attendant que le dernier des passagers soit rentré, nous nous asseyons près du comptoir d'enregistrement. Un forte odeur de pizza nous chatouille les narines. A quelques pas de nous, il y a une enfilade de restaurants fast food, dont une pizzeria.

« Si on ne rentre pas dans cet avion, je crois que je meurs noyé dans ma salive » me lance Colin.

Finalement, le dernier passager rentre dans l'habitacle de l'aéroplane, et nous aussi. Pas de problème ! C'est lorsque je m'assois dans l'avion qu'un problème se pose. Un espèce de yuppie encostumé rabaisse la tablette de son siège pour y installer un petit ordinateur portable. Il pianote sur son clavier en soufflant toute la masse de stress qui l'écrase. Les chiffres s'alignent dans son tableur. Je le regarde, on dirait un écureuil névrosé qui trierait ses noisettes ; la cravate en plus, cela va sans dire.

Le costume-cravate est détestable. Il maudit l'hôtesse de l'air qui lui demande de rabattre la tablette lors de la phase de décollage. Quelle perte de temps, ses chiffres n'attendent pas ! Même cinéma lors de l'arrivée des plateaux-repas. L'homme avale son repas en une minute trente secondes. Puis il tend son plateau à l'hôtesse qui est toujours en train de servir la rangée.

« Non monsieur je ne peux pas reprendre votre plateau, je suis encore en train de servir. »

Soupir excédé de l'homme. « Mais c'est pas possible ! » L'hôtesse le fusille du regard. « Comment je fais, moi ? » pleurniche-t-il.

« Hé bien vous n'avez qu'à le poser sous votre siège ! »

L'encostumé grommelle, et peste. Il doit pester contre le personnel de la compagnie de vol. Quelle salope, doit-il penser, et en plus elle à un cul mieux que celui de ma femme ! De toute façon sa femme, il l'a engrossé deux ou trois fois avant de la laisser le nez dans la couche des gosses pour se consacrer corps et âme à sa carrière. Maintenant la seule avec qui il couche, c'est son entreprise. Triste constat.

Lorsque je descend de l'avion, j'ai des envies de meurtre. Le yuppie m'a complètement rongé le système nerveux.

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