le voyageur
johnnel-ferrary
LE VOYAGEUR
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Pourquoi, oui pourquoi m’a-t-il réveillé pour que je lui montre mon ticket de train ? J’ignorais que j’étais dans ce fichu convoi qui tournait, tournait, tournait ? J’ai ouvert les yeux. Il me souriait l’abruti.
- Bonjour Monsieur, contrôle des billets.
Je lui ai tendu ce billet de train qui pourrissait dans la poche droite de mon veston. Il l’a regardé puis s’est mis à hausser les épaules en gloussant.
- Mais Monsieur, votre billet est caduque, la validité est devenue péremptoire voyons ! Vous ne devez plus voyager car celui-ci est effroyablement compromis pour votre voyage. Je vais vous dresser procès verbal et vous devrez quitter ce train.
- Mais voyons, Monsieur le Contrôleur, je suis chez moi, dans mon fauteuil, je me suis assoupi quelques minutes voyons ?
- Désolé de vous contredire, mais vous êtes dans ce train depuis des heures et la validité de votre titre de transport date depuis… Plusieurs… J’ai du mal à lire vraiment la date ?
- La validité est sans doute permanente, Monsieur le Contrôleur, osai-je dire.
- Navré Monsieur, notre compagnie ne propose aucunement une validité permanente. Ah ! Voici la gare de… J’ai du mal à lire le nom… Bref, vous allez descendre et vous irez au guichet afin d’obtenir un nouveau titre de transport dont la validité est bonne. Veuillez vous lever et me suivre…
J’ai obéi tel un bon soldat qui doit se faire tuer au champ d’horreur ! Autour de moi, des visages blêmes, des sourires narquois, des rictus sur les lèvres, d’autres se foutaient bien de ma présence ou non ! Je me suis présenté à la porte de sortie, et le train a stoppé ses machines. Le contrôleur m’a demandé de quitter son convoi.
- Je fais fi de l’amende de vingt euros Monsieur, vous me semblez être un brave homme.
- Merci Monsieur le Contrôleur de votre gentillesse, ai-je répondu.
Et je me suis retrouvé sur le quai d’une gare dont j’ignorais le nom. Des lettres enchevêtrées, une sorte de blabla immonde qui me sautait en plein visage. Mon pauvre cerveau ne pouvait plus décrypter un tel phénomène. Des lettres, mais quel nom donné exactement ? Alors je me suis assis sur un banc de bois, et j’ai regardé les gens qui allaient et venaient. Une vraie mécanique que ce monde. On va et on vient, on part de chez soi pour y revenir le soir, puis la gare s’éteint, et tout redevient silence ! Et puis un soir, alors que j’allais m’assoupir sur l’un de ces bancs rudes, un type est venu me voir. Il portait casquette et uniforme tout comme le contrôleur du train. Et ce n’était pas un contrôleur, c’était pire ! Il était le chef de gare.
- Monsieur, veuillez sortir de ma gare, je vais fermer les portes à double tours. Et puis une gare n’est pas une chambre d’hôtel, et si vous persistez à venir chaque matin, je vais appeler les gendarmes. Pas de gens comme vous ici car c’est un lieu de passage.
Bon. Allez debout, et va te jeter dans la fournaise de la ville, me suis-je dis. Je suis donc sorti de la gare et j’ai marché quelques minutes, puis j’ai vu un banc. Un vieux machin rouillé, pas beau, voire hideux. Peu importe, voici ta nouvelle demeure mon gars, me suis-je exclamé. Là, au moins, personne ne te cherchera des noises, tu seras libre de dormir là sans autre procès. Je me suis donc assis sur ce banc, et j’ai regardé la ville. Longtemps, de nuit comme de jour. Des piétons qui dès le matin, allaient de droite vers la gauche, puis le soir venu, allaient de la gauche vers la droite. Idem pour les voitures, les autobus, les taxis et les tramways ! Une vraie mécanique de précision. Et alors que je somnolais, la pluie s’est mise à tomber. Violemment, et je me suis retrouvé mouillé de la tête au pied. Vite, je suis allé me mettre à l’abri d’un tel orage, et comme la gare était ouverte, je me suis installé de nouveau sur ce banc de bois dépeint par le temps. Là-bas, dans sa guérite, le chef de gare m’a vu mais il n’a pas bougé. De l’autre coté de la ville, les trains s’arrêtaient et balançaient sur la ville, leurs voyageurs dont le visage n’exprimait rien. Et comme la pluie faisait rage encore et encore, des parapluies s’ouvraient et se refermaient telle une mode éphémère. Cela me plaisait bien, ce manège que je regardais en souriant. Dommage que je n’en étais pas l’auteur sinon il me serait facile de couper court à un tel manège. Comme enlever les piles d’un transistor afin de retrouver le silence d’un calme apaisant. La nuit venu, on peut le dire avec la délicatesse du mot blessant, le chef de gare est venu me voir. Il n’a rien dit, c’est moi qui ai parlé.
- Je sais, je dois quitter votre gare Monsieur l’employé des chemins de fer, et ne pas y revenir sinon, les gendarmes feront de moi la viande froide pour boxeur invétéré.
Je me suis levé, j’ai mis mes mains dans les poches de mon veston, et je suis sorti. La ville ne m’attendait pas car elle continuait sa mécanique de précision. Le matin tout le monde vers la gauche, et le soir venu, tout le monde à droite ! Là-bas, mon vieux banc qui lui, je le suppose, n’attendait que ma présence fessière afin de redevenir ce pourquoi il fût créé. Recevoir les culs de ces braves gens dont l’insouciance frisait le ridicule. Brassens le chantait bien lorsqu’il parlait des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics… Sauf que j’étais seul sur mon banc public, pas d’ami, pas d’amour, pas d’envie ! Soudain, le vent se leva et le silence avec. Plus personne dans les rues, et dans le ciel, une belle Lune bien pleine qui me renvoyait les photons d’un soleil ardent qui rugissait de l’autre coté de la Terre. Voilà que je me sentais bien d’un seul coup d’un seul ! Et oui.
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J’ai sans doute dormi des heures et des heures, et lorsque mes paupières se sont levées, j’ai vu la ville qui dansait autour de moi. Les piétons qui allaient de gauche à droite, les autobus qui allaient de droite à gauche, les voitures klaxonnaient, de lourds calions bloquaient la chaussée. Comme c’était beau cette vie mécanistique, avec ces visages impassibles qui se muraient dans une fatigue millénaire. Je me suis levé, j’ai marché autour de la place où jouaient des enfants, et je suis entré dans la gare. Des trains arrivaient, des gens en descendaient puis d’autres montaient à l’intérieur des voitures. Après, les trains disparaissaient pour que d’autres convois puissent prendre leurs places. Je me suis assis sur le même banc de la veille, et j’ai attendu. Quoi au juste ? Je n’en savais rien. J’avais faim, je cherchais du regard le lieu d’aisance pour des besoins naturels. Double fracture d’un corps qui a des besoins bien obligés. Une jeune femme s’est approchée de moi, et m’a donné quelques pièces de monnaie.
- Tenez, vieil homme, et pour ne pas mourir maintenant, allez vous acheter quelques pains et des friandises.
- Merci Madame, ai-je répondu. Je ne pense pas que Dieu vous le rendra vu qu’il ne rend jamais rien, mais vous êtes gentille, et bon voyage.
- Je rentre chez moi, répondit la jeune femme. Je vais chercher mes enfants à la crèche, et je rentre chez moi pour préparer le diner.
- Oui, la monotonie d’une vie simple n’est-ce pas ?
Elle n’a pas répondu et a disparu. Je sais que jamais plus je ne la reverrais, alors j’ai oublié son visage et je me suis levé pour faire des emplettes à l’épicerie du bord de gare. Du pain, du jambon, deux yaourts nature, et des carambars. Comme ceux qui me rongeaient les dents lorsque j’étais un môme. Et soudainement, je me suis senti fatigué de cette vie, de ce jeu d’une mécanique bien huilée. Je m’imaginais que de l’autre coté de l’horizon des gens vivaient d’une manière différente. Et si je me décidais à marcher pour connaître ce qui se passe de l’autre coté de cet horizon qui les jours de brouillard, disparaissait ? Rentré à l’intérieur de la gare, je commençais mon repas lorsqu’un type avec costume, cravate et casquette, me tapa sur l’épaule.
- Dites mon vieux, faudrait voir à me débarrasser le plancher, la gare n’est pas un hôtel. Foutez-moi le camp, disparaissez ! Nous attendons les vacanciers d’ici un jour ou deux, on ne veut pas de mendiants qui défigureraient notre belle ville.
Une fois encore, je me levai et terminai mon repas dans la rue. Toujours ce manège incessant qui me foutait le bourdon. Et ce bruit de moteur qui ronronnait dans ma tête ! La ville devenait la laideur d’un monde à remontoir mécanique, comme le train offert le jour de mes six ans par mon paternel. Tu remontes le ressort grâce à une clef, tu mets la locomotive sur les rails, tu desserres le frein à main, et bonjour jeunesse, à nous les grands voyages illuminés d’imaginaire ! Et oui, le monde est un jeu à remontoir, mais qui s’occupe de la clef ? Le destin ? Je me suis assis sur le banc, et j’ai fermé les yeux. Que voir de plus en ce bas monde ?
- Monsieur, papiers d’identités je vous prie !
J’ai ouvert les yeux pour regarder les trois types en uniformes avec casquettes réglementaires, brassards « POLICE » et visages fermés.
- Vos papiers d’identités Monsieur…
J’ai baissé la tête, non par soumission, mais parce que j’étais fatigué de ces hommes en uniformes. Après les gens de la compagnie des transports ferroviaires, voici les gens de l’ordre public.
- Je n’ai pas de papier d’identité, Messieurs, car j’ignore qui je suis. Je n’ai pas de nom, pas d’adresse, je ne suis pas un vagabond mais un voyageur temporel. Je passe juste dans votre ville, et après…
- Oui Monsieur ? Et après ?
- Je ne sais pas, ai-je du répondre.
C’est vrai, je ne sais pas ce qui va se passer dans la minute prochaine. Je ne suis pas un extralucide.
- Monsieur, levez-vous car nous sommes dans l’obligation de vous amener au commissariat. Nous devons savoir qui vous êtes, et non un simple voyageur temporel. Vous avez une famille, des enfants, un travail ?
- Non, rien de tout cela. Je voyageais tranquillement et le contrôleur du train m’a demandé de quitter le convoi. Je suis venu ici par hasard. J’ignore même le nom de votre ville. Et puis je m’en moque d’ailleurs !
- Comment cela ? Allez, debout, lèves toi, tu nous suis au poste, vite.
- Bien Messieurs !
Que dire de plus ? Se retrouver dans une pièce fermée par des grilles et une porte à blindage total ? Mais pourquoi ? Parce que je n’ai pas de papier d’identité ? Parce que je suis un étranger dans cette ville mécanique ? Parce que je n’ai pas de nom, pas de famille, pas de travail ? Je n’ai pas de passé, encore moins de futur ? Et alors, à quoi cela peut gêner ces braves gens qui copulent avec un refrain jour et nuit, nuit et jour ? Je ne suis pas comme eux, ou alors c’était l’autrefois d’une autre histoire que la mienne ? Bizarrement, j’avais une folle envie de dormir. Le froid me remplissait de désespoir. Pourtant, devais-je me laisser aller à un tel sentiment alors que rien ne me disposait à cela ? Je ne sais pas, bien que la nervosité des gens de la force public m’invitait à un tel désagrément ? Je voyais des visages ridés, corrompus par des années de labeur et de répressions volontaires. Je voyais les âmes de ces êtres dont la temporalité n’excèderait pas leur court destin.
- Pas de vagabond dans nos villes, dans nos contrées. Et pas question en période électorale, que nos concitoyens aient la vue de ces débris dont la nonchalance devient le fruit pourrit de nos cités.
- Oui boss, nous devons détruire le vagabondage !
Ces mots d’une inébranlable désobligeance, forgeait en moi le silence de la richesse du pauvre damné. Où j’étais, et pourquoi étai-je là ? Ils m’ont fait du mal, la tête, les yeux, les bras, le bas ventre, hurlaient des chants d’horreurs, et enfin, ils m’ont jeté à la rue. J’ai retrouvé le même banc où j’ai pu enfin m’allonger. Je savais bien que tôt ou tard, ils allaient revenir. Et de nouveau, les coups, la souffrance, l’humiliation car ils détestaient les gens comme moi. Alors que je m’évanouissais à cause des souffrances endurées, je la vis entre larmes et brouillard. Trop belle entre deux vélums lacrymaux, un tailleur haut de gamme rouge, un visage trop blanc, des yeux d’un bleu effervescent. Et sa voix, presqu’un murmure dans ma pauvre tête fragile et tabassée institutionnellement.
- Mon ami, je sais ta honte, ta souffrance, la haine que tu procure à ces êtres sans foi. Je suis venue te chercher, tu es libre maintenant.
Elle prit ma main. Une main de glace, j’ai failli enlever la mienne de la sienne tant le froid corrompait ma chaleur corporelle. Mais elle l’agrippa pour ne plus la lâcher.
- Tu sais qui je suis n’est-ce pas, qu’elle me dit.
- Qu’importe, dis-je, je suis trop mal ici. Ils ont tué mon chien la semaine dernière, les infâmes, et depuis je suis tellement seul dans cet univers imbécile. Je les vois qui vont et viennent comme des automates des manèges que fabriquait mon aïeul.
- Alors tu vas retourner dans le train qui va arriver, voici ton billet. Première classe, aucune date pour que tu puisses voyager à ta guise. Viens, je t’accompagne sur le quai.
Un quai de gare comme un nouvel univers qui se dessine sur l’horizon. Et il est arrivé comme tous les trains du monde. Une locomotive à vapeur en tête comme celles de mes souvenirs lointains, et les wagons bleus de la compagnie des pullmans internationaux. Première classe, et dans ma main, ce billet sans date.
- Vas maintenant, la vie ne sera plus jamais un cauchemar. Pense à moi de temps à autre, juste une pensée diligente.
Elle m’embrassa de ce baiser froid de la Mort. Alors que je montai dans la voiture dix sept, le contrôleur vint pour me saluer.
- Cher Monsieur, vous voici enfin. Compartiment numéro treize, votre chiffre porte bonheur je crois ? Vous y trouverez une machine à écrire mécanique, des feuilles blanches et un ruban encreur neuf.
- Je vous remercie, mais je ne suis pas écrivain, et que pourrai-je bien écrire, questionnai-je l’homme dans son uniforme tiré à quatre épingles.
- Mais Monsieur, vous trouverez l’inspiration au moment voulu, ne vous inquiétez pas. Et bon voyage. Puis-je voir votre billet ?
Je lui montrais le billet donné par la femme.
- Mon Dieu, mais vous êtes un VIP, tout les honneurs sont pour moi ! Venez, je vous accompagne à votre compartiment. Votre billet est à validité persistante de kilomètres en kilomètres. Néanmoins, je viendrais de temps à autre le valider. Juste pour saluer Monsieur !
Le compartiment, mais devrai-je dire plutôt une chambre d’hôtel cinq étoiles ? Fauteuil Louis seize, bureau de la Renaissance, une chaine HIFI des années soixante dix, et des disques vinyles de jazz ! Quant à la machine à écrire, une « Underwood » noire, elle me rappelait cet écrivain qui, au vingt et unième siècle, avait su écrire mon histoire. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, sans doute un vagabond dont la littérature oublia le nom. Et qui sans doute, se promène dans l’au-delà de l’imaginaire, sait-on jamais… ?
Johnnel B.FERRARY
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