Le week-end le plus long
darklulu
Ils sont arrivés un vendredi, en fin décembre de l’année 2012..
Je m’en souviens parce que c’était un vendredi, justement, et qu’à l’époque, je guettais les vendredis comme le messie. Veille de week-end, même si cela ne veut plus rien dire, désormais.
Ce jour là, des peurs cristallisées par le cinéma, l’Internet, les médias, se sont libérées de leur joug pour se déchaîner dans la réalité.
C’est ce vendredi qu’il sont arrivés sans prévenir, comme des cheveux sur la soupe. Leurs gigantesques vaisseaux spatiaux ont déchiré les cieux en déchaînant des vents bouillonnants et brûlants. Muets comme des tombes, ils ne répondirent à aucun de nos signaux, même les plus agressifs. Ils étaient là, c’est tout. Nous ne savions rien de leurs intentions, de leurs buts, de leurs motivations. Je crois que c’est cela qui engendra la plus grande terreur.
Une terreur qui s’est emparé de nos dirigeants, et qui s’est transférée aux populations comme un feu de paille. Rapidement des émeutes, des pillages et des mises à sac ont embrasées nos villes et nos campagnes, sans que les forces de l’ordre n’y puissent rien. Elles finirent phagocytées par le désespoir des hordes décérébrées par la peur en moins d’une semaine.
En quelques heures à peine, il n’y avait plus un seul endroit sur Terre où la terreur ne se fut répandue. Les institutions tombèrent les unes derrière les autres, n’étant plus fondées que sur des châteaux de sable monétaires. l’argent n’ayant jamais fait de bonnes fondations, surtout quand il ne sert plus à rien.
Un véritable jeu de dominos...
La cellule familiale était devenue la seule résurgence de société réduites à leurs plus simples expressions et ramenées plusieurs milliers d’années en arrière.
A l’exception des bandes armées qui se partagèrent rapidement quelques territoires urbains, les gouvernements, quelles que soient leur formes, était mis à bas. Quant à nos courageux chefs d’états, ils s’étaient retranchés avec leur état-major dans leurs bunkers respectifs, ou ce qui en tenait lieu, et menaçaient de déclencher le feu nucléaire si on tentait de les y déloger.
Et tout ça, sans que nos mystérieux visiteurs n’aient eu à lever le petit doigt.
Respect.
Puis, les armées étant livrées à elles-mêmes, entreprirent de faire ce qu’elles faisaient de mieux, c’est à dire la guerre.
Des flottes entières prirent la mer et se livrèrent de titanesques batailles, rougissant les flots avec le sang des marins. Des avions et des bombardiers noircirent les cieux sous prétexte d’actions préventives ou mesures de rétorsions.
Les troupes se déployèrent comme la nuée de sauterelle de l’ancienne Egypte, pour occuper des positions dont tout le monde se moquait, et dévastaient tout ce qui ne se soumettait pas.
Le tout couvert par des dizaines et des dizaines d’envoyés spéciaux, même bien après que le dernier émetteur ait fini d’émettre et que la dernière presse ait fini de tourner.
Il n’est jamais trop tard pour un Pulitzer.
Mais les véritables victimes de tout cela furent les civils, ceux qui ne demandaient qu’aide et protection. Les même qui avaient payé des impôts toute leur vie, en mettant à leur tête des gens dont la seul préoccupation était les bénéfices qu’ils pourraient tirer d’une telle situation. Et même là, au bord du gouffre, ils continuaient à se battre pour un pouvoir qu’ils ne possédaient plus.
Des millions de morts figuraient au compteur en seulement trois semaines.
Et toujours aucune action de ceux qui avaient débarqué un vendredi, veille de week-end.
Ils restaient là, suspendus dans le ciel, dans leur vaisseaux, comme des dieux à bord de leurs chariots de feu. Ils regardaient le spectacle, et nous ne savions même pas si ce dernier leur plaisait.
En quelques mois, la famine frappa. On ne pouvait pas se taper dessus et s’occuper des semences et des récoltes. Il fallait choisir entre tuer ou manger.
Il semblerait qu’il était plus vital de tuer...
Devant la faiblesse croissante de la population, épidémies et pandémies firent des ravages.
Encore, une fois, ce furent les civils qui prirent de plein fouet les conséquences de décisions qu’ils n’avaient pas prises, et pour lesquelles ils n’avaient pas été consultés
Mais après tout, on a le gouvernement qu’on mérite, non ?
La population mondiale diminua plus vite qu’un glacier en période de réchauffement climatique.
En moins d’un an, près de six milliards d’individus ont rejoint leur créateur, Dieu, Allah, Bouddha... Quelque soit son nom, il se foutait bien de notre sort, du moment qu’il avait nos âmes. En tout cas, les affaires des clergés étaient particulièrement florissantes pendant cette période. La fin du monde aura au moins fait des heureux...
En enfin, après une année complète sans bouger, les étrangers finirent par faire quelque chose.
Ils partirent.
Ils s’en allèrent comme ils étaient venus, sans signe avant-coureur, sans avertissement, nous laissant désarticulés et anéantis, comme un jouet cassé mis au rebut.
Désabusés, les survivants regardèrent les vaisseaux s’éloigner et disparaître en se demandant pourquoi ils repartaient. L’incompréhension se transforma en colère, mais cette fois sans cible concrète, seulement la possibilité de se retourner contre ses semblables pour fustiger la bêtise dont le monde avait fait preuve.
Nous nous étions battus, détruits, anéantis sous leurs yeux, et eux partaient sans un mot.
Nous ne savions même pas si nous serions capables de bâtir une nouvelle société sur les cendres encore fumantes de l’ancienne, et nous étions véritablement et sans espoir de changement, livrés à nous-même. Car sur l’autel de nos peurs, nous avions sacrifié tous nos dieux, les anciens faits de spiritualité, et les nouveaux faits d’or et d’argent.
Voilà maintenant deux ans qu’ils sont partis, et les combats continuent, même si personne ne sait plus pourquoi. Nous continuons à mourir au nom d’un dieu qui n’a plus court, toutes les places financières ont brûlé, et les églises ne sont plus que des refuges pour des corps depuis longtemps désertés par leurs âmes.
Ceux qui en sont encore capables essaient de comprendre la venue des étrangers et ce qu’ils nous ont faits jusqu’à leur départ.
Pas un seul pour se poser la vraie question : pourquoi sont-ils partis ?
Si vous voulez mon avis, peu importe la raison pour laquelle il sont venus, mais s’ils sont partis, c’est parce qu’ils ont estimé que nous n’en valions pas la peine.
Et c’est pourquoi le monde est mort, un vendredi, veille de week-end.