Léa, mon mollusque de 13 ans.

Marine Perrh

Gap générationnel. Génération (dé)connectée.

"Si non kestafé today? TT au taf? Elles st où mes céréales, sérieux, t'abuz grav, voilà, j'rentr du bahu et y'a rien à manger. G tro le seum."

 

Je vous présente Léa, ma fille. 13 ans. L'horreur. Pas ma fille, entendons-nous bien, mais l'âge.

Eternelle incomprise, victime d'une injustice sans bornes depuis sa naissance : celle de nous avoir pour parents.

Plus les années passent et plus j'ai du mal à me rappeler la couleur de ses dents. Ben oui, elle ne sourit jamais et ne parle que par SMS. Enfin, à ses copines. Parce que nous, à part pour nous demander 50 balles pour un ciné, on n'a plus vraiment droit au chapitre.(Entre nous, depuis quand il « faut » 50 euros pour aller au ciné ? )

Et puis, elle a des bagues. 650 euros d'orthodontiste mais madame tire la tronche parce que ça l'empêche de rouler des pelles à ses petits copains. Tant mieux. Vive la barrière de chasteté linguale.

En ce moment, elle rêve de se teindre les cheveux arc-en-ciel et de se faire tatouer un cerf sur le mollet. Bah voyons.

Merci les magazines pour ados, les "Ink Master" et les tutos "faites-vous vous même un tie and dye en 10 minutes" qu'elle mate en boucle sur son PC.

Enfin, non, pas son PC, son Mac Book Air, attention, faudrait penser à ne pas confondre.

"Tu vas voir maman, avec ça, je vais tout déchirer pour faire mes exposés".

Bon, si c'est pour réussir dans les études alors....

Pour l'instant, elle n'a pas vraiment déchiré.

A part son jean tout neuf, le mois dernier, parce qu'apparemment "le grunge revient en force" cette année.

J'ai l'impression de vivre avec un mollusque. C'est atroce, je parle de ma propre fille. Mais je vous assure, elle passe son temps à souffler, comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules. Elle s'affale dans le canapé comme un invertébré, ses membres dégoulinant de part et d'autre.

A la seule différence que mon invertébrée à moi est connectée.

Ah ça, elle bouffe autant d'ondes wifi que de Chocapic, c'est dire.

Quand elle daigne m'adresser la parole, sa bouche s'ouvre un peu, je suis rassurée : j'ai la preuve qu'elle est vivante. Je fixe ses lèvres ouvertes et j'ai l'image d'un tuyau d'aspirateur en tête. Un aspirateur à billets.

Tout son amour est à acheter. C'est triste. Moi j'en ai plein les poches des baisers à lui donner sur son front, de l'amour à lui jeter à la figure. Mais elle n'en veut pas. Elle le balaie d'un revers de main (sa main gauche, car la droite est occupée à écrire des textos bourrés de fautes à ses copains-copines).

Elle n'a pas de rêve dans la vie. Sauf le dernier sac de je ne sais plus quelle marque que toutes ses copines ont, alors tu comprends, c'est un « must-have ».

Et sinon, elle ne pense pas à son avenir, ça me désole. Enfin, si, son avenir elle s'en enquiert au 81212 qu'elle n'arrête pas d'appeler pour savoir "combien d'enfants elle aura plus tard", "Est-ce qu'il te trompe?", "A quel âge te marieras-tu?".

Vivement qu'elle soit une vieille de 16 ans pour que je retrouve un peu ma fille. Parce que pour l'instant "c'est bien relou, sa mère".

--

Marine

 

  • Sans vouloir te décourager..il va pas se calmer à 16 ans...!
    Elles sont toutes ainsi...même à 24 ans.
    Je nuance ...a 24 ans on demande 100 balles pour les syllabus de l'unif,...mais nous sommes toujours des machines a billets

    · Il y a presque 9 ans ·
    Papillon

    branche

  • J'adore bravo ! Drôle et réaliste !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Images 500

    anton-ar-kamm

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