L'école Sainte Marie
Kate Lyna
L'école Sainte Marie était en réalité un ancien asile qui avait été rénové après être presque tombé en ruine pendant des années. Le travail avait été réellement bien fait, à tel point que quiconque ne connaissant pas l'histoire de ce bâtiment n'aurait su dire qu'il avait plusieurs siècles.
C'est donc en pensant se rendre dans une toute nouvelle école dont la construction s'était terminée l'année dernière, que Carrie entra à Sainte Marie avec les 29 autres élèves qui composaient sa classe de terminale. Leur professeur les avait amenés ici pour un cours de sciences spécial. Leur école n'avait pu obtenir les fonds pour avoir le matériel nécessaire et le directeur de Sainte Marie avait gentiment accepté de les recevoir dans son établissement et de leur prêter ce dont ils avaient besoin. Une classe leur avait été attribuée et le cours du professeur Morai pu commencer.
La journée défila très rapidement et c'est de bonne humeur que la classe commença à ranger ses affaires pour repartir à dix-sept heures. Mais alors que le professeur Morai poussait les plus lents à activer le mouvement, M. Arrin, Directeur de Sainte Marie, frappa à la porte de la salle de classe et entra.
— M. Morai, les enfants, pardonnez-moi de contrarier votre programme, mais je ne peux vous laisser partir maintenant. On vient de m'informer qu'un barrage a cédé à quelques rues d'ici, et avec la pluie qui tombe depuis le début d'après-midi, les routes sont pour la plupart impraticables. Je m'en voudrais qu'il arrive quelque chose à votre expédition sur le chemin du retour.
— Nous comprenons monsieur le directeur. Savez-vous quand le trafic sera rétabli ?
— Je n'en ai malheureusement aucune idée. Il faut déjà attendre que la pluie cesse. Et la météo prévoie de fortes averses orageuses jusque tard dans la nuit. Une alerte a été mise en place jusqu'à six heures demain matin.
Suite à cette annonce, la classe fut aménagée de sorte à recevoir les 31 matelas d'appoint qui leur avait été fournis. L'heure de se coucher arriva rapidement et le professeur disposa chacun des élèves pour éviter au maximum les problèmes.
Vers deux heures du matin, la pluie battait encore contre les volets de la salle, et Carrie eut une envie pressante. Prenant son téléphone portable, pour s'en servir de lampe torche, elle se dirigea vers la porte qui menait au couloir. Elle passa des portes coupe-feu qui étaient restées ouvertes et se dirigea vers les toilettes. Arrivée à destination, elle alluma la lumière, souhaitant économiser le peu de batterie qui lui restait.
Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un tout autre lieu que celui dans son souvenir. Elle était pourtant persuadée d'avoir pris la bonne porte. A la place des quatre cabines de toilette d'un côté se trouvait une douche sur deux à la place des toilettes, et la même chose de l'autre côté à la place des lavabos. Mais ce qui la choqua le plus était l'état parfaitement déplorable de la pièce. La crasse semblait incrustée dans chaque carrelage, chaque joint. Et c'était sans parler de l'odeur. Elle devinait sans mal les mélanges d'excréments, de vomis, et même de sang par endroit.
Autant dire que son envie de soulager sa vessie s'était subitement envolée. Il était hors de question de ne serait-ce que s'approcher d'un toilette aussi sale.
Elle entendit du bruit derrière elle et s'éloigna de la porte pour éviter de recevoir un coup. Elle retint alors un nouveau haut-le-coeur en voyant un homme entrer. Le fait qu'il s'agissait d'un homme alors qu'elle était sûre d'être entrée dans les toilettes des filles n'était pas vraiment le problème en soi. Du moins, pas celui qui accaparait toutes ses pensées. Non. Ce qui la choquait était plutôt l'aspect de cet homme qui semblait avoir été torturé, de la peau brûlée par endroits, des plaies d'où s'écoulait parfois encore du sang, ou encore des morceaux de chaire pendant misérablement dans le vide. Comment pouvait-on être aussi stoïque avec de telles blessures ? se demanda Carrie. Elle se demandait même comment on pouvait être encore en vie.
Elle ne bougea pas, et l'homme ne sembla pas la remarquer. Il en fut de même pour les trois personnes qui entrèrent à leur tour, un autre homme et deux femmes, tous trois plus ou moins en aussi mauvais état que le premier.
N'en pouvant plus de cette vision, Carrie retrouva enfin l'usage de ses jambes et sortit dans le couloir. La lumière était allumée. Elle vit une femme habillée d'une robe bleue et blanche guider dans enfants. Ils prenaient la direction de sa salle de classe et elle décida donc de les suivre.
Dès les premiers pas, elle eut l'impression que quelque chose derrière elle s'approchait. Elle ne voulu pas se retourner pour voir ce que c'était et préféra se mettre à courir pour rattraper le groupe. Mais alors que ce dernier passait les portes coupe-feu, celles-ci se refermèrent. Carrie tenta de les pousser, mais elles ne bougeaient pas. Elle y mit tout son poids, poussa de toutes ses forces, sans succès.
Elle entendait quelque chose derrière se rapprocher, et elle commença à paniquer. Elle se mit à frapper sur la porte, hurlant dans l'espoir de réveiller son professeur ou un camarade. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, sa poitrine se serrait, elle se sentait oppressée.
Et puis elle entendit enfin une voix qui lui était familière. Il lui semblait que c'était celle de Mickael, un garçon blond qui prenait le bus à l'arrêt suivant le sien et avec qui elle discutait de temps en temps. Mais cela lui semblait tellement loin, contrairement à cette chose qui se rapprochait de plus en plus d'elle. Car oui, elle ne pouvait pas croire que de tels râles et grognements puissent venir d'un être humain.
Quelque chose toucha son épaule et elle cria de plus belle en fermant les yeux.
— Carrie ! Carrie, réveille-toi !
La jeune fille ouvrit les yeux et la première chose qu'elle vit furent les yeux bleus du blond et son visage qui semblait inquiet.
— Est-ce que ça va ?
Carrie regarda par la fenêtre. Il faisait jour et la pluie avait cessé pour laisser place à un timide soleil.
— Euh oui, je crois. Qu'est-ce qui s'est passé.
— Le professeur était en train de réveiller tout le monde, mais tu ne réagissais pas. Il est partit régler les préparatifs pour notre départ et m'a chargé de te réveiller. Quand je me suis approché, j'ai remarqué que tu avais un sommeil très agité. Et quand j'ai posé ma main sur ton épaule pour te secouer, tu t'es mise à crier.
— Oh, je suis désolée. Je crois que j'ai fait un cauchemar...
Un quart d'heure plus tard, tous les élèves et leur professeur étaient dans le bus de retour. Carrie était côté fenêtre. Juste au moment où le chauffeur mettait le contact, elle leva les yeux vers la fenêtre de la classe du deuxième étage où ils avaient passé la nuit et vit une femme dans une robe bleue et blanche, entourée d'enfants, qui la regardait. Son cœur rata un battement et elle crut voir également les hommes et femmes partiellement décharnés qu'elle avait croisé dans les toilettes. Mais le bus venait de démarrer et elle ne put être sûre de ce qu'elle avait vu. Elle espérait fortement que ce n'était qu'un reste de la peur due à son cauchemar.