L'effarouchement des étourneaux sansonnets

Bastien Bachet

Roger Delerre n'est pas le genre d'homme à se laisser impressionner par un oiseau pas plus grand qu'une canette de soda. Oh non !

Alors quand une colonie d'étourneaux sansonnets s'installe sur un des deux sophora qui trônent côte à côte devant chez lui, il lui faut bien prendre des mesures. 

Roger Delerre est un homme d'action qui n'aime ni qu'on lui crie dans les oreilles, ni qu'on chie sur sa voiture.

Le premier soir, à la nuit noire, une fois les oiseaux silencieux et endormis, il sort avec deux casseroles et vient se pointer au pied de l'arbre en gueulant et en tambourinant le plus fort possible. 

Les oiseaux s'envolent dans un braillement grinçant, en deux minutes la messe est dite, l'affaire dans le sac, la mission accomplie.

Roger Delerre aime se sentir victorieux.


Il met son réveil le lendemain matin, très tôt, avant le lever du jour.

Et il recommence avec les casseroles. Un boucan dégueulasse, c'est moins plaisant et ça prend plus longtemps, mais ça marche. En plus, il s'est armé d'une longue perche et tape sur les branches en criant, jusqu'à ce que tous les étourneaux quittent l'arbre. 

Il est plus à cran et se sent con, de gueuler à cette heure. Mais ils sont nombreux …

Le soir suivant, de la tombée de la nuit à la nuit noire, armé de sa perche, il monte la garde autour du sophora, et bat en retraite les étourneaux qui veulent se poser. Ça dure des heures, il en a mal aux bras et à la gorge. 

Roger Delerre est un homme déterminé.

Le deuxième matin, la fatigue s'accumule et ça le fait chier cette comédie. La nuit est encore fraîche et sombre, il reprend sa perche. Il en dégomme au moins huit avant que l'arbre ne se vide d'oiseaux amorphes. Bardé d'œillères matinales, il retourne se coucher aussitôt après et cogne le lit jusqu'à neuf heures.

Le dernier soir du traitement de choc arrive enfin. Il remarque qu'il y a moins d'étourneaux, la victoire se dessine. Alors que le soleil se couche, il tape sur les branches de l'arbre avec sa perche, pour empêcher les oiseaux de se poser pour la nuit. Il ne regarde même plus en l'air et cri sans conviction, il commence à connaître les bestioles et l'effet qu'il produit avec son joug. Et puis il faut reconnaître qu'à la nuit tombée, il n'y en a presque plus, il se sent regonflé. 

Pourtant, l'onde des piailleurs reprend petit à petit, derrière lui. Roger Delerre ne voit rien, et c'est en se tournant pour lever la tête vers le deuxième sophora qu'il aperçoit la nuée d'étourneaux sansonnets qui a déménagé d'à peine, et qui recommence à s'époumoner crânement, comme des braillards affamés. 

Roger Delerre retourne chez lui, il sait que même dans l'action, il faut savoir prendre du recul quand la situations dérape. 

Signaler ce texte