L'Enchanteuse
Tiphaine Levillain
L'histoire que je vais te raconter est vraie. Peu importe ce que diront les grands, je peux te l'assurer : je le sais bien, je l'ai vécue alors que j'étais à peine plus grand que toi !
Ce jour là, je me promenais en forêt avec mes parents, et comme c'était l'automne, les feuilles étaient de toutes les couleurs ! Quand le vent soufflait, elles tombaient des branches en dansant dans l'air frais du matin.
Cette histoire que je veux te raconter, elle aurait pu m'arriver dans n'importe quelle forêt.
Mais, commençons par le début ! J'étais en train de suivre un merle, qui voletait de buisson en buisson en chantant gaiement. Je l'avais presque rattrapé quand soudain, pfiou ! Plus d'oiseau… Il venait de s'engouffrer dans un étrange terrier de ronces et de branches mortes.
Il paraît que la curiosité est un vilain défaut. C'est du moins ce que les grands racontent. En tout cas, moi, elle me poussa à explorer ce terrier. Et figure-toi qu'au début, je n'avais même pas peur !
Au bout de plusieurs minutes, il fallut bien que je me rende à l'évidence : j'étais perdu au milieu d'un immense labyrinthe de branches et de feuilles !
Oh, ne te méprend pas. J'adorais les labyrinthes. Je savais d'ailleurs comment faire pour trouver la sortie ! Sauf que ce jour-là… Je n'étais pas tout seul. Il y avait des yeux qui me regardaient dans l'obscurité des branchages. Chaque fois que je leur tournais le dos pour m'en éloigner, ils réapparaissaient un peu plus loin… Je crus d'abord qu'il s'agissait du croque-mitaine qui vivait sous mon lit, et puis… Je me suis rendu compte que les yeux souriaient.
Tu sais ? Quand les gens sourient, le coin de leurs yeux se plisse. J'aimais voir mon papa sourire ainsi. Les rides qui se formaient alors au coin de ses yeux à lui étaient les plus belles du monde !
Donc… Ces yeux là souriaient. Et ils avaient l'air joyeux. Je crois même qu'ils pétillaient d'amusement !
— Qui êtes-vous ?
Ma voix tremblait : je n'étais qu'un petit garçon. Les yeux me répondirent en chantant.
— Je suis l'Enchanteuse de ces bois !
La voix était puissante et grave. Elle m'enveloppa tout entier avant de voler jusqu'au ciel. Je ne me bouchai pas les oreilles : c'était bien trop beau.
— L'Enchanteuse ?
— Eh bien, oui, l'Enchanteuse ! La fée ! L'hôtesse ! Comme dans toutes les forêts !
Son chant me captivait et je ne répondis pas.
— Et hop !
Elle bondit hors des buissons.
— On ne vous apprend plus rien, à l'école ?
Je secouais la tête. Je ne savais pas trop si j'aimais l'école ou non, mais ça, on ne nous l'avait pas appris. L'Enchanteuse portait une couronne de lierre sur la tête et ses longs cheveux balayaient le sol à ses pieds.
— Tu sembles perdu, mon petit.
— Oui, répondis-je du bout des lèvres.
C'est qu'elle était intimidante ! Je n'osai pas lui demander de me ramener chez moi, mais heureusement, elle me le proposa d'elle-même.
Elle se mit alors à chanter. Ses mains dansèrent devant elle, gracieuses, et les branches s'écartèrent. Elle me guida ainsi jusqu'à la sortie. Au loin, j'entendais mes parents qui m'appelaient.
— Fais attention, mon petit. Les Enchanteuses ne sont pas les seules habitantes des bois.
Elle ne me parla pas des autres. Pourtant, je n'eus aucune difficulté à les imaginer et je frissonnai de peur.
Les fois suivantes, je pris bien garde de ne jamais trop m'éloigner de mes parents ! Je me souviens encore aujourd'hui de la voix de l'Enchanteuse. Si tu tends bien l'oreille, en te promenant dans les bois, peut-être l'entendras-tu toi aussi ?