L'enfant mort

Sandra Laguilliez

« - Ils l'ont trouvés dans une ruelle. Raconta l'homme à un de ces collègues. A peine vingt ans. C'est triste de finir comme ça, quand même.

-C'était quoi la drogue ? Un meurtre ?

-Ils savent pas mais il a sauté du sixième étages. C'est à peine s'il ressemble à un être humain, maintenant. On dit qu'il était beau.

-Quel gâchis ! »

Elle eut le choc de sa vie en voyant sa photo en première page des journaux. Elle l'avait aimé, il s'appelait Bastien, elle l'avait aimé plus que tout, même s'il était un peu bizarre, parfois. Les gens se demandaient s'il s'était suicidé ou s'il avait été poussé. Ni l'un ni l'autre. Il était mort depuis assez longtemps pour que ce ne soit pas un suicide. Ce n'était pas non plus un meurtre puisqu'il avait sauté délibérément.

Bastin avait été son copain pendant quelques mois. Il avait toujours combattu l'anxiété. Il avait touché le fond depuis des mois, même la prozak ne lui était d'aucun secours. Pour autant que Virginie en savait les toubibs le rendaient dingues, à chaque visites il allait plus mal encore. A l'école, il avait de mauvaises notes parce que lorsqu'il n'était pas shooté à la prozak ou au valium, il vivait enfermé dans son monde. Son monde c'était gothisme, métal et poésie morbide. Non, il n'était pas un cliché débile. Sa mère, lorsqu'il était petit, lui lisait Baudelaire à la place des contes de fées habituels. Le gothisme c'était pour la beauté et l'harmonie, la tristesse venait du faite qu'il n'avait jamais su trouvé sa place dans l'univers.

Virginie comprenait son geste. Ce n'était pas de la folie mais un acte sensé, pour un garçon intelligent.

Elle ouvrit la boite aux lettres, ce matin là. L'enveloppe noire et l'écriture blanche, elle les reconnaissait. C'était sa lettre d'adieu.

«  Ma chére Virginie,

J'ai trouvé l'endroit, j'ai choisis la date, plus rien ne m'empêchera.

Tu n'auras cette lettre que trop tard. C'est mieux ainsi. On te poseras surement des questions, je veux que tu répondes franchement. Mentir ne servirais à rien.

Ne viens pas me rejoindre, se serait inutile. Tu as une vie à vivre, moi j'ai une mort à assurer. Chacun sa voie. Je suis fatigué, je vais enfin pouvoir dormir. Le repos me manque. Ton bonheur compte pour moi, alors s'il te plait ne pleure pas et soit heureuse. Tu me dois bien ça ?

Tu souris, je le vois d'ici. C'est ce qu'il faut. Tu m'as fait souffrir, c'est vrai, mais ce n'est pas à cause de toi que je choisis la mort, j'espère que tu en as bien conscience. Je t'aime encore, voilà pourquoi je t'écris, aujourd'hui, mais ne crois pas que je te reproches quoi que se soit. Tu me demandais de venir te voir, mais ça sera trop tard, je suis navré, mais j'avais déjà pris mes dispositions avant, j'espère que ce n'était pas important. En tout cas, maintenant je suis mort.

Si je suis mort, tu le sais, c'est uniquement parce que je suis un lâche incapable de faire des projets d'avenir. La mort est trop prenante, trop envahissante pour que je puisse décliner son offre. Mes yeux se ferment mais je lutte. La mort s'en prend à moi et me joue un vilain tour, mais je me battrais à vie contre elle. Bientôt, je lui céderais, mais en attendant, elle peut bien attendre que j'ai fini cette lettre.

Accuse moi de t'avoir fait du mal. J'ai envie de me sentir coupable. Pas pour me soulager, mais pour m'encourager, non, peut être simplement pour me sentir humain et vivant une fois dans ma vie.

Je suis le vent sur ton visage, la lune cache ses étoiles ce soir. C'est dommage. J'aime la voie lactée, parce que c'est aussi triste que mort.

Tu m'as appris la vie, la haine, la joie, à moi le mort. Tu es merveilleuse. Mais mon avenir c'était de ne pas en avoir.

Je sais, je me répété beaucoup, mais c'est dur de devoir te laisser à tout jamais, parce que je t'aimais et je t'aime encore. S'il y avait eu un espoir, peut être que j'aurais encore attendu...mais j'ai déjà trop attendu, j'aurais dû mourir avant de te rencontrer, parce que je t'aime et j'ai mal de partir, je me demande ce que tu me voulais tout à l'heure et maintenant j'hésite. Tu es la seule à me retenir, et c'est peut être encore plus dur. Prie pour que je trouve le sommeil éternelle. J'en ai beaucoup en retard avec toutes ses insomnies. J'aimerais sourire mais rien n'a changé : ma détresse, je ne la ressent que trop bien, pour faire machine arrière. Je t'aime mais je ne t'offre pas mon suicide. Je le lui donne à elle... La mort. »

La lettre finissait ainsi. Il n'y a rien de plus beau que la mort volontaire, pour deux raisons. La première c'est que vous laissez un sacré souvenir à ceux que vous quitter, et aussi parce que contrairement à ce que disent les gens, le suicide n'est pas un sacrifice c'est une raison de vivre, en dépassant les limites prescrites pas les gens bien pensants.

Virginie n'aurait jamais dû lire cette lettre, dans son état émotionnelle en tout cas, et il aurait mieux fait d'attendre de la voir avant de décider de mourir ainsi.

« - C'est sa petite amie ? Demanda le sergent, devant le corps aplatit sur le sol.

Ouais, la gosse était enceinte d'après le légiste. Déclara l'agent de police. Ça va faire un choc à la famille.

En même temps, faut être tarée pour s'envoyer en l'air avec un cinglé pareil. Il a refilé sa saloperie de folie à la gamine.

La mort n'est pas quelque chose de mal. Répliqua l'agent.

Si c'est comme les homos ou les croyants. C'est une maladie contagieuse que le suicide. »

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