L'enfer, c'est les autres

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Je me rappelle d'une exclusion dès l'école maternelle. Mon psy s'est étonné, à ce sujet, comment ça : « c'est bien trop tôt ! » Je l'ai fusillé du regard. J'ai précisé : moi, je m'en rappelle.

Je me rappelle également du lapin dans la classe, certains lui tiraient les oreilles, et ça m'énervait pour ce pauvre petit animal que toute la classe torturait aussi.

J'étais très timide, et ça n'arrangeait rien. Tellement timide qu'il a fallu voir un pédopsychiatre. Je me rappelle de mes cris et mes hurlements quand on allait voir cette femme bizarre avec ses cubes colorés et son petit cabinet plein de jouets dangereux.

La dernière année de maternelle, j'ai volé un petit hérisson, une petite figurine, un jour où je me sentais plus mal que d'habitude avec les autres. J'avais voulu faire du vélo dans la cour, pendant la récré. Des petits vélos étaient disponibles. Une grande, une fille de CM2 m'avait arrêtée, menacée, elle tenait un de mes petits camarades par la main, et elle m'a poussée pour qu'il récupère le vélo. J'avais eu peur, je m'étais cachée sous le toboggan. J'ai jamais voulu refaire de vélo. Alors j'ai pris le petit hérisson et je l'ai glissé dans ma poche. Personne n'a jamais vu qu'il avait disparu, lui aussi.

La maternelle, ça reste tout de même vague. Pas l'école primaire. C'était l'époque des crachats, je ne sais plus les raisons qu'on me lançait, à la dérobée, mais on me crachait dessus. Je détestais ça, je comprenais pas, je me sentais tellement mal. Y'avait toute cette bande de petits camarades qui me poursuivait, qui se moquait de moi, à chaque récré. Je me cachais souvent derrière le mur d'escalade, j'épiais par un trou ceux qui venaient me dire que j'étais bizarre ou moche, moche ou nulle...

On te cause plus, qu'ils disaient. T'es moche, oh que t'es moche. T'es bizarre. T'es pas normale. Et les rires, les rires après les moqueries, ces rires qui résonnent encore dans ma tête quand je me retrouvais dans un recoin, comme un animal apeuré, poussé dans ses retranchements. Leur supériorité numérique.

Parfois, je restais assise devant la salle de classe plutôt que d'aller dans la cour. Je voulais pas croiser mes camarades, surtout ceux qui se moquaient sans cesse. Les filles étaient plus cruelles, au fur et à mesure des années. Elles étaient en bande, elles chuchotaient à mon passage, ricanaient, m'insultaient. J'avais des amis « de passage » : parfois, ils m'acceptaient, et le lendemain, les moqueries, à nouveau.

J'en avais assez d'être sur le côté, battue par leurs rires et leurs moqueries. J'ai commencé à pleurer à n'en plus pouvoir le matin, à avoir mal au ventre à en vomir, et ma mère qui me traînait à l'école comme à l'abattoir. Mes hurlements dans la cage d'escalier de notre immeuble, mes « je veux plus y aller » désespérés.

Je me rappelle surtout des sensations, des émotions. Les crises d'angoisse le soir, au coucher. A l'idée de devoir y retourner le lendemain. La boule au ventre toute la journée, quand les boulettes de papiers gorgées de moqueries venaient s'abattre sur ma table. Les envies de vomir. Les maux de ventre. La peur. Cette peur tenace, qui encore aujourd'hui me handicape, et je pense savoir d'où elle vient.

J'ai passé mes années d'école primaire à jouer à cache-cache avec ceux qui étaient « méchants », comme je l'écrivais déjà dans mon petit journal Barbie. Je détestais quand il fallait illustrer des chansons, la maîtresse me disait que je dessinais bien et exposais mes dessins au mur. Ça leur plaisait pas, ça, à mes petits camarades. Alors c'était bouchées doubles de méchancetés à la sortie.

Je voulais me faire toute petite. Sur les escaliers, un jour où la maîtresse m'aie forcée à sortir loin de la salle de classe, j'ai retenu ma respiration, en me disant, voilà, je vais mourir, et comme ça j'aurai plus mal. Je passais beaucoup de temps à essayer de mourir, comme ça. Je retenais ma respiration, à en avoir des vertiges, pendant la récré, cachée dans un coin ou un autre. Mes premières envies de mourir datent de mes huit ans.

On se moquait sans cesse, chaque jour, chaque récré, chaque après-midi. Ça n'arrêtait jamais et mes maux de ventre non plus. Et puis, il a fallu entrer au collège. Je pensais à un nouveau départ. Au final, ça a été encore pire.

Parce qu'il y a eu les coups en plus. Je me rappelle de bagarres, de finir sonnée par terre, d'avoir reçu un coup de pied dans le ventre et ne plus parvenir à respirer. Parce que les menaces, les insultes, les moqueries étaient plus subtiles, plus personnelles, comme si j'étais visée par un sniper : ça allait là où ça faisait mal.

Garçon manqué, pleinement consciente force de l'entendre de ma laideur, j'accusais les habituels : t'es moche, tu ressembles à rien, tu fais peur, personne voudra jamais de toi, va te suicider, ça devenait une sorte de routine, d'habitude.

On me jetait des pièces : va te rhabiller. Et les rires, les chuchotements à mon passage.

Le soir, je reprenais mon souffle. Je me noyais dans des films, des séries, pour oublier le quotidien. La mesquinerie. Les cachotteries. Les paris sur ma personne.

Les garçons se moquaient autant que les filles. Je les détestais tous. Je pleurais beaucoup, le soir, en repensant à ce harcèlement quotidien. Je vomissais souvent, avant d'aller au collège en vélo. Après plusieurs jours où l'on me volait ma selle ou dégonflait mes pneus, j'y allais à pied. Et entrer dans l'établissement, c'était comme entrer dans une arène gorgée de fauves.

J'ai vite été convoquée par la directrice, il parait que je ne « souriais pas », et c'était un grave problème visiblement. Je restais muette face à cette femme qui voulait juste m'aider. Certains professeurs se mettaient du côté des élèves en se moquant un peu de moi, ça ne faisait que les galvaniser. Cette prof qui se moquait de moi, elle n'a jamais dû se rendre compte qu'elle ne faisait qu'embraser les autres à me détester encore plus. Je l'ai haïe. Bref, j'allais voir la directrice, je ne disais rien, et en cours, j'imaginais encore comment mourir, je pensais me jeter dans un fleuve en plein hiver : je mourrai peut-être de froid.

Moche. Laideron. Nulle. Bizarre. Conne. Monstre. La chose. Encore. Et encore. Les coups, parfois, qui se rajoutaient. Les filles populaires qui me rabaissaient plus bas que terre. Les garçons qui insistaient sur cette laideur, sur le fait que jamais personne ne voudrait de moi.

J'ai menacé mon ophtalmo pour porter des lentilles, en 4ème. Je me barbouillais d'autobronzant. Je pleurais en écoutant Lene Marlin le soir, couchée dans mon lit. Je regardais « urgences » à la télévision, et l'espace des deux ou trois épisodes, j'étais si concentrée que j'oubliais un peu mes journées identiques et douloureuses. Je m'évadais par les films, les séries, c'était l'époque de Charmed, de Buffy, du Clown. Le début de mes troubles alimentaires, le début de tout ce qui cloche encore chez moi aujourd'hui.

Ces années m'ont détruite. Le collège m'a détruite.

Je suis arrivée au lycée en loque. Et ça n'a pas cessé. J'ai laissé tomber les cours. Je me dispensais d'y aller, je ne travaillais plus. L'époque où j'ai rencontré le premier médecin, puis le premier psy, et mes premiers antidépresseurs, à 16 ans.

On me faisait comprendre que j'étais une moins que rien, et c'est encore intégré dans ma tête.

La phobie sociale qui me ronge, je sais qu'elle est née lors de ces longues années d'exclusion et de mesquineries. Je sais que j'étais peut-être trop fragile, car je ne suis pas sortie indemne de mes années de scolarité.

Au point, en études supérieures, d'avoir des crises de panique, de ne plus pouvoir assister à mes cours, avoir déclenché une phobie scolaire à retardement. Je pensais qu'on continuerait à me faire vivre un enfer, ça me semblait logique. Mais les études supérieures, c'est différent, on ne se moquait pas, on venait me rassurer, les autres étaient de jeunes adultes sensibles à ma peur, mais j'étais trop méfiante pour donner ma confiance, toutes ces années de torture étaient trop vives, alors mes études se sont terminées en échec : je n'étais plus capable de rester en cours sans paniquer.

A mes yeux, si j'ai raté mes études, c'est parce que les années précédentes m'avaient marquée au fer rouge et déclenché des réflexes de survie inadaptés.


Je me dis qu'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, ce doit être encore plus terrible pour les vilains petits canards.

Je me dis aussi que les mœurs évoluent sur le harcèlement scolaire, à mon époque, on disait que ça forgeait le caractère, on ne s'arrêtait pas dessus.


Il n'empêche, si je souffre d'une profonde phobie sociale encore aujourd'hui, je sais que c'est à cause de toutes ces années de souffrance, d'exclusion, de moqueries et d'insultes.

L'autre me terrifie. Je me fais toute petite, où que j'aille. Je n'ai encore jamais travaillé.

Les jeunes me font peur. Dans la rue, je les évite. Comme un souvenir impérissable. Comme si je craignais encore des insultes, je change de trottoir, alors que j'ai 29 ans, alors que non, je ne suis plus piégée dans une cour de récréation à regarder les autres mettre un terme à ma confiance en moi.

Peut-être un jour aiderai-je. Peut-être. A mon niveau. Parce que se rendre à l'école chaque matin avec le ventre noué, parce que les insultes, parce que la mesquinerie, tout ça, ça ne devrait pas exister.

Le harcèlement perdurera, il ne disparaîtra jamais totalement, mais dans mon cas, j'en veux, j'en veux à tous ceux qui m'ont lynchée, j'en veux aux instituteurs d'avoir détourné les yeux, j'en veux à celles et ceux qui m'avaient prise pour cible.

Parce qu'à bientôt trente ans, mes peurs de gamine sont restées vives et béantes.


Et l'enfer, c'est resté les autres.


  • Je sais qu'on ne devrait pas comparer nos souffrances. Mais j'arrive pas à m'en empêcher. En maternelle et primaire, pour moi ça allait. On acceptait ma différence, que je reste à part la plupart du temps, ou que je dessine dans le "labo photo". Et même au collège, même si ça a été horrible, j'ai jamais reçu de violences physiques. Alors je me dis ç'a été pire pour elle, et elle tient le coup, alors de quoi j'me plains? Et je ne parle pas des études supérieures. C'était difficile, mais y avait mes profs. Tu me diras avec mes diplômes je me retrouve en arrêt longue maladie je glande je fous rien. Mais le fait est que malgré tout, t'en a plus bavé que moi, tu es plus courageuse...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Aqualantmauve

    _wendy_

    • Comparer ne sert à rien, on a tous aussi une fragilité ou une force qui diffère, pour la même souffrance, deux personnes réagiront différemment... La souffrance n'est pas un concours, on souffre, c'est tout, j'ai souffert comme toi tu as souffert comme d'autres souffrent... <3 Bisous, prend soin de toi

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Zt245dd

      redstars

  • Wouaw c'est vraiment poignant c que tu as écris, là !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Fanala

    fanala

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