L'enfer pour Paradis (suite)

vic-nekavo

Et puis elle ne saurait pas qui avait piqué sa cassette. Il avait mis des gants, comme dans les séries policières de la télé, au cas où elle irait se plaindre auprès des pandores et qu’ils feraient une enquête. La vague culpabilité qui l’avait effleurée un instant disparut aussi vite qu’elle était née. Il avait choisi d’opérer la nuit, parce que les enfants de la vieille s’étaient barrés en vacances et qu’il la savait seule. Il espérait qu’elle dormirait dans la chambre rose, celle avec le baldaquin et les deux armoires, là où sa mère devait porter le linge et le ranger, des piles comme ci, des sachets de lavande au milieu comme ça. Elle avait quand même bien profité d’eux. L’heure était venue de se refaire en la soulageant d’un peu de blé gagné grâce à la sueur de ses parents et des autres, de tous ces crétins qui s’étaient laissés enfumer par les grands airs des Fornéris. Lui était beaucoup plus intelligent et ne se laisserait pas avoir par tous ces gens qui le méprisaient. Il en avait assez des petits boulots, du studio miteux, de la solitude, de la gueule flasque du type du Pôle Emploi qui ne lui proposait que des jobs à la noix. Technicien de surface ou…balayeur de caniveau. Tu parles d’un choix! Il en avait marre de devoir se trimballer dans une caisse pourrie, de ne jamais pouvoir inviter une nana au restaurant, ras le bol de devoir quémander un autre découvert à cette pétasse de banquière qui le lui refuserait à nouveau. Il se rappelait de la dernière fois, de son petit sourire en coin, qui disait qu’elle n’en avait rien à foutre de ses problèmes de fric, que s’il était un minable, c’était bien de sa faute, que les gens comme elle n’avaient pas ce genre de problèmes. En plus, elle lui ferait la morale en lui montrant l’écureuil sur l’affiche de l’agence, un putain de rongeur aux yeux globuleux qui n’avait qu’à folâtrer dans la forêt pour ramasser des noisettes. En fait, l’histoire de cette bestiole poilue l’avait bien inspirée. Lui aussi allait se baisser pour récupérer un bon gros tas d’oseille sans se fatiguer. Son maigre C.A.P de carrossier constructeur ne servait à rien. Travailler les tôles toute la journée dans une chaleur de four, c’était un métier à la con qui rapportait des clopinettes pour le mal qu’il fallait se donner. Ses parents ne lui avaient rien laissé à leur mort. Le peu qu’ils avaient mis de côté au cours de toutes ces années à traire les vaches et entretenir le domaine Fornéris, avait tout juste couvert les frais de la maison de retraite rurale glauque dans laquelle ils avaient fini leurs jours. L’or de la Baronne était l’occasion ou jamais de changer de vie, de quitter ce trou paumé. Il rêvait de s’acheter un coupé sport dernier cri, ou de s’installer sur cette île paradisiaque accueillant des stars du show-business et recrutant des chauffeurs de limousines. Mer, soleil, belles nanas et grosses bagnoles, c’était tout ce qu’il demandait. Il s’y voyait déjà, au volant d’une énorme berline noire, rutilante et ronflante, fleurant le cuir frais et la ronce de noyer. Ouvrir des portes à ces gens là ne serait qu’une petite humiliation, tout à fait supportable au regard de sa vie de misère actuelle. Les pieds posés sur le paillasson de la cuisine, il ferma les yeux un instant. Il se revit, adolescent, quand il se glissait derrière le volant de la Jaguar Type E vert sombre du vieux Jules. C’était devenu son repaire quand le couple était parti en vacances. Il y avait même passé des nuits, profitant de tout ce luxe, de la fraîcheur des placages vernis, des cuirs qui gardaient la chaleur du corps. Le parfum du bonheur. Il se rappela, comment il posait les mains sur le volant gainé de veau clair, tendait les coudes, chaussait les Ray Ban que le papy laissait dans la boîte à gants. Après, il faisait jouer les pédales et le levier de vitesses, imitait du fond de la gorge les bruits du V12. La sensation de pouvoir était à nouveau là. Le moyen d’accéder à tout ça était, pour la première fois de sa vie, à portée de main. Il en était là de ses rêves de voitures racées et de vie de farniente, quand il se rendit compte que des bruits de voix provenaient du salon. Il en pinça les lèvres de contrariété. « Merde ! Mais qu’est-ce qu’elle fout la vioque debout à une heure pareille ? » s’interrogea t’il muettement. Il regarda sa montre. Minuit passé de presque une demi-heure. Concentrant son attention sur les sons entendus, il compris rapidement qu’ils provenaient de la télévision. Il n’avait pas envie de se trouver nez à nez avec la mère Fornéris. D’abord parce qu’il ne saurait quoi dire et devrait se mettre minable pour expliquer sa présence chez elle au milieu de la nuit. Ensuite, parce qu’elle avait du tempérament et serait bien capable de lui filer un coup de tisonnier ou de canne derrière les oreilles avant d’appeler les poulets. Il avança à pas feutrés sur le carrelage crème de la cuisine. Tiens, se dit-il, ça sent bon. Elle a dû faire des gâteaux. Pas changée la vieille ! Je lui en taxerai avant de partir, se promit-il. Le renfoncement derrière la porte qui donnait sur le salon lui permit d’évaluer la situation. Le volume de la télé était à bloc. Des types habillés en costard se gueulaient dessus sur fond rayé bleu et blanc. Encore une de ces émissions politiques à la con, conclut-il. Un fauteuil à haut dossier lui tournait le dos. Des mèches grises dépassaient d’un côté. Il comprit rapidement que la Baronne s’était endormie devant le poste. Pas grave, se dit-il, si elle n’a pas changé ses manies, elle a dû planquer le magot dans la cuisine. L’italienne passait ses journées dans cette pièce. Plusieurs fois, il l’avait surprise en train de fermer subrepticement le tiroir du bas de son fourneau, là où se rangent les grilles du four. Ça le fit marrer à l’idée que l’or soit tiède et sente la vanille. Il contourna silencieusement la longue table de chêne puis le plan de travail couvert de marbre blanc. Arrivé devant l’énorme cuisinière, il constata avec satisfaction qu’une assiette de petits gâteaux ronds couverts de glaçages colorés était posée sur le dessus. Incapable de résister à la tentation, il en prit trois, qu’il fourra dans les poches de sa salopette. Il les mangerait avec une bière, une fois à l’abri chez lui, assis sur son canapé défoncé, pendant qu’il compterait sa fortune. Peu importe. Le décor moche et chiche dans lequel il vivait ne serait bientôt qu’un mauvais souvenir. Les sortes de Donut’s ayant graissés ses gants, il les essuya sur la toile rêche de son bleu, tira dessus pour les réajuster avant de s’agenouiller. Le tiroir du bas était en place. Personne n’aurait pu se douter que ce mince liseré de métal débordant à peine sous le four, cachait un tiroir de plus d’un mètre de long pour soixante centimètres de large et vingt de haut. Mais lui si, pour avoir vu la Baronne l’ouvrir et le fermer plusieurs fois, avec une drôle d’expression sur le visage. On aurait dit une chatte racée, bien propre sur elle, prise en train de fricoter avec un matou de gouttière sous une voiture. A ses yeux mi-clos et à sa bouche pincée, il avait bien compris qu’il ne fallait pas poser de questions. Mais un jour où elle l’avait laissé seul dans la cuisine pour aller chercher de la limonade au cellier, il avait ouvert le tiroir. Dedans, il avait reconnu son porte-monnaie noir, la clef de la cave, plus une autre, dorée, longue et très fine. Il avait bien compris que c’était là que la mamie planquait ses petits secrets. L’oreille aux aguets, il plaça ses mains gantées sous le rebord et tira doucement. Les rails étaient bien graissés. Le tiroir s’ouvrit sans problème. La vieille dame avait toujours été maniaque et ça l’arrangeait bien. Le halo de la lune, très claire cette nuit là, traversait les petits carreaux des fenêtres de la pièce. Il éclairait suffisamment l’intérieur du tiroir pour qu’il y distingue ce qui s’y trouvait. Les grilles brillaient dans l’obscurité, mais ne semblaient pas tout à fait à plat, comme si quelque chose les soulevait d’un côté. Bloquant sa respiration, il souleva sans bruit chaque plaque de métal l’une après l’autre, les posant délicatement sur le sol. Il veillait à les mettre bien à plat sur le carrelage. Il ne fallait pas qu’elles glissent et réveillent la Baronne. Pas la peine de se compliquer la tâche et de tout gâcher par précipitation. La dernière pièce ôtée du tiroir révéla encore une broche à rôtir, un nouveau porte-monnaie, mais surtout, une sorte de coffret en métal plat gris, se confondant presque avec le fond du tiroir. Le Jérôme avait dit vrai. Souriant, il saisit délicatement la boîte par les côtés, préférant ne pas la prendre par la petite poignée qu’elle portait sur le dessus. C’était plus prudent. Une mauvaise manoeuvre et la boîte aurait pu taper contre le fond du tiroir. Il fut surpris par son poids. Quatre bons kilos. Il monta la caissette à hauteur des yeux. Une petite serrure permettait de fermer le boîtier. Il tenta d’ouvrir d’une main le couvercle, n’y croyant pas trop. Il ne se trompait pas. Le coffret était verrouillé. La vieille avait dû planquer le sésame ailleurs. Tant pis, pensa t’il, tout à sa joie d’avoir réussi son coup. Un coup de pied de biche et le couvercle sauterait. Il posa précautionneusement le précieux boîtier sur la cuisinière – pas la peine de courir le risque de faire teinter les pièces- avant de se baisser à nouveau pour ranger les grilles. Tout se passait à merveille. Il avait hâte d’être chez lui pour compter son trésor. Le tiroir se referma comme il s’était ouvert, sans le moindre bruit. Il se redressa et saisit le contenant métallique. Guettant les bruits provenant du salon, il se retourna. Personne. Les abrutis dans la télé continuaient à se balancer des mots à rallonge à la gueule. Le ton avait encore monté d’un cran depuis toute à l’heure. L’affaire était dans le sac. La cassette coincée sous le bras, il repartit comme il était venu, sautillant sur le gazon impeccable de la cour, longeant le mur orné de rosiers jusqu’au portillon qui ouvrait sur la grande allée. Il n’avait plus qu’à suivre le bord de la vigne pour se retrouver en surplomb de la voie ferrée. Là, ça devenait facile. Il y avait une brèche faite dans le grillage par les gamins du coin pour couper à travers les voies. C’était plus court que faire le tour du domaine. Le passage était dangereux pour les gosses mais pas pour lui. Il n’y avait jamais de train la nuit sauf quelques convois de marchandises qui roulaient à deux à l’heure et qu’on entendait venir de loin.

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