l'entretien d'embauche

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L'entretien d'embauche

8 heures, mais pourquoi j'avais répondu que ça m'arrangeait à 8 heures du matin ? Pour jouer un rôle et faire croire que j'étais très occupé alors que ça fait plus de trois ans que j'épluche les petites annonces, les job boards et autres canards gratuits d'emploi. Trois années à passer de faux espoir en longue attente, de lassitude usante en petits signes, trois années à essayer de se convaincre qu’après tout le mot travail vient du latin tripalium qui est, ne l'oublions pas, un instrument de torture.

A force d'entendre les amis me dire : «  Gaston, le réseau, il n'y a que ça qui marche en temps de crise » j'avais repris contact avec des anciens collègues, ceux que j'avais apprécié et puis , un jour, l'un d'eux m'avait mis sur une piste, une nouvelle entreprise corréenne qui s'implantait et cherchait un profil du genre : « un senior, Gaston ! Pas un petit jeune arriviste aux dents longues, limés dans une école de commerce, mais quelqu'un capable de construire une vision, d'avoir du recul tout en étant très opérationnel, bref un mouton à cinq pattes ! » Alors s'il fallait bêler, je bêlerait !

En plus c'est à l'autre bout de la ville, et puis se lever si tôt, j'en avais perdu l’habitude. Alors j'avais pris ce qu'il faut : deux réveils pour ne pas s'endormir, un café serré, une douche froide. J'avais même repérer le trajet en le faisant dimanche dernier. Ce n'était pas possible, je ne pouvais pas le foirer, c'était mon premier entretien depuis plus de seize mois. Je respire profondément avant de me présenter à l’accueil, on m'aiguille ensuite dans un bureau vide, juste une table transparente et trois chaises, une décoration très dépouillée, le parfait bureau pour les entretiens et puis l'attente, une attente somme toute assez classique mais qui me parut longue, si longue que je me mets à suer et à avoir la main moite.

Enfin la porte s'ouvre et elle apparaît. Toujours aussi fine, le même beau regard pénétrant et glacé, le temps a passé mais le charme est resté, inoubliable et qui laisse une trace comme un parfum dans une pièce.

«  Bonjour Monsieur » me dit elle en me tendant la main

Ce n'est pas possible, elle ne m'a pas reconnu.

« asseyez vous, je vous en prie »

Mais mon nom, quand même, mon nom : » Bacculard » et mon prénom « Gaston » , ce n'est pas courant, elle devrait s'en souvenir. Elle l'a suffisamment répété sur mon répondeur : «  Gaston, rappelle moi ! »

« Expliquez moi pourquoi vous pensez être fait pour ce poste ? »

En pilotage automatique, je lui délivre mes propos contenus, préparés et mainte fois répétés. De temps en temps, elle m'interrompt avec une fermeté masquée par une rondeur de circonstance. Jamais elle ne laisse échapper la moindre connivence. Pour l'instant, je teins le coup, je reste professionnel, strictement professionnel. Je n'en reviens pas. A t'elle vraiment oublié ?

« Venons en à votre personnalité Monsieur Baculard. Considérez vous avoir du courage ? »

Je tressaute, elle le perçoit mais reste impénétrable. Évidemment, je fais une réponse de circonstance mais elle ne peut pas en être dupe.

«  Vous n'êtes pas resté très longtemps dans vos précédents postes. Êtes vous quelqu'un d'instable ? Diriez vous que que vous êtes fidèle » – elle laisse passer un court instant de silence – puis rajoute « à votre entreprise »

Je commence à bafouiller mais luis débite que j'aime relever de nouveaux challenges quand la lassitude s'installe.

Elle sourit puis son visage se durcit

«  seriez vous capable de dire en face à un collaborateur que cette collaboration s'arrête ». Le ton est froid, sec.

Je commence à me tortiller sur mon siège. Elle attend ma réponse, calme, impassible puis quand elle vient ; elle m'écoute avec un sourire glacial.

« je vous remercie, l'entretien est terminé ». Elle se lève, me raccompagne sans un mot. A l’accueil, elle me tend la main, me fixe du regard en m'indiquant d'une voix composée «  nous vous recontacterons »

J'attends toujours !

  • a l'entretien d'embauche : paraître naturelle alors qu'on a peur de le rater tout un art !
    sortir les artifices pour convaincre alors qu'on pas mis les pieds dans une entreprise depuis plus de deux ans voir plus : à 30 comme à 60 ans c'est pénible et inutile car on ne peut connaitre une personne en 7 ou 8 minutes.
    bref, qu'une question de chance !!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Thy48vqjok

    catysleep

  • Beau texte et la dure réalité !

    · Il y a presque 12 ans ·
    Photo franck 150

    albatros

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