L'envol
weird
La vie n'avait pas été tendre avec moi...
Les premiers temps tout se passait bien. Un joli mariage, une jolie femme, deux beaux enfants, un beau costard...un bon boulot..je suppose... Je ne m'en souviens même plus...
Bref...Chaque jour la routine me consumait petit à petit, me dévorant, me digérant et me ré-ingurgitant...
Entre les sorties au restaurant entre amis où l'on se disputait pour savoir lesquels de nous devaient inviter les autres ; Amis que « ma chère et tendre » ne supportait pas d' ailleurs, et devant qui elle était la première à arborer un sourire si hypocrite qu'il en aurait pu faire pâlir une sorcière...Les soirées TV, où le choix du programme devenait si important qu'on aurait dit qu'il régissait nos vies...La belle mère .. Cette vieille peau arrogante ne mérite pas une seule goutte de mon encre....Les réunions de famille où tout le monde se comparait et se tirait dans les pattes, cherchant le petit détail qui pourrait vous enfoncer, tout en arborant un petit sourire carnassier..
La cravate noir ou la grise ? Ma vie pouvait se résumer à ça …
Si bien qu un jour en me réveillant, devant la glace, ce que je vis m effraya...
Devant moi se trouvait un pitoyable objet de consommation, privé de toute décision, dénué de toute liberté.. Face à la peur, au dégoût de ce que cet homme engendrait, je fis la pire des choses... Je partit, abandonnant les miens...mes liens...mes biens.
I
Le malheur comme vous le savez sûrement vient rarement s'inviter chez vous tout seul. C'est pourtant seul que ce soir là j'arpentais les rues dénouant ma cravate après une journée de travail, la dernière d ailleurs..l.e whisky, mon plus fidèle ami à cette époque-là, n'étais pas celui de la célèbre boite Armani pour qui je travailler a l'époque..
Qu'à cela ne tienne !! ... La rue me procura de nouveaux fidèles.. Les filles à quatre sous, le clochard de la rue Séguard, les petits dealers des quartiers, qui me laissaient me défoncer avec eux, sûrement par pitié ou pour me soutirer de l'argent pour payer leur came, une fois que j'étais défoncé.. Au fur et à mesure, je touchais au dur..cc, mesca, queta, hero...et bien d'autres...
Mes réserves bancaires n'étaient pas au plus haut comme vous pouvez l imaginer ; Alors, j'ai emprunté pour ma came.
Un soir, ce bon vieux Sirkovitch me prêta tout ce qu il me fallait et bien plus encore, mais au bout de quelques jours,je m'aperçus vite que la générosité d'un dealer Polonais était très limitée. Son argument le plus convaincant était un poing américain qui lui a permis de toucher ses intérêts : mes dents...
Le lendemain soir, je n'en avais plus assez pour m'acquitter de ma dette, et lorsque le bonhomme me retrouva avec ses « Frères d'armes », leur couteau me laissèrent de beaux souvenirs de 15 a 30cm.. Allongé par terre, usé, mes os rouillés par le sang, saoulé autant par l'alcool que par la vie, je fis le nécessaire...
Je me suis pendu...
Et c'est là que tout a commencé..
Le nœud de ma cravate serrait mon cou, j'eus tout d'abord l'impression que mes yeux sortaient de leur orbite, le manque d'oxygène compressait mes tempes... Un bruit horrible raisonnait dans ma tête... un cri strident perpétuel..suivi d'une délivrance..
Ma cravate semblait s'être déchirée partiellement au niveau de la marque "Armani"...
Décidément la vie arrivait encore à m'emmerder.. On ne peut même plus mourir tranquillement dans ce monde, pensais-je.
C'est en ramassant ma carcasse souillée de sang et de whisky que je le vis; posé au milieu de la berge auprés du pont qui longeait l'arbre de mon triste échec; et c'est là que je compris qu'il venait de me sauver la vie en cisaillant ma cravate à coup de bec.. Il était plein de vie, et à la fois apeuré, son regard était plein d'amour et de compréhension.. Il me fit pour la première fois depuis trop longtemps... sourire.
II
En rentrant chez moi, une petite piaule minable, que j'avais louée au black, je ne me suis pas aperçu tout de suite que mon sauveur m'avait suivi. Il s'arrêta soudainement comme s'il attendait quelque chose.
Arrivé sur le palier, j'entendis un bruit derrière la porte, j'ouvris avec prudence et là, quelle ne fut pas ma surprise, lorsque je vis une jeune femme, nue, la trentaine, 1,70cm, brune, cheveux mi long, les yeux verts, assise dans mon salon, la tête entre les mains, gelée..mouillée, en train de pleurer. La fenêtre était ouverte, je la fermais dans la minute, jetant un rapide coup d'œil au préalable sur une rue noire comme de l'encre. Je pris une serviette au passage et la lui lançais, accompagnée d'un « prenez ça ...»
- « Merci » me dit-elle en grelottant
- « Qui êtes vous ? » lui lançais-je.
- « Aidez-moi svp !!! Vous me devez au moins ça !!»
- « Par..Pardon mais qui êtes vous .. ? »
- « Cela n'a pas d'importance, du moins cela n'en a plus ...»
- « ….Je ne comprends rien..pourquoi ... »
- « Ils ne me laisseront jamais partir, ça fait trop longtemps que ça dure... Aidez moi je vous en prie !!! »
- « Je voudrais bien..mais.. »
Elle se leva d'un coup, bousculant la table et renversant un vase au passage..
- « Je suis désolée, je n'aurais jamais dû venir ici..c'était une erreur »
Avant même que je ne puisse prononcer le moindre mot, elle était partie, nous séparant par une grande solitude.. .
Des jours passèrent sans que je n'eus aucune nouvelle d'elle.
Mes journées se résumèrent à me lever, ce qui était déjà un exploit, à me faire à manger, de délicieux mets, conserves et surgelés, et regarder la TV..
Mon plat était chaud, cassoulet et pain de mie.. je m apprêtais à le déguster, lorsque je vis que je n'étais pas seul à être affamé..
Mon sauveur était déjà en train de picorer sans gêne mon « filet mignon ».
Cela m'amusa beaucoup, il me regardait d'un air bizarre, toujours comme s'il méritait une récompense.. Le temps passait et chaque jour mon nouvel ami, que je surnommais « Kitty »..venait me voir, et nous passions notre temps à piailler ensemble, enfin, surtout lui... pour ma part je ne cessai de repenser à cette fille..
Pourquoi était-elle venue me voir moi ? De quoi ou de qui avait-elle peur .. ? Kitty quant à lui était toujours là à me faire sourire avec son drôle d'air...
Petit à petit ; on devint très liés, je lui laissais un peu à manger, à boire.. enfin.. les fois où il ne se servait pas lui-même..car Kitty n'était pas sans gêne, il s'installait dans le salon avec moi, regardait la TV et se posait sur mon oreiller lorsque je m'endormais.
Le lendemain matin deux hommes mystérieux, style gardes du corps, regard de tueurs, assez froids frappèrent à la porte, et l'ouvrirent d'un coup de pied, me poussant contre mon lit, faisant peur à Kitty par la même occasion. La patience n'était pas leur fort..
- « Dites-nous où elle est ??!! » me lança l'un deux.
- « Mais de qui vous parlez ? »
- « Ne joue pas à ça avec nous » rajouta le second
- « Laisse tomber, on n'a pas de temps à perdre, on reviendra pour lui plus tard, occupons-nous d'elle d'abord. »
Ils partirent dans la foulée.
III
Le lendemain soir je trouvais ma mystérieuse inconnue … en haut des escaliers.
Elle me présenta ses excuses :
- « Pardonnez-moi pour la dernière fois, je suis confuse, j'étais contrariée....ils sont passés ? Que voulaient-ils ? Ils vous ont frappé ? Je suis vraiment désolée.. »
- « Ce n'est pas grave..nous pourrions peut-être en discuter... »
- « Autour d'un verre..oui c'est une bonne idée.. »
Elle me prit par la main et m'entraîna avec elle dans les escaliers, comme deux enfants qui s'amusent, ne laissant guère place à la réflexion.
Sa réaction me surprit et nous nous retrouvâmes très rapidement à traîner dans le centre de la ville, elle semblait émerveillée d'un tout et d'un rien...Elle était pleine de vie. Elle s'arrêta tout d'un coup devant un bar, une sorte de taverne... Ce soir-là l'ambiance y était bonne..J espérais en apprendre d'avantage sur elle, cette fille m'avait l'air bien torturée, mais il n'était pas facile de lui arracher trois mots de la bouche, ni un d'ailleurs, à chacune de mes questions, elle faisait mine de ne pas m'entendre, ou elle évitait le sujet tout simplement. Je n'insistais pas, jugeant que ce n'était peut être pas le bon moment.
Le gros problème avec elle, c'est qu'elle n'était pas du genre à se tenir tranquille, elle était plutôt du style à aller voir le barman pour lui dire de monter le son, chantait, remarquablement bien d'ailleurs, (bien qu' après quelques mousses le timbre de sa voix avait perdu de son charme..) et elle le faisait en dansant sur la table m'entraînant avec elle...laissant encore sur mes lèvres, la mousse de la bière que j'avais vainement tenté de boire, et offrant au public un spectacle des plus... Bref, elle savait s'imposer. A la fin de la soirée la moitié des clients voulaient lui offrir un verre.
Cette fille ne pouvait décidément pas tenir en place...
Nous marchions un bon moment dans les rues pour dessaouler, un petit parc, petit espace vert caché dans cette immensité d'immeubles, attira mon attention, nous nous y posâmes, assis l'un à côté de l'autre, sa tête appuyée sur mon épaule. Ce petit être fragile m'attendrit et je finis par l'embrasser.. Une chose en entraînant une autre, nous avons fini chez moi, et nous fîmes l'amour toute la nuit...enfin presque.
Lorsque je lui demandai son prénom, elle me répondit :
- «Je peux être toutes celles que tu désires.. et elle m'embrassa »
IV
Le lendemain matin, comme à son habitude elle disparut, me laissant un mot toutefois, me disant de la retrouver quelques heures plus tard sur la plage.
C'est là que je la vis courant dans le sable, sautant en l'air , les bras tendus vers le ciel comme si elle pouvait atteindre les oiseaux qui la surplombaient. Nous avons ri toute la journée en s'embrassant comme deux jeunes tourtereaux... mais son attitude, ce mystère autour d'elle, me tourmentait, et je l'obligeais à raconter son histoire.
- « Non..écoute, je dois partir, si je ne rentre pas ils viendront me chercher et je ne veux pas qu'ils te fassent du mal »
C'est là qu'apparurent les deux brutes qui m'avaient frappé dans l'appartement, traînant chacun d'eux une chaîne d'au moins un mètre de long..
- « Tu es prête » lança l'un d'eux
Je m'interposais en quelques secondes entre eux et elle, il fallut moins d'une seconde pour que la chaîne s'enroule autour de mon cou, il me mit à genoux, et tira comme si j'étais un chien..
- « Ne te mêle pas de ça, ce sera mieux pour toi.. »
- « Arrêtez...arrêtez je vous en prie, il n'y est pour rien.. !!
- « Viens avec nous, je t'avais dit de ne pas refaire ça, tu en paieras les conséquences »
Ils lui mirent une chaîne autour de chaque bras et la tirèrent , laissant ses jambes nues traînant sur le sol ; en partant, l'un d'eux m'asséna un coup de pied sur la tête et je perdis connaissance. En me réveillant quelques heures plus tard, j'ai suivi les traces, mais celle-ci s'arrêtaient brusquement en plein milieu de la plage... comme si personne n'avait jamais foulé ce sable. Revenu chez moi, Kitty avait disparu lui aussi, me laissant seul à mes pensées les plus funestes.
V
Les jours, les mois, les années passèrent, sans aucune nouvelle, mes larmes coulaient mais mon cœur s'asséchait. Chaque jour j'allais sur cette plage, espérant la retrouver mais rien...
Un soir alors que le soleil allait se coucher je la vis, à l'endroit même où les traces s'étaient arrêtées..
Elle était assise là, tout simplement, sereine comme s'il ne s'était jamais rien passé.
A mon approche elle me dit sans même se retourner :
- « Je vais devoir partir..ma place n'est pas ici..je n'étais pas prête c'est tout..mais je dois accepter mon destin. Je veux que tu saches que mon amour pour toi ne s'éteindra jamais..Tu m'as rendu libre et heureuse ces quelques jours »
Elle jeta un coup d'œil sur les deux cerbères qui la surveillaient, puis m'embrassa laissant glisser sa main dans la mienne tout en s'en allant. Je la regardais partir, mon cœur s'en allait avec elle.. En ouvrant ma main je trouvais un bout de tissu avec un A imprime dessus.. Un A comme Armani..Le A qui s'était déchiré me sauvant la vie...Un A comme Amour..
En quelques secondes tout devînt clair..mais comment cela pouvait être possible...Kitty !!
- « Kitty !!...Kitty.. Je t'aime.. » lui dis-je en me précipitant vers elle, fou de rage, je voulait tuer ces hommes, quitte à en mourir, car ma vie n'avait plus aucun sens sans elle.. elle s'interposa et me dit que cela ne servait a rien..qu'il ne faisait juste que leur travail, et que d'autres viendraient après eux. Alors qu'ils allaient l'enchaîner, elle leur fit signe que ce n'était pas la peine, me lança un dernier regard, et se volatilisa.
Je n'ai jamais vraiment su le fin mot de l'histoire, qui ? ou ce qu'elle était ?. Mais un jour un ami me fit part d'une vieille légende, oubliée de pas mal de livres :
« En 1695, une princesse, Catherine de Coullier, dont le château avait était attaqué et conquis par un autre royaume...unique survivante, sa famille et ses proches exécutés devant elle.. elle fut soumise aux volontés du nouveau roi. Celui-ci l'obligea à épouser son fils, un tyran dont la cruauté n'avait d'égale que la laideur. Tous les jours le prince la battait, la torturait...
Un jour alors qu'il allait voir ses maîtresses, elle en profita pour tenter de s'échapper. Lorsque le prince s'en aperçut, il l'enferma dans la tour la plus haute su château, il l'enchaîna, la flagella, la tortura... sous alimentée, elle était très faible et ne tenait presque plus debout.. Elle ne pouvait voir la lumière du jour qu'à travers une meurtrière...
Un matin alors que ses geôliers lui apportaient sa pitance, la pièce était vide, les chaînes par terre, encore fermées, elle avait disparu...Personne ne peut l'expliquer jusqu'à ce jour.. mais certains disent que son désir de liberté était tellement ancré en elle.….Qu'elle se serait tout simplement..."Envolée".. On ne l'a jamais revue .. »
« Mais cette histoire date d'il y a plusieurs siècles » ajouta-t il en riant.. Ce n'est qu'une légende »
Une légère brise se fit sentir, me caressant la joue, je scrutai le ciel tout en pensant à elle...Une plume virevoltant dans les airs se posa dans le creux de ma main..
Cette plume même avec laquelle je vous écris.
« Une légende...oui..une Légende.. »
Je quittai mon ami avec la ferme conviction que n'importe où, où elle se trouvait, nos cœur étaient à l'unisson, libres de toutes les chaînes qui nous retenaient...
FIN