Léo

haylen

Histoire d'amour éphémère. Impossible passion sous la lumière d'une amitié déchirée. Forte et incroyable. Mais inaccessible.

La première fois que j'ai vu Léo, j'avais huit ans. Il était plus petit et plus maigre que moi. Il avait les cheveux un peu trop longs et noirs, tellement noirs. Il avait d'énormes joues qui m'avaient donné envie de les mordre et son regard était doux, innocent.


Il était beau. Je le trouvais beau. Et je me suis mise à l'aimer, aussi fort que je pouvais pour mon âge. Je ne sais pas s'il m'avait vu de la même manière que je le voyais à cette époque. Je ne pouvais pas définir l'amour, je ne comprenais pas vraiment le concept, surtout pas avec des parents divorcés. Les siens, eux, ils s'aimaient. Et je voulais faire partie de leur famille. En grandissant, je voulais être dans la même classe que Léo, je voulais partager le même lit et le même goûter. Je voulais boire un soda avec deux pailles, je voulais lui offrir une glace et l'emmener à la plage.


Il avait fini par me voir, lui aussi. Je ne lui ai pas vraiment laissé le choix. Je le suivais partout et puis, il ne connaissait pas grand monde alors je suis devenue son monde tout comme il est devenu le mien. Je l'avais choisi et il m'avait accepté.


Il devenait au fur et à mesure des années, mon ami, mon confident, mon punching-ball, mon oreiller et mon garde-manger. Il avait pris l'habitude de transporter des biscuits au chocolat dans son sac en permanence, au cas où j'en avais besoin. Et j'en ai eu besoin. Comme le jour où j'ai eu un zéro à mon contrôle d'histoire. Le jour où j'ai eu mes règles pour la première fois. Le jour où Alex Tracy m'a embrassé avec la langue. J'ai eu le droit à un biscuit au chocolat et c'était la meilleure chose qui pouvait m'arriver. Léo le savait. Mais parfois ça ne suffisait pas.


J'ai découvert à treize ans que mes hormones me travaillaient. Je finissais par le voir d'une autre manière. Et puis Léo faisait du football, il devenait plus grand que moi et plus large. J'ai compris plus tard que l'amour que je lui portais quand j'avais huit ans s'était transformé en désir, en passion, en amour véritable. J'étais amoureuse.


Je savais que j'allais tout foutre en l'air mais allez raisonner une gamine de treize ans qui venait de se rendre compte de ses sentiments. C'était le bordel. Mais ça s'est aggravé. Pas à cause de Léo, ni même à cause des autres, mais à cause de moi.


Nous sommes six mois avant que le mois de février ne glace nos sols. Six mois avant que je finisse par glisser, moi aussi. J'ai dix-sept ans et Léo est dans ma classe. Mon univers tourne autour de lui, des cours et de ma chambre. Je vis avec ma mère, mon père à déménager à l'autre bout du pays avec une autre femme. C'est mieux comme ça. Enfin, c'est ce que je croyais. Ma mère l'aime toujours, j'en suis sûre, mais on ne parle pas de ce genre de choses. Je n'en parle pas non plus avec Léo. Je n'ai pas envie qu'il comprenne ce que je ressens.


Ma vie se résume plutôt vite et ça me convient.


Mais la rentrée n'est pas comme les autres. Il y a ce mec qui débarque dans notre classe, ce mec immense et baraqué qui connaît son influence auprès des filles. Ce mec aux yeux gris et au sourire forcé. Ce mec qui allait tout faire foirer. Non pas parce que j'allais sans doute tomber amoureuse de lui, mais parce que Léo allait le remarquer. Il allait le voir et l'aimer. Et moi je ne serais plus qu'une carcasse abandonnée.


« Salut, moi c'est Gabe ».


Ce fut bref mais assez pour que les filles de ma classe se mirent à soupirer leur amour naissant. Moi, je n'ai eu qu'à lever les yeux aux ciels et ça, il le remarqua. Tout comme je remarquais le visage éclairé de Léo et son regard émerveillé. Entre ma mine renfrogné et le regard énamouré de Léo, on faisait la paire. Ce mec, Gabe, nous avait remarqué.


J'étais foutue.


Mon quotidien avant que Gabe ne débarque dans nos vies était assez simple. Léo venait me chercher tous les matins devant chez moi, il m'offrait une oreillette de ses écouteurs et on écoutait des musiques un peu bizarres en se partageant une cigarette. On ne parlait pas beaucoup. On n'était, ni lui, ni moi, du matin. Une fois en cours, on s'asseyait toujours à côté, on utilisait la même trousse et on s'emmerdait comme il le fallait. Le midi, on allait manger à la cafétéria de l'école, avec d'autres personnes du lycée. Entre les cheveux teints en blond de Léo, les tatouages de Sophia et les rots bien dégueulasses de Red, on appartenait à une sorte de tableau harmonieux et pas vraiment éthique. On faisait peur à personne, mais on avait notre monde et ça nous convenait.


C'était à moi, c'était mon monde... Alors quand Léo proposa à Gabe de manger avec nous tous les midis, il venait de briser une chaîne de mon univers. J'étais blessée, et tout comme un animal abandonné au bord de la route, j'ignorais mon bourreau et je me repliais sur moi-même. Ce n'était sûrement pas la meilleure tactique, mais si j'avais dit à Léo que la présence de Gabe me dérangeait, il m'aurait traité d'égoïste sans cœur, ce que j'étais certainement, mais dit de sa bouche ça avait une tout autre saveur.


Alors Gabe finit par faire parti de notre univers, mais sûrement pas du mien. Je mettais une distance entre nous suffisante pour qu'il comprenne que je ne l'acceptais pas. Je faisais néanmoins attention à ne pas contrarier Léo qui le voyait déjà comme le messie. Le messie de mon cul, ouais. Ce mec était d'une arrogance incroyable entre son regard plissé, son sourire en coin et ses cheveux en bataille. Il était beau ça c'est sûr. Il était beau mais il le savait. Contrairement à Léo qui ignorait le pouvoir qu'il avait sur les autres, sur moi.


Gabe était le mec classique et populaire. Ses cheveux bruns qui tombaient sur ses yeux clairs. Ses dents parfaitement blanches. Sa mâchoire carrée. Il avait le physique parfait du mannequin pour les pubs américaines. Et puis tout le monde l'appréciait, il était sympa, il rendait des services. Moi, j'étais juste là, à côté, à observer. Physiquement je n'étais pas à déplorer mais je ne ressemblais pas à Sophia. Elle avait son style bien à elle avec sa magnifique peau noire et ses cheveux rasés teintés en rose. Ses tatouages décoraient sa peau et merde, ce qu'elle était belle. Mon style se résumait à des baskets Buffalo, des jupes tailles hautes et des macarons qui pointaient sur mon crâne. Ce qui changeait le plus chez moi c'était mon humeur. Malgré ça, malgré les personnes magnifiques qui gravitaient autour de moi, je sentais son regard.


Je sentais son envie de me toucher, de m'embrasser. Au lieu de me faire plaisir, ça me faisait peur. Pire ça me terrifiait. Je ne voulais pas que Léo s'en rende compte. Il m'aurait vu comme une rivale, alors que l'ironie du sort me balançait Gabe comme ennemi.


Que pouvais-je faire ? Les jours, les mois ont défilé et Léo le travaillait au corps. Il le voulait autant que je le voulais. C'était perturbant, terrifiant mais surtout ça me faisait mal. Du jour au lendemain, ce n'est pas avec moi qu'il partageait une clope le matin. Il ne s'asseyait plus à mes côtés, ne me piquait plus des crayons. Je faisais juste partie du décor.


Que pouvais-je faire ?


Quand la sœur de Red, Cami, s'est mise en tête d'organiser une soirée de Noël, je ne voulais pas y aller. Léo m'avait confié la veille :

« Je vais l'embrasser, tu sais. Demain, à la soirée. On aura un peu bu et ce sera plus facile. Pour lui, pour moi. Je vais l'embrasser, tu sais. »


Je ne voulais pas voir ça. Je ne suis pas maso. Je ne voulais pas me faire du mal inutilement. J'allais attendre bien sagement dans ma chambre que la nuit se passe et que Léo débarque le lendemain pour me raconter sa soirée. Mais il a fallu que Gabe s'en mêle.


Bien sûr...


Ce connard a convaincu Léo de me harceler afin que je vienne à cette stupide soirée.


J'y suis allée.


Bien sûr...


Les gens étaient bourrés. Léo, Gabe, Red, Sophia... Même Alex Tracy, cet idiot à la langue baveuse. Je ne voulais pas boire. Je voulais attendre minuit, reprendre ma caisse et me tirer au plus vite. Mais Léo a voulu danser avec moi. Il m'a pris dans ses bras, son torse contre mon dos, ses mains sur mon ventre. Et j'étais bien. Ouais, j'étais bien... Je l'ai vu me regarder de loin, avec son verre en plastique et son regard noir. Gabe nous observait. Et je me suis demandé de qui il était jaloux.


Au fil du temps, je ne savais plus s'il était intéressé par moi ou par Léo. Je ne savais pas s'il m'utilisait pour le rendre jaloux ou l'inverse. Il me perdait. J'étais foutue.


J'ai dansé avec Léo le temps de la musique et puis, il est parti.


« Je vais l'embrasser, tu sais ».


C'est ce qu'il avait dit. C'est ce qu'il allait faire. Et moi, dans tout ça ? Qu'est-ce que j'étais pour lui ? Qu'est-ce que j'étais pour Gabe?


La résolution de rester sobre s'est envolée en fumée et j'ai bu. De la vodka, de la bière, du rhum. Je ne sais plus. Mais j'ai bu. Assez pour trouver une nouvelle fois Alex Tracy attirant. Suffisamment attirant pour qu'on finisse dans la salle de bain, son pantalon baissé et ma culotte enlevée. Je ne perdais pas ma virginité avec lui. Je l'avais perdu avec un mec de ma colo l'été dernier. C'était à chier. Tout comme avec Alex. Je me suis sentie sale, grosse et inutile juste après. Lui, il avait l'air content. Mais franchement, je m'en rappelle à peine. Tout ce à quoi je pensais c'était à la bouche de Léo sur celle de Gabe. Ça m'a donné envie de vomir.


Quand je suis sortie, le monde autour de moi semblait flou et inutile. Je voulais juste rentrer chez moi.


« Reste. »


J'aurais aimé entendre la voix de Léo me demander de rester. J'aurais aimé que ce soit les bras de Léo qui me prennent par la taille. Mais merde, non. Ce n'était pas Léo.


« Ne pars pas. »


Que pouvais-je faire ? Je l'ai repoussé. Il m'a plaqué contre le mur. Je me suis énervée. Je lui ai dit : « Vas-t-en ! ». Mais il était encore là.


« Qu'est-ce que tu attends de moi, Gabe? »


Rien. Il aurait dû me dire ça. Rien.


« Tu m'obsèdes, c'est dingue. Je pense qu'à toi. A ta peau, à ta bouche, à ton rire, à ta voix. »


Et il m'embrassa. Comme ça, sans prévenir. Et je crois que j'ai aimé ça. Il n'a pas simplement collé sa bouche contre la mienne. Il la faite danser, valser. Il la martyriser avec ses lèvres, ses dents, sa langue. Ce n'était pas de l'amour, c'était de la rage. Pure et simple. Et putain, ce que j'ai aimé ça.


Mais bien sûr les choses ne se déroulent jamais comme on le prévoit. Léo débarque dans la rue, nous voit collés contre le mur. Me regarde avec dégoût. Et moi, je lui cours après. Je lui cours toujours après. Je le prends contre moi et je lui dis :

« Aime-moi. »


Ce n'était même pas un ordre, ni même une demande. C'était une imploration. Une putain d'imploration. Je l'ai serré contre moi, mon visage plaqué contre son dos, mes larmes inondant sa chemise. Je l'ai serré si fort contre moi que je lui ai fait mal, que j'ai eut mal.


« Aime-moi. »


Encore et encore.


« Aime-moi ».


Il a finit par se détacher de moi. Son regard fuyant le mien. Il m'a craché au visage : «Ne me touche pas ! ».


Et puis il est parti.


Que pouvais-je faire ?


« Je suis désolé. »


Gabe était encore là. Derrière moi. Je sentais l'humiliation, le dégoût, la colère. Il était là et je ressentais son envie de me prendre dans ses bras, de me réconforter. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais plus. Il avait tout foutu en l'air, putain.


Je me suis retournée et puis je l'ai giflé. Fort, très fort. Il n'a rien dit. Il a juste compris.


J'avais glissé.


J'étais morte avec son baiser.


Il s'est contenté de me regarder, sans rien dire. Et ma gifle, je l'ai regretté. Il ne la méritais sans doute pas. Lui aussi, il espérait mon amour tout comme j'espérais celui de Léo.


Les jours suivants, je ne ressemblais plus à grand-chose. Je me nourrissais à peine, je me lavais par nécessité et j'allais au lycée. Je croisais Léo tous les jours. Il ne me regardait pas, contrairement à Gabe. La rumeur de mes galipettes dans la salle de bain avec Alex s'est répandue. Ce petit con l'avait dit à tout le monde pour se vanter de s'être fait la petite vierge. Ce qui était faux. Comme toujours avec les rumeurs.


Sophie et Red ne savaient plus quoi penser. Après tout, j'étais la petite garce qui avait embrassé le mec de son meilleur ami. Mais ce n'était pas son mec, et Gabe ne l'aimait pas. Et moi dans tout ça ? Je le détestais ou pas ? Sophia essayait de comprendre. Red voulait nous réconcilier, moi et Léo. Mais c'était peine perdue. Il m'ignorait. Et pire que la haine, c'est l'indifférence.


Les jours sont passés d'une lenteur cruelle. Je voulais lui parler, m'excuser, me flageller.


Et puis, j'ai tenté le tout pour le tout. J'ai débarqué dans sa chambre. Je l'ai pris dans mes bras et je l'ai supplié de me parler. Il est resté stoïque, il ne m'a pas touché, ni parlé. Mon cœur souffrait et il s'en fichait. Je l'ai embrassé sur la bouche. Doucement. Je l'ai presque frôlé. Et puis je voulais plus. Je voulais lui montrer. J'ai pris son visage entre mes mains et j'ai collé ma bouche contre la sienne. Fort. Je voulais qu'il comprenne. Je l'ai embrassé et j'ai pleuré. Notre baiser salé était pathétique. Il n'avait pas bougé. Il avait attendu que je finisse et que je m'éloigne. Pourtant je lui dit encore : « Aime-moi ». Son regard était vide. Il m'a simplement demandé de partir pour ne plus jamais revenir. Je ne voulais pas, mais il avait raison. Je l'avais trahi. Mais lui dans tout ça ? J'étais la seule fautive ?


Au moment de partir, j'ai vu une photo de nous deux sur le mur, je l'ai prise et j'ai compris. Elle avait été prise il y a deux ans. On le voyait tout sourire, les yeux fixés sur l'objectif. On me voyait, au contraire, bien sérieuse, le regardant avec amour. Tout était dit sur cette photo. C'était évident. Pour lui, pour moi, pour les autres. Tout le monde savait, et il n'a rien fait pour empêcher cela.


Ses mots doux, ses câlins, ses baisers sur mon front. Notre manie d'être toujours collés ensemble. C'était évident, c'était tellement évident.


Je lui balance la photo au visage.


« Tu le savais depuis le début, Léo. Tu savais que je t'aimais comme une dingue, que j'étais prête à tout pour toi. Mais au lieu de ça, t'as préféré fermer les yeux. T'as préféré me faire endurer ton jeu ridicule avec Gabe. Il ne t'aime pas, il ne t'aimera jamais. Personne ne t'aimera autant que j'ai pu t'aimer, et ça, tu le sais. Tu le savais depuis le début et t'as rien fait. »


Il avait la tête baissée sur la photo de nous deux au sol.


« Tu sais le pire dans tout ça ? C'est que j'ai aimé son baiser. Parce que pour la première fois de ma vie, j'avais la possibilité de penser à un autre garçon que toi. »


Et je suis partie.


J'ai pris mon sac, ma plus jolie robe, mes plus jolies chaussures, et je suis partie. J'ai pris un bus pour la ville la plus proche, et je suis partie.


Je voulais glisser, je voulais sauter, je voulais partir. Pour de bon. Pour ne plus avoir à ressentir cette douleur à nouveau. Au lieu de ça, je me suis retrouvée dans une boîte. J'ai dansé, j'ai bu, j'ai ri. J'ai dansé, j'ai fumé, j'ai embrassé. Et puis j'ai dansé, encore et encore. Je n'ai pas vu les appels de ma mère, ni ceux de Gabe ou de Red. J'ai seulement dansé.


Quand le soleil a fini par se lever, j'ai compris que c'était éphémère. Que je ne pouvais pas vivre toute ma vie comme ça. J'ai répondu à Gabe que j'étais partie, il m'a dit : « J 'arrive ». Et je l'ai attendu, assise, à moitié soûle, sous un arrêt de bus. Et puis l'ai vu.


Je les ai vu. Ils étaient sur le scooter de Gabe. Tous les deux. Ils me regardaient, et il n'y avait plus de haine dans leurs yeux. Et j'ai pleuré. Mon Dieu, j'ai pleuré. J'ai compris qu'ils ne me détestaient pas, qu'ils ne me détestaient plus.


Léo a enlevé son casque et me l'a donné. Il m'a touché les cheveux et m'a dit :


« Vas-y. Je sais que t'en a envie ».


Puis je l'ai embrassé. Non pas sur la bouche. Mais sur la joue, là où une amie devrait embrasser un ami. Je l'ai embrassé et j'ai pleuré. Il a pleuré aussi. Il m'a dit que Gabe lui avait tout dit. Il m'a dit qu'il était désolé. Il m'a dit qu'il m'aimait, lui aussi. Il m'a dit que c'était à mon tour d'aimer quelqu'un d'autre que lui.


J'ai pris le casque et je suis partie.


Ce jour-là, j'ai arrêté de pleurer pour lui.

Signaler ce texte