Les Adresses à vivre 8

fragon

Adresse n° 4

De même que les maisons de vacances ressemblent à ce que l'on pourrait vouloir paraître, le temps d'un été, l'internat ne peut être une adresse en soi. C'est un lieu de passage. Froid et mécanique. Pragmatique. L'espace ouvert se remplit et se vide de façon programmée. Le mobilier y est polyvalent, sécurisé, livrable en quelques jours. Impersonnel. Un lit étroit, une armoire à une porte, coloris hêtre naturel, et une salle de douches au fond du couloir. Il suffit d'égrener la liste pour qu'émerge une image approximative et plutôt proche de la réalité. J'y glisse chaque jour de la semaine, éclairée par une lumière sordide, entre des murs crémeux, une mosaïque insipide sous le talon. Exit l'internat.

 

La quatrième adresse s'ouvre par une grosse clef à l'ancienne. Elle pèse son poids au creux de la paume. Rouillée, polie et majestueuse. Je lui donne un peu plus de cent cinquante ans. Ce n'est pas le genre d'objet que l'on peut enfoncer dans un sac à main. Et de toute façon, il n'existe pas de double. Alors, on la cache.

 

Pour la récupérer, une clenche doit être actionnée. Elle permet l'accès au chai qui s'accole à la maison. Le long des murs, l'œil découvre une organisation pratique : congélateurs, chaudière, placards à balais. Une sorte d'immense garage. Qu'il pleuve ou qu'il vente, l'hôte s'y trouve à l'abri. La clef est serrée dans un meuble en formica blanc. Il me suffit d'identifier le bon tiroir. Les premiers temps, je tâtonne. Les jours de chance, je m'en saisis en un tour de main et me dirige vers la très vieille porte de bois. Je réfléchis. La manœuvre s'annonce délicate, elle exige une expérience que je n'ai pas encore acquise. Mon poignet s'agite dans un léger mouvement de roulis. C'est l'entrée de service. Les jours de fête, l'accueil se fait par le jardin, celui qui longe la façade.

 

Je découvre une très jolie maison. Elle se tient sur des murs de pierres de plus d'un mètre de large. Ils ne laissent passer aucun murmure. Ce qui s'y dit s'y garde retenu.

 

La cuisine est chaude et ambrée. Je touche des ustensiles inconnus. Tout se présente à portée de main. J'effleure un gros saladier en terre vernissée, des couverts de bois. Ça sent le vinaigrier et les noisettes. Le four se met en route dès la fin de semaine. Les cuissons s'enchaînent, le réfrigérateur, un vieux frigo des années 50, se remplit inlassablement. Son ventre bombé émet un ronflement étrange et suranné. Je goûte au beurre salé. Je découvre mes premières confitures. Abricot Bergeron, framboises, cassis, raisiné. Sur le rebord de bois, les cageots s'empilent. Une queue se forme. On n'aura jamais le temps de tout accommoder. Un transistor laisse fuser de la musique. Je n'ai pas l'habitude que l'on cuisine pour moi et je ne sais pas ce qu'est un opéra.

 

Je suis mal éduquée et n'ai jamais goûté aux plats que l'on prépare. Elle a toujours expédié les repas. Plus c'est simple, meilleur c'est. Tout le reste n'est que superflu.

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