Les âmes errantes
Cléa Mosaïque
Un peu décalée.
Assise dans mon intérieur, j'étais pourtant entourée des bras de mon amie et tout autour, ici et là, grouillait la foule ambiancée. L'atmosphère était à la musique et aux dérives, chacun allait et venait sans autre but que celui de n'être personne, parmi tous ces corps qui déambulent, tout en espérant secrètement de passer pour un être original en exubérance. Tous se croisent, se regardent de temps en temps pour finir à l'unisson et vibrer dans les 4 coins de l'espace. Pour tous les goûts et les couleurs.
C'est là, dans ce faux sommeil contemplatif qu'une masse en tee-shirt s'approcha. Cette allure semblait un peu déroutée mais ancrée d'un pas lourd dans la poussière. Comme la nonchalance et le déluré ont leur place ici, je ne me retiens pas de le fixer tout le long de son approche. Pour se faciliter la vie, il ne perdit aucune énergie et mima sa demande de la main : un briquet, évidemment. Dommage, il fume me dis-je. Sans que cela ne lui ote aucun charme, me laissant d'ailleurs saisir par la belle image de ces joues et de ses yeux éclairées par la tiède lumière de sa cigarette qui grésille enfin. Sentant certainement mon regard sur lui, d'un dédain naturel il me regarda un peu éteint en levant de petits yeux noirs d'un air de dire que tout cette pagaille ne rime à rien mais que l'on rigole quand même, comme on s'attendrirait devant les bêtises d'un gamin. Et il repartit, gardant comme un petit air chaud, mon regard intrigué sur l'épaule et traçant un chemin approximatif vers ce que j'imagine être le point de rendez vous avec le reste de sa troupe. Son épaisse stature est remarquable par le détail d'une fine tresse dans sa nuque. Je tourne la tête vers la scène, je laisse les vibrations m'enivrer et son allure brumeuse se disperse.
Quelques heures plus tard, après déhambulations vacillantes et pulsions d'énergies, on se dirige vers une des scènes à demi ouverte sur l'exterieur. Dans les jeux de lumières, on voit ces corps harnachés de leur strict nécessaire qui avancent, curieux, déterminés et relâchés. Doucement, quand tu débranches la case réflexion pour t'y meler toi aussi, tu plonges dans une perte progressive du temps, de la météo et de l'autour pour t'enivrer des sons bruts du groupe en scène. À côté ou non loin, tu ne sais plus très bien si c'est cette espèce de loup géant et gentil qui te regardes, ou toi qui cherche sa protection dans la foule pas précautionneuse pour un sous. Chaque vibration est un prétexte pour t'en défaire, de cette réalité pesante et pour la transformer à ta guise. Dans cet nouvel espace temps, il n'y a pas de hasard et c'est encore une présence improbable, au milieu de tant de corps qui bougent, sautent et se percutent. Après le briquet qui avait dessiné son visage, c'était des perles de sueurs qui animaient ses traits et sa tête qui se penche. Tu n'aurais qu'une folie là, c'est qu'il te soulève maintenant, sur ses larges épaules pour te dire en silence et en mouvement que rien n'a d'importance et qu'il faut danser tant qu'on le peut.
Il aurait eu raison, je l'avais imaginé.
La musique qui tambourine ralenti, me sortant de ma transe en solitaire et sentant sa présence relâchée mais pudique, quelque part. Un sourire aux lèvres. Rien n'a d'importance et j'obéis à la règle tacite. Il faut danser tant qu'on le peut.
Dans cette multitude de sourires d'ailleurs, tu sens juste que coule, fluide dans ton corps, de l'eau, sans brume ni toxine, cette espèce de foutue harmonie dont on te parle en cours de yoga. Les démons cette fois, tu les piétines en rythme et tu brandis leur révolte avec tes doigts, plus haut que le chapiteau.
©photoCléaMosaïque