Les âmes éternelles / Chapitre 3

shude

Chapitre 3

 Un mois s’est écoulé depuis mon arrivée. Aldric s'absentait souvent, il me laissait sortir seul à présent. Il avait raison, je me suis très vite habitué à ce monde, à son lot d'émotion, de couleur et d'odeur. L'inconnu que je vois scintiller est toujours assis sur le même banc jour après jour. Avec Aldric, nous n'avions plus abordé la question. C'était sans doute mieux ainsi, je me voyais mal lui cacher la vérité.

― Je serai absent encore cet après-midi et ce soir. Ça ira si je te laisse seul ? Demande-t-il soucieux.

Je hoche la tête pour le rassurer.

― Oui, ne t'inquiète pas. J'irai faire une promenade au parc cette après-midi.

― Très bien, alors je te dis à demain.

Il me fait un signe de la main avant de disparaître.

Dans la minute qui suit, j'enfile ma veste. Cette fois-ci, c'est décidé. Aujourd’hui, j'irai parler à cet inconnu.

Je remarque en sortant de la maison que la journée est magnifique, le ciel est comme je l'aime, dégagé et sans aucun nuage. Le soleil sur ma peau me procure une sensation de bien-être. Je me surprends à aimer les journées comme celle-ci, chaudes et ensoleillées.

L'inconnu est là, à quelques mètres de moi. Je dois maintenant trouver un moyen pour l'aborder, un moyen qui ne semble pas suspect. J'imagine différents scénarios d'approche, mais tous sont voués à l'échec. Soit il me prendrait pour un fou, soit il s'enfuirait à toute vitesse et je risquerai de ne plus jamais le revoir. Après plusieurs minutes à cogiter, la seule façon qui me vient à l'esprit et qui ne soit pas un échec est de tout simplement m'assoir à côté de lui. Pour le reste, j'improviserai ensuite.

Je m'avance vers lui, mes pas sont saccadés, hésitant. Il ne semble pas percevoir mon approche. Ma respiration est rapide, mon cœur tambourine dans ma poitrine et une chaleur inhabituelle m'envahit. Je reconnais immédiatement les effets de l'adrénaline sur mon corps, j'avais lu ses symptômes dans l'un des nombreux livres qu'Aldric laisse trainer dans l'appartement. Quelle sensation étrange... à la fois excitante et terrifiante.

Je m'arrête à quelque pas du banc, angoissé, mon cœur tambourine encore plus fort. Avais-je raison de faire cela ? Et si Aldric venant à l'apprendre ? Il serait furieux... Plus que cela, il serait déçu. Et je ne voulais surtout pas le décevoir. Résigné, je m'apprête à faire demi-tour quand l'homme se tourne vers moi. Ses yeux bleus acier m'examinent quelques instants avant de se détourner à nouveau. Je reste pétrifié à observer ses cheveux d'un blond doré, que dois-je faire maintenant ? Partir ou rester ?

J'hésite, finalement je finis par m'assoir à côté de lui.

Je reste sans parler pendant de très longues minutes, je n'ai aucune idée de comment l'aborder. Si je comptais sur l'improvisation pour m'aider à ce niveau du plan et bien je suis mal parti. Je le scrute du coin de l'œil, il est là, impassible. J'en viens même à me demander s'il remarque ma présence.

Soudain, il s'exclame.

― N'est-ce pas une belle journée ?

Sa voix me fait sursauter brisant enfin le silence qui nous sépare. Je le vois afficher un grand sourire, ce qui me déstabilise.

― Oui, une très belle journée. Ai-je répondu mal assurer .

Puis, plus rien, le silence c'est installé à nouveau. J'essaie de trouver quelque chose à dire, chaque fois que j'ouvre la bouche pour parler, je me ravise. J'ai peur qu'on découvre ce que je suis vraiment. À ma grande surprise les mots sont sortis tout seul :

― Pourquoi êtes-vous tous les jours assis à la même place ?

Il sourit, amusé par ma question.

― Et toi pourquoi as-tu pris tout ce temps pour venir me parler ?

Je reste sidéré. Lui aussi m'avait remarqué.

― C'est que... je ne savais pas comment faire.

― Il est vrai que ce n'est pas facile de s'éclipser quand on a un mentor avec nous.

Le mot « mentor » a résonné à mes oreilles comme un écho. Que venez-il de dire ?

Je suis abasourdi. Comment peut-il savoir ?

― Comment ?…. Ai-je murmuré.

― La question serait plutôt, comment toi tu as su qui j'étais ? C'est rare qu'un apprenti sache nous reconnaître.

Je fais mine d'ignorer sa dernière question. Nous nous dévisagions, moi avec méfiance et lui avec sourire qui me réchauffe le cœur. Je me sens un peu stupide de me méfier de lui.

― Il est très rare de voir un humain assis à la même place jour après jour.

― Tu es observateur. Et je dois dire qu'il est très rare de voir un apprenti sans son mentor.

― Il est souvent absent en ce moment, il me laisse donc seul.

L'expression de l'inconnu a changé, son sourire s'est effacé et son visage s'est assombri.

― Quelque chose de très grave s'est produit n'est-ce pas ?

Il ne me répond pas. Sa tête est levée vers le ciel et ses yeux sont fermés. Il soupire, je sens qu'une profonde angoisse s'est emparée de lui.

― Les faucheurs ne doivent pas se mêler de nos affaires. Sa voix est montée d'un ton.

Je reste silencieux. Je ne le sais que trop bien, mon parrain n'avait de cesse de me le répéter.

― Toujours cette même phrase, encore et encore. Ai-je soupiré exaspéré.

― Nos deux mondes sont tellement si différents. L'ordre des faucheurs s'est séparé des Maisons, parce que nous avons mal agi. C'est pourquoi ils ne veulent plus avoir affaire à nous et qui pourrai les blâmer. Ce que nous avons fait était atroce.

Je sens une pointe de regret et d'amertume dans sa voix. Ce qui s’était déroulé dans le passé l'avait ébranlé, ça se voyait, la tristesse se lisait sur son visage. L'histoire de mon ordre commence peu à peu à se dessiner, c'était donc les faucheurs qui avaient rejeté les Trônes.

― Et qu'avez-vous donc fait de si atroce ?

Il ouvre subitement les yeux, incrédule par la question que je viens de poser et les rives sur les miens.

― Tu es un bien curieux apprenti. Mais c'est une question à laquelle je ne peux répondre.

― Je voudrais t'aider.

Il plisse les yeux.

― Je suis sincère, je veux vraiment apporter mon aide.

― Je ne doute pas de ta sincérité. Si tu veux un conseil, n'entre pas dans une guerre dont tu ne pourrais sortir idem.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale, c'est donc de ça qu'il s'agissait « une guerre », je comprends mieux à présent les nombreuses absences d'Aldric et son air soucieux.

― Une guerre entre les Trônes et les humains. Ai-je murmuré pour moi-même . C'est donc de cela qu'il s'agit.

― Non tu n'y es pas du tout, c'est bien pire.

L'inconnu se lève, il réajuste sa veste et relève son col. Le temps s’est soudain assombri et un petit vent frisquet s'est mis à tourbillonner autour de moi. Des éclairs sont subitement apparut fendant le ciel en deux, suivit d'un grand coup de tonnerre. Le spectacle est à la fois spectaculaire et terrifiant. Pour moi qui n'avais eu que de belles journées, depuis mon arrivée, la dégradation du temps était saisissante.

― Rentre chez toi. M'ordonna-t-il en s'éloignant . La situation risque de s'aggraver.

Parle-t-il du temps ou de cette guerre imminente ? Je suis intrigué par cet homme, je veux en savoir davantage, sur lui et du combat qu'il mène.

― Attends ! Ai j’écrié. Je ne sais même pas comment tu t'appelles?

― David. Lance-t-il par dessus son épaule .

Je me lève à mon tour, je ne peux pas le laisser partir comme ça, sans rien dire. Les dents serrées et les poings crispés, je hurle son prénom.

― David !

Il s'immobilise.

― Je reviendrais chaque jour te voir, jusqu'à ce que tu me dises la vérité.

Je crois entendre un petit rire étouffé venant de lui quand il reprend sa route. Je le regarde s'en aller avec un étrangement pincement au cœur. Ce Trône était un mystère qu'il me fallait résoudre.

La pluie s’est subitement mise à tomber me sortant de mes pensées. De fines gouttelettes de pluie tiède s'écrasent sur ma peau, c'est à la fois curieux et agréable, rien n’a voir avec les gouttes du jet de la douche. Ceux-là sont doux, elles caressent ma peau et ruissellent sur elle se faufilant entre chaque poil. C'est agréable.

Dès les premières gouttes de pluie, les humains se sont mis à la recherche d'un abri, il n'y a plus personnes dans les rues. Il semble qu'ils n'aiment pas se faire mouiller, pourtant cette eau qui tombe du ciel est une bénédiction. N'est-il pas un besoin vital pour leurs survies ? Alors, pourquoi s'en cacher ?

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