Les Amis Imaginaires en Folie.sarl 2/5

scoobyalien

Meet Noël

La silhouette bougea légèrement, passant ses mains devant elle. Dans l'une d'elles se trouvait une corde dans l'autre une paire de ciseaux. Quelle étrange sensation de se savoir totalement paniquée et de ne pas sentir son cœur s'emballer ! Monsieur Velux ne put même pas avaler sa salive. Décidément, le fait d'être une peluche était très déstabilisant !

            — Viens jouer avec moi…

            — Je ne trouve pas ça drôle. Ce n'est pas dans mon contrat ça.

Les ciseaux claquèrent d'une façon menaçante, comme s'ils étaient excités à la pensée de venir découper son pelage bleu ciel. La silhouette s'approcha légèrement de lui. Monsieur Velux s'aperçut qu'il s'agissait d'un enfant. Sûrement « son client ».

            — Bon ! Et si, avant de me… Personnaliser ! On apprenait à se connaître !

Comme il n'eut pas de réponse. Il continua.

            — J'aime la musique, chanter et faire des gâteaux.

Il avait dit cela sans y réfléchir à toute vitesse comme si ces mots creusaient un fossé entre eux.

            — Et toi ? À part martyriser de pauvres poupées ?

            — Je découpe mes nounours pour voir ce qu'il y a à l'intérieur. Après je les refais à ma façon. Tu es fait en mousse… ?

Derrière l'étrange innocence de la voix du petit garçon, la froideur de sa phrase fit tâche… De plus, l'honnêteté avec laquelle il avait répondu eut le don de provoquer une nouvelle vague de panique en lui.

Monsieur Velux se sentit perdre pied. L'étrange couloir se mit à tourner tout autour de lui. C'était un cauchemar et il allait se réveiller dans son lit, en chair et en os, dans son petit appartement miteux, mais terriblement, sécurisant. Il n'avait jamais autant désiré retrouver sa monotonie ! Ce boulot, sa spécificité, son originalité… C'en était trop d'un coup !

            — Écoute ! Noël, tu as choisi mon nom, mon apparence. Pourquoi voudrais-tu la changer ?

            — Parce que c'est plus drôle comme ça.

De nouveau, l'enfant avait répondu du tac au tac. Comme s'il s'agissait de la logique elle-même…

            — Bah ! Oui ! Franchement où avais-je la tête ? Lança Monsieur Velux d'une voix ironique.

L'humour faisait partie des points qui avaient retenu l'attention de la DRH de la société des « AMIS IMAGINAIRES EN FOLIE ». L'humour comme mode de défense ! À ce moment précis, il aurait préféré passer inaperçu comme à chaque entretien d'embauche qu'il passait depuis près de 6 mois !

Le garçon s'approcha encore. Monsieur Velux commença à voir tous les détails de son visage. En particulier, cet immense sourire en travers de ses lèvres. Pendant une infime seconde, il crut qu'il s'agissait d'une fumisterie, que l'on se moquait de lui. Qu'on venait de le berner ! Et que lui, naîf, avait marché. Mais l'expression, cette petite lueur, dans les yeux du môme, le fit changer d'avis.

Non, il était sérieux. Et pas qu'un peu !

Monsieur Velux se retourna brutalement. Pas besoin de vérifier si oui ou non, on se foutait de lui ! Il préférait fuir comme une mauviette quitte à perdre des points auprès du gamin, plutôt que de finir embrocher sur sa paire de ciseaux dangereusement affûtée.

Non, mais franchement qui s'amusait à laisser un tel outil dans les mains d'un enfant ?

Il ne chercha pas à en avoir la réponse. Il se mit à parcourir le couloir au pas de course. L'escalier s'imposa à lui, mais il se ravisa au dernier moment !

Il avait vu trop de films d'horreur pour se faire avoir. Chaque victime courait se réfugier à l'étage dans une pièce dans laquelle leur agresseur venait toujours la rejoindre. Et là pas de salut possible. Le palier était un cul-de-sac et cela même si une multitude de cachettes existaient. Au final, il n'y avait aucune fuite concevable… Alors non ! Pas les escaliers !

Il tourna sur sa droite et se retrouva devant un dilemme. Deux portes se dressaient devant lui, une à droite et une à gauche. Le mur s'arrêtait net sur ces deux choix… Cornélien ! Monsieur Velux se tourna prêt à battre en retraite et prendre à droite au lieu d'aller à gauche, mais le petit garçon l'empêcha de revenir sur ses pas.

Le juron qu'il laissa échapper se transforma en son strident.

Il se souvint avoir lu quelque part dans son contrat de travail, qu'il lui serait, à présent, impossible de jurer. Dommage ! À ce moment précis, cela lui aurait fait un bien fou et aurait quelque peu détendu le nœud qui s'était formé entre ses épaules poilues !

Il ouvrit l'une des portes et s'engouffra dans le passage qu'elle lui dévoila. Il se tourna une dernière fois, sans s'arrêter pour voir où en était le mioche… Il déboula dans une immense cuisine au plan de travail gigantesque. Une idée germa dans sa tête. Il n'allait pas se laisser faire. Après tout, il ne s'agissait que d'un enfant… Avec une très grosse paire de ciseaux. Mais il aurait le dessus, il était un adulte. Enfin, avant… Avant de ressembler à un gros ours bleu ciel avec un nœud papillon et une veste de costume.

 

Noël entra dans la cuisine à peine quelque temps après Monsieur Velux, il marchait d'un pas nonchalant, un peu boudeur. Vexé que « l'ami » qu'il avait commandé soit si récalcitrant à jouer avec lui !

-       Allez, quoi… ? S'il te plait !

Le garçon resta à l'entrée, scrutant la pénombre qui avait envahi la cuisine à l'instar du reste de la maison ! Cela ne le dérangea nullement, ses yeux distinguaient nettement les meubles et autres obstacles qui pouvaient se mettre en travers de sa route. De plus, il connaissait par cœur les moindres recoins de cette pièce.

Ainsi quand il vit la porte du placard en dessous du plan de travail central entre- ouverte, il eut un léger rictus. L'excitation revint en lui et il fit claquer les ciseaux pour traduire son plaisir. Pour la simple raison que tout le monde dans cette maison fermait toujours tout !

Noël se mit à genoux devant la porte. En y regardant de plus près, le nœud papillon de la peluche se trouvait juste à l'entrée. Le petit garçon prit une profonde inspiration, ouvrit complètement la porte du placard et se glissa à l'intérieur en hurlant.

Ce fut le moment pour Monsieur Velux de sortir de sa cachette. Il était de l'autre côté du plan central de la cuisine, guettant, écoutant l'enfant. Il avait laissé l'accessoire de son costume en évidence exprès. Ainsi quand le petit s'était lancé la tête la première dans le placard, il s'était précipité pour l'enfermer. Et comme ça ne suffisait pas, il s'était débrouillé pour trouver une cuillère en bois qu'il glissa en travers des poignées afin d'éviter qu'il se libère trop facilement !

-       On a joué… Et tu sais quoi ? Tu as perdu, espèce de…

Toute une série de son strident sortit de sa bouche. Il se ravisa et souffla bruyamment…

            — … Petit Gnome… Et ce n'est pas de la mousse, mais de l'ouate !

La porte du placard s'ébranla sans s'ouvrir. Le garçon ne semblait pas content. Il se mit à hurler. Mais ses insultes à lui ne se censurèrent pas à la sortie de sa bouche !

Et il avait une gamme d'injures fleuries !

Monsieur Velux s'éloigna vivement du plan central. Une lumière attira son attention. La cuisine était ouverte sur ce qui semblait être un séjour. Une télévision crachait un flot d'images discontinues, agressives.

Après un moment, Monsieur Velux repéra la disposition de la pièce. Il lui sembla même qu'un couple était assis sur un canapé.

Les parents de Noël ?

Il s'en approcha légèrement tentant de s'en assurer.

Une colère sourde se mit à battre soudainement en lui.

Quel genre de parents laissaient un gamin avec une paire de ciseaux de cette taille ?

Qui laissait un enfant maltraiter un être hum… Enfin vivant ?

Qui achetait un « ami » à son enfant ?

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