les amoureux des bancs publics

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Les amoureux des bancs publics

Assise sur un vieux banc en bois du parc, Marjorie attendait dans le creux de la nuit la venue de son nouvel amant. Elle passait ses doigts sur les marques qui ornaient le banc, creusées au couteau ou aux passages répétés sans fin d'un stylo à bille. Les nombreux cris d'amour faits au marqueur ou à la peinture correctrice tenaient nettement moins longtemps que ceux pratiqués au couteau, mais dans ceux-ci elle y sentait l'élan du cœur s'exprimant avec vivacité, à la différence des autres sculptés avec cette passion qui vous rongent l'âme lentement...

Les slogans libertaires la faisaient sourire, cette jeunesse revendicatrice qui s'exprimait donnait du caractère à l'endroit pour peu qu'à travers les mots apparaissait la griffe de l'artiste.

Marjorie s'imprégnait peu à peu du décor et comprenait mieux le choix du lieu de rendez-vous. Elle avait retrouvé Armand par hasard, un après-midi au coin d'une rue. Il avait insisté pour lui offrir un café. Il avait beaucoup changé depuis le lycée, et c'était la curiosité qui l'avait décidée. Ce n'était pas qu'elle le trouvait plus élégant ou plus séduisant qu'à l'époque, non, plus avenant assurément, plus conquérant tout simplement. Ils en étaient restés là après deux cafés, il lui avait glissé son numéro de téléphone, l'oeil brillant.

Quelques jours plus tard quelque chose l'avait poussée à le rappeler, et si vous lui demandiez pourquoi, ne soyez pas étonné d'obtenir une réponse confuse : elle-même ne savait pas exactement. En tout cas Armand s'était trouvé très heureux de ce coup de fil, et n'avait pas caché son vif désir de la revoir. Alors elle avait demandé quand, il avait répondu ce soir, elle avait hésité, il avait fixé une heure et un lieu. Elle était arrivée bien après l'heure, mais il était resté à l'attendre sur son banc.

Oui Armand avait beaucoup changé. Dans ses souvenirs elle le voyait comme ces jeunes hommes qui sculptent les bancs ou les arbres au couteau : un peu empoté, un peu gauche, si peu sûr de lui, écrivant des poèmes pour déclarer sa flamme alors qu'elle aurait préféré qu'il lui offre un baiser enflammé.

Le doigt courant sur la ligne d'un cœur gravé dans le bois elle se remémora ce baiser passionné qu'il lui donna vingt plus tard. Oui, il avait beaucoup changé. C'est ce baiser qui faisait que maintenant, c'était elle qui l'attendait.

Marjorie regarda sa montre :

- Non, ce n'est pas lui qui est en retard, c'est moi qui suis en avance... Songea-t-elle.

Elle repensa au lycée, quand sur un même banc, après leurs cours, il osait à peine lui prendre la main en lui parlant. Hier au soir, après ce baiser langoureux, c'était une main décidée qu 'elle avait sentie glisser sous ses vêtements, toucher sa peau, palper son être. Il l'avait rapidement transporté dans un tourbillon de sentiments, lui laissant à peine le temps de reprendre son souffle entre deux baisers. Sa tête lui tournait, il passa sa main sous sa jupe, remontant ses cuisses et quand il toucha l'avant de sa culotte, passant délicatement ses doigts de haut en bas, c'est elle-même, en posant sa main sur la sienne, qui l'incita à les lui faire glisser en elle.

Le bonheur de Marjorie coulait sur la main si sûre d'Armand, qui savait maintenant par expérience comment plonger une femme dans un profond tourment pour la faire vaciller entre une montée lente et un désir de plaisir brut. Quand il relâcha son emprise sur elle, elle se rappela qu'ils étaient dans un parc, sur un banc, à quelques mètres d'un réverbère. Même si une branche les protégeaient de la pleine lumière, une petite brise agitait parfois l'arbre qui laissait alors passer quelques rayons provenant du lampadaire.

Avant qu'elle ne puisse se poser de question quant à l'endroit approprié pour de tels ébats, Armand l'attrapait par le sein et la tirait vers lui, plaquait ses lèvres sur les siennes pour l'exhorter à continuer. Elle posa sa main sur son pantalon, elle sentit son désir et se laissa séduire par toutes les expressions qu'Armand lui donnait. Jamais il ne le lui avait témoigné avec autant d'éclats, tout son corps était tendu vers elle, et faisait tout pour amener le sien à lui, si bien qu'elle se laissa emporter par tant de véhémence.

Marjorie attaqua la ceinture et les boutons du pantalon avec nervosité, elle voulait le sentir palpiter entre ses doigts. Au contact de sa peau sa main se referma autour du membre gonflé. Armand arracha sa petite culotte, tira Marjorie sur lui et l'empala sur son sexe dépassant du pantalon. Ils restèrent un long moment sans bouger uniquement à s'embraser, à serrer leur corps l'un contre l'autre, savourant le fait d'être enfin unis.

Quand elle voulut remuer pour lui rendre ce plaisir qui la remplissait, il l'en empêcha, elle eut du mal à comprendre, elle qui voulait s'abandonner à lui...

- Attends... lui glissa-t-il simplement.

Elle se redressa, il se dégagea et la fit s'installer sur le banc, les genoux sur le bois et les mains sur le dossier. Il dégagea complètement son membre et ses bourses de son pantalon, releva sa jupe sur ses reins, délivrant ainsi ses fesses et le haut de ses cuisses à son regard. Une légère panique la gagna de s'exposer ainsi à la lumière à peine voilée, elle balayait du regard les alentours, inquiète :

- Armand, es-tu sûr de ce que tu...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, il lui arracha un râle quand il entra en elle. Marjorie se plia en deux, puis se cambra, accrochant le banc des ongles. Les ondes de volupté qu'il lui infligeait coupait le flot de ses pensées tant qu'elle fermait les yeux, mais elles resurgissaient à chaque fois qu'elle les rouvraient. La peur d'être surprise, la panique qui la tétanisait s'opposaient à l'assurance d'Armand et à l'ardeur qu'il déployait.

Quand le plaisir pointa elle ne put le réprimé, tant son amant s'employait à le faire exploser. L'orgasme fut intense, brutal et éblouissant. Enfin il s'assit sur le banc à ses côtés, et l'attira à lui pour prolonger l'étreinte tendrement. Elle regretta presque de s'être laissée aller si rapidement, recommencer dans le parc lui semblait impensable. Pourtant le désir la tenaillait à nouveau. Les yeux brillants, Armand semblait deviner ses pensées. Mais il rajusta son pantalon et boucla sa ceinture.

- C'est ainsi que j'aurais dû agir à l'époque, non ?

Elle lui avait souri pour seule réponse.

- On aurait gagné vingt ans. Quand est-ce que l'on se revoit ? Lui asséna-t-il.

Marjorie ne souhaitait pas qu'il parte. Non, pas tout de suite. Ils se trouvaient à peine.

- Demain soir ? Proposa-t-il.

- Je ne sais pas…

- J'attends ton coup de fil demain. Quand tu veux, quand tu peux, même au milieu de la nuit...

Elle avait ri, presque de soulagement.

- Même au milieu de la nuit ?

- Surtout au milieu de la nuit !

Il l'embrassa et ils se séparèrent ainsi.

Le désir l'avait travaillée toute la journée, elle se sentait prise dans la toile de l'artiste. Renouer avec cette passion de jeunesse, cultiver ce désir de se retrouver comme deux fous, pour dévorer cet amour sur un banc comme deux enfants, ivres et libres...

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