les années sombres du cloporte

johnnel-ferrary

LES ANNEES SOMBRES DU CLOPORTE

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     Le véhicule de patrouille roule lentement comme si son ordinateur de bord prévoyait une souricière. Au loin, la silhouette de la centrale nucléaire s’impose dans le paysage gris de cette nature sans âme. Que se passe t-il exactement, réfléchit l’opérateur guidant ce drone à huit roues. Pourquoi la machine décélère au lieu de prendre de la vitesse ? Y aurait-il un danger quelconque, un guet-apens attendu alors qu’il ne s’agit là que d’une machine ? Décidé à reprendre le contrôle de l’engin, l’opérateur procède à la déconnexion de l’ordinateur de bord, et s’ensuit l’explosion du véhicule. C’est le troisième de ce genre qui vient de rendre l’âme à la suite d’un dysfonctionnement de la centrale électronique interne. Et aucun des techniciens de la base n’arrive à comprendre un tel phénomène. Existe-t-il des chimères au sein de la centrale nucléaire désactivée ? Personne ne croit plus aux fantômes aujourd’hui, et pourtant le doute s’installe peu à peu dans les esprits férus de logique matheuse et athée. Des fantômes ? Cela fait sourire les experts de la base évidement, c’est pourquoi on vient de faire appel à un groupe spécialisé qui doit mettre à nue l’explication rationnelle de ces trois engins perdus par l’armée. On s’inquiète déjà en haut lieu de l’impossibilité pour les humains de regagner leur planète originelle. Plusieurs siècles ont passé, les colonies humaines se sont installées sur la Lune et sur Mars. Plusieurs ont disparu au-delà de Pluton mais chacun sait que leur voyage sera long malgré des systèmes de survie. Par contre, la Terre possède toujours son atmosphère initiale bien que la pollution s’est installée depuis des décennies. Aussi les autorités ont-elles décidé de revenir sur cette bonne vieille planète afin que puisse renaître l’espèce humaine. Seulement les patrouilleurs qui ont dû atterrir ne donnent plus aucun signe de vie. Ce qui inquiète les autorités. Que s’est-il passé pour que les patrouilles ne communiquent plus avec leurs bases ? Sur sa couchette, le patrouilleur treize attend la décision des grands chefs. Va-t-il oui ou non aller sur Terre à la recherche des patrouilleurs muets ?

-      Patrouilleur treize, tenez vous prêt au départ. La section huit partira avec vous sur le planeur six. Attendez l’ordre du départ.

Alors il attend sur sa couchette, regarde le plafond de la chambre, s’imagine au bord de la mer comme celle que l’on peut voir sur les écrans muraux. Il n’a jamais vu la mer ni l’océan, il peut les imaginer, sans plus. Et que va-t-il trouver sur cette planète appartenant aux anciens ? La Terre, un nom, des images virtuelles, rien d’autre. Autrefois, le patrouilleur treize aimait à se satisfaire de ces données inscrites sur des disques de platine, quasiment inusables avec des siècles d’utilisations. Il voyait la planète dans sa beauté que seul, un esprit malin pouvait imaginer. Des arbres, un ciel toujours bleu, des animaux gambadant au sein des prairies vertes tachetées de fleurs sauvages. Etait-ce bien cela cette boule qui déambulait autour d’une sphère démoniaque que l’on nommait comme un soleil ardent ? Chaleur, des photons agressifs, des ruées de nuages perfides que lançait ce monstre captivant la nature elle-même ? Oui, cette nature était captive de cette monstruosité  dont elle avait sans doute créée ? Très souvent avec son ami l’opérateur dix huit, ils parlaient d’un voyage sur cet élément inconnu et qui pourtant, restait leur base généalogique à eux ! Les anciens comme on les appelait, avaient pourtant fuit ce berceau de l’humanité d’autrefois ? Mais pourquoi fuir cet originel cocon alors que tout autour, l’effrayante destinée de l’espace les attendait pour mieux leur offrir une mort certaine ?

-      J’aimerais la connaître et y poser les pieds, disait souvent son ami. Et toi, tu viendrais avec moi ?

-      Oh tu sais, si je dois y aller, c’est pour le job ! Moi cette sphère inconnue ma déplait fortement, répondait-il. Mais si nous y allons toi et moi, j’accepterai volontiers ce voyage…

Et ce voyage est là maintenant, il est prêt, le bagage inutile, sa place réservée. Et le doute est aussi du voyage car il se sent nerveux. Si les patrouilleurs ne sont pas revenus, ne donnant aucun signe de vie, c’est que sur cette planète le danger est à son comble ? Du moins, il le croit pour éviter de se trouver en face de ce danger inconnu. Après tout, il n’a pas le choix, le boulot avant tout. C’est un patrouilleur lui aussi ! Il regarde le plafond de la chambre. Il y voit des ombres qui dansent sur celui-ci, des visages de femmes, des forêts ancestrales aux verdures bucoliques. Ce que disent les disques de platine et qui ne sont que des informations formatées pour le plus grand nombre d’individus. Serait-ce la vérité programmée sur ces disques ou bien celle frelatée pour que les individus en acceptent la conjoncture ? Et pourquoi les patrouilles ne sont pas encore revenues, pourquoi se taisent les patrouilleurs et en oublient de communiquer leurs positions, leurs états sur la planète ? Il ressent la peur, une envie de fuir ce qu’il est devenu. Alors il ferme les yeux et s’abandonne au sommeil léger qui lui offre son hospitalité précaire.

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Le rêve, excellence du doute, de l’impitoyable désir où l’on est son unique personnage à multiples facettes. Le rêve, et soudain, l’abominable croyance de la perfidie de l’inconscient se révèle au dormeur. Le sommeil paradoxal le chahute, le fait trembler, il est sale en son âme, et voilà que c’est le froid d’une mort qui semble l’attendre. Mais non, le dormeur se réveil, il devient conscient et le monde alentour lui fait face. Oui, tu es ce que tu es, tu dois suivre le chemin tracé. Et la peur, toujours, les veines se gonflent sous le flux sanguin. Oui, le dormeur renaît au présent, il est bien là, chacun peut enfin souffler. Il est debout et se voit dans le miroir. Il n’est que le rouage de cette épopée idyllique entre la vie et la mort ! Conception du présent d’où il ne peut sortir sauf que par la raison mortelle d’un aveu sans témoin. Il est le patrouilleur treize, et beaucoup de jeunesses aimeraient devenir comme lui, voire prendre sa place. Mais on ne devient pas patrouilleur aussi facilement, et il le sait très bien. Soit, lorsque le moment viendra, il laissera tomber ce job pour finir une retraite bien méritée, seulement voilà, il est choisi pour se poser sur cette planète qu’il ressent maudite. On ne revient jamais en arrière car les risques sont trop grands, mais cela, les autorités ne le savent pas ou alors elles s’en moquent ! Lui n’est qu’un pion qui se déplace au gré de cette autorité sans visage, sans corps. Une machine pilotant d’autres machines, c’est ce qui se dit dans les rangs des patrouilleurs. Malgré les initiatives qu’engendrent les politiciens sur les cathodiques posés sur les murs de leurs chambres.

-      Patrouilleurs, suivez le bon chemin qu’offre la sérénité de nos gouvernants. Faites appel à eux, ils sont là pour vous, écoutez les, suivez les lorsqu’ils vous ordonnent les actes nécessaires à vos survies. Bientôt, notre espèce retrouvera ses origines, sa planète, berceau de nos Anciens et de nous autres. Les gouvernants sont le symbole de prospérité, ils combattent les démons qui agissent en nous, et nous donnent la main lorsque nous échouons. Vivez sous leurs ailes, ces ailes du bonheur, fruit de la compassion des Dieux qui gouvernent l’univers.

Voilà quel était le discours des politiciens gouvernant ce monde au sein duquel il se savait prisonnier. Pourtant, il reconnaissait facilement son engagement auprès du groupe des patrouilleurs. Et puis, ce numéro treize lui portait bonheur semble t-il ? Du moins, il voulait y croire.

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Il s’est endormi. Un sommeil léger, moins paradoxal, et puis soudain le hurlement d’une voix laconique.

-      Patrouilleur treize sur l’aire d’embarquement numéro vingt neuf. Décollage immédiat. Compte à rebours enclenché… Vingt… Dix neuf… dix huit…

Se lever rapidement et enfiler sa combinaison, chausser les bottes de protection, le casque et le système de survie sur le dos. C’est le départ, plus question de réfléchir mais agir au plus vite. Il n’a plus le temps pour la réflexion et le voici dans l’ascenseur qui mène au cargo dont il va devoir piloter puis poser sur le sol terrestre. Ce cargo est en fait un vaisseau spatial de la huitième génération qui en compte douze. Pas vraiment le dernier cri en matière technologique mais qui possède une grande fiabilité. Malgré ses dimensions imposantes, il a l’agilité d’un planeur susceptible de se poser sur un sol avec la légèreté d’une feuille d’érable. Malgré ces qualités, l’homme n’arrive pas à se sentir à l’aise aux commandes de l’engin. L’ordinateur interne n’est jamais en phase avec le pilote, sans doute à cause de l’industriel qui fabrique une telle machine. Nombre de patrouilleur l’ont toujours avoué ; ce cargo est placé sous les commandes d’un ordinateur dépassé, d’une génération trop ancienne pour faire évoluer la lourde machine au summum de ses capacités. Mais hélas, les autorités ont toujours refusé de changer l’âme électronique du vaisseau à cause d’un trop grand budget demandé. Il y a deux mille six cent cargos qui sillonnent l’espace, donc deux mille cerveaux qu’il faut changer et deux mille à placer, soit quatre mille cerveaux qu’il faut monnayer. Impossible pour la comptabilité dont les autorités sont gérantes. De ce fait, le patrouilleur treize se doit de piloter cet engin avec un cerveau dont le système informatique peut rapidement devenir défaillant. N’ayant pas le choix, il devra composer avec. Le voici dans l’habitacle et s’aperçoit qu’à l’intérieur, plusieurs centaine d’individus s’y trouvent depuis quelques heures.

-      Qui êtes vous, demande t-il à l’un d’eux ?

-      Nous ne savons pas où nous allons. C’est un voyage organisé. Nous sommes là pour la connaissance qui nous permettra d’appréhender les systèmes écologiques de différentes planètes.

-      Et vous savez du quelle planète il s’agit ?

-      Non, on nous laisse l’incertitude pour mieux comprendre.

Dubitatif, le patrouilleur se met aux commandes de son vaisseau qu’il va partager avec l’ordinateur. Ce dernier l’invite au listing avant le départ pour la Terre.

-      Bonjour Commandant. Bienvenu sur l’Intersidéral quatre vingt douze. Je suis votre copilote et je suis heureux de partager les commandes du vaisseau. Le listing est impeccable, voici les données de bord. Tout est parfait, il est bon que vous preniez en compte la dernière colonne de droite. Merci à vous Commandant.

Le patrouilleur jette un rapide regard sur ses données. Tout est en ordre, y compris la dernière colonne de chiffres. Une succession de chiffres accolée ou non les uns aux autres.

-      Comment se fait-il que nous avions des civils avec nous, demande t-il à l’ordinateur ?

Pas de réponse de ce dernier. Décidé, le patrouilleur repose sa question.

-      Qui sont ces personnes à bord. J’exige une réponse.

-      Il n’y a personne à bord commandant, si ce n’est vous et moi.

-      Non désolé, qui sont ces personnes qui m’ont dit qu’ils allaient en voyage de connaissance ? Pourquoi devons nous les emmener sur Terre ? J’attends ta réponse ordinateur de merde !

-       Désolé, je ne comprends pas votre question. Le départ est imminent.

Il le sait, l’ordinateur ne répondra pas à ses questions désormais. Autant partir et on verra une fois sur Terre. Pourtant, à bien réfléchir, quelle est la raison pour laquelle des civils sont à bord d’un cargo de reconnaissance ? Et pourquoi l’ordinateur refuse à répondre à ses questions ? Peu à peu, le doute s’installe dans l’esprit intuitif du patrouilleur. Sont-ils des passagers clandestins dont les autorités se séparent volontairement, ou est-ce alors des dissidents qui veulent échapper à l’internement méthodique de la cité ? Trop tard déjà, le cargo vient de pénétrer dans le couloir ionisé qui permet de faire évoluer des machines au-delà des principes de la vitesse de la lumière. Bientôt, sur les écrans de bord, la Lune et la terre impose leurs majestueuses fausses rotondités. Dans quelques minutes, il posera son engin aux abords de la centrale nucléaire dont il sait muette et sans danger. Du moins d’après ce que prétendent les autorités dont il est aux ordres ?

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La Terre. Enfin. Pas vraiment celle supposée sur les écrans de sa chambre. Le ciel est gris, le paysage est devenu impavide, ici ou là voltigent des morceaux de débris qui se posent sans difficulté sur le bitume craquelé. Par contre, l’air pollué pue ! Une senteur âcre, immonde, on respire avec difficulté. Aussi le patrouilleur est obligé de placer un masque de survie sur son visage. Et pourtant, d’après les informations délivrées par l’ordinateur, cet air est sensiblement celui de Pluton. Sauf que sur Pluton, les individus vivent sous des cités bulles et non à l’air libre ! Alors qu’il allait se diriger vers l’ancienne centrale nucléaire arrive un engin motorisé dans lequel s’engouffrent les voyageurs du cargo. Le sas fermé, celui-disparait très vite au regard de l’homme. Ne comprenant pas cette initiative de la part de ces pauvres bougres, le patrouilleur décide de remonter à bord du cargo afin de recueillir malgré tout, d’autres informations les concernant. Peine perdue, les réponses de l’ordinateur de bord sont toujours identiques aux premières.

-      Il n’y a personne à bord du vaisseau si ce n’est vous et moi !

Impossible d’obtenir d’autres réponses que celle-ci, du coup, il préfère abandonner et repartir au-devant de cette centrale dont la silhouette figé ne contraste plus avec son environnement. Bien au contraire, on la croirait issue d’un tel paysage grotesque dont la tristesse est affligeante et la présence obligée. Bref, le patrouilleur décide d’emprunter les traces des autres patrouilles qui sont gravées sur le sol. Au loin, le brouillard défait les contours de la centrale qui peu à peu se montre gigantesque. Pourtant, d’après les notions définies par les plans conservés, elle ne devait pas excéder les trois cent mètres de coté alors que là, elle semble sortir de l’horizon ? Alors qu’il continuait de marcher, des ombres se glissaient le long des parois de la centrale. Hébété, il vit des hommes et des femmes grimper sur cette façade comme le feraient des insectes d’autrefois. Nus, un corps plutôt grisâtre, une tête plus petite qu’à la coutume, ils escaladent cette façade avec une facilité déconcertante. Ils sont une centaine, et du coup, le patrouilleur remarque l’engin motorisé qui fonce vers lui et tente de le tuer. Il l’esquive tout juste et sort son arme de défense mais la machine se perd dans un brouillard bleu. A quoi bon tirer sur une cible aussi mouvante disparaissant au bout de quelques minutes ? Se sentant au milieu d’un grave danger, le patrouilleur se décide à repartir en sens inverse et demander de l’aide une fois à bord du cargo. Mais encore une fois, il est stoppé dans sa marche rapide. Devant lui, un groupe d’individus dont la ressemblance avec ceux qui grimpaient est frappante. Nus, un corps gris, décharné, une petite tête aux yeux injectés de sang dont la couleur va du rouge au jaune. Il s’arrête et sort de nouveau son arme. Et là, il entend une voix qui ressemble à celle de l’ordinateur qui vit dans la carcasse du vaisseau.

-      N’ayez pas peur patrouilleur treize, vous ne serez pas transformé à votre tour. Nous vous remercions de la nourriture que vous venez de nous offrir de nouveau, et sachez que nous sommes toujours les serviteurs des autorités humaines tant que vous nous ferez don de ces êtres comme nourriture. Allez en paix, patrouilleur, et dites bien que la prochaine fois, nous voulons plus de nourriture. La chair est bonne, et leurs enveloppes charnelles permettent à nos larves d’éclorent en de bonnes conditions. Certes, bientôt nous seront capables de nous servir de nos machines et là, nous vous détruiront vous ô nos maîtres qui nous ont fabriqués ! Allez, reprenez votre vaisseau et retournez sur votre planète. La prochaine fois, nous voulons beaucoup plus de chair et de préférences de jeunes êtres bien formés.

Décidé sans même prononcer un seul mot, le patrouilleur treize se rend rapidement à son cargo et décolle très vite. Il fait appel à l’ordinateur de bord qui est muet.

-      Je demande l’assistance informatique, c’est urgent.

Sur son écran s’inscrit la phrase suivante :

-      Il n’y a aucune entité informatique sur cet engin, désolé. Vous devez naviguer en manuel et non par assistance d’aide par ordinateur.

Alors n’ayant pas le choix, il prend les commandes pour se diriger vers pluton mais hélas, prenant de la vitesse, le cargo se met à foncer en direction de l’astre lunaire. Comme si un esprit meurtrier voulait qu’il s’écrase sur son sol ! Dans un flash lumineux, le patrouilleur vient de comprendre. Les radiations ayant entrainé des transformations chez les humains, et ceux-ci sont devenus les cloportes dont parlaient les scientifiques au pouvoir. D’où les rescapés ont réussi à fuir la planète, seulement voilà, ceux qui sont devenus des cloportes ont décidé de se venger d’une espèce qui les a rendus ainsi. Là-bas, le sol lunaire s’approche du vaisseau à vitesse non réglementée. Dans quelques secondes, le patrouilleur treize s’effacera des mémoires informatiques. Aussi il ferme les yeux et regarde la Terre dans sa beauté originelle. Une dernière fois.

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Johnnel B.FERRARY

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