Les arbres

eukaryot

Dans la grande avenue menant à la place du Commerce, les arbres ont une faim inextinguible poussant leurs doigts griffus à labourer le ciel pour en absorber l'essence. Ils se dressent sinueuses flammes brunes grises, en rang disciplinés, haie d'honneur sous laquelle je passe tout en leur rendant un salut silencieux.

Dommage que les gens autour aient plutôt tendance au fléchissement, à la courbure, j'imagine des rangées immenses de gens affammés plantés dans le sol, dévorant l'air autour en une danse cathartique, une incantation démente au ciel indifférent. Quelque part, un corbeau s'amuse de ces pensées pour lui accessoires. Il sait, je pense, que tout ceci est quand même bien trivial, et que ne compte vraiment que la distance mise entre soi et ces êtres.

C'est pour ça qu'il vole bien haut et méprise les petites taches brunes collées au sol et leurs angoisses existentielles. Il a bien raison, moi-même, lorsque je regarde la télé, je fait preuve d'un cynisme certain quant aux personnages qui s'y agitent, et c'est pour ça qu'elle reste éteinte.

Mais quand même... Le tram avance péniblement sous la chaleur, il y a du monde c'est l'heure, et je suis complètement coincé entre une grosse dame un peu trop odorante, et une jeune minette déblatérant des stupidités à son lapin depuis un bon quart d'heure, d'une voix trop forte. J'espère loin dedans très fort qu'il a la myxomatose, ou qu'il la bat. La mesquinerie est une soupape se sûreté contre les gens. J'arrive enfin chez moi, dans ces non-espaces autour de la ville qui s'étirent vers l'infini d'une banlieue forcément triste, et alors que l'avenue devant -derrière se perd dans la lumière et l'asphalte, je regarde à nouveau les chênes qui l'encadrent, et comme eux je me sens centenaire, sans leur sagesse accumulée.

Je rentre, et d'avance, je sais que dans ma chambre ne poussera jamais aucun arbre.

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